lundi 25 janvier 2016

Moine Vsevolod:L'île de l'Amour Divin/ Patéricon de Jordanville (III)

Il y a quelques années, de passage au Monastère de la Sainte Trinité à Jordanville avec mon épouse, nous allions partir lorsqu'un jeune orthodoxe américain est venu vers nous avec un vieillard. Le vieillard avait l'air curieux et très éveillé. Il lui a demandé en russe si le grand-père (moi!) était avec sa petite-fille ou sa fille (il parlait de mon épouse qui paraissait un peu plus jeune que moi!). Ayant eu notre réponse, et satisfait, il repartit lentement vers le monastère sans rien dire de plus... C.L.-G.

Levouchka ( et Leva Diminutif de Lev/ Léon)

A présent que nous avons vu le rucher, continuons notre marche. Notre chemin devient de plus en plus escarpé, mais nous ne devons pas aller loin, car depuis la colline ici, nous voyons le cimetière du monastère... mais, qui voyons-nous venir vers nous? Levouchka! Quelle chance. Qu'est-ce qu'il porte? Un grand seau d'eau en plastique.

"Salut Leva. Où emportes-tu ce seau?"

"J'ai besoin d'eau pour les fleurs pour les fleurs en bas, près du bâtiment du séminaire."

" Mais pourquoi dois-tu utiliser l'eau du cimetière?" (Il y a plusieurs grands barils d'eau de pluie au cimetière) " Le seau est lourd et tu vas devoir le porter jusqu'en bas de la colline. Tu aurais dû utiliser l'eau près du bâtiment du séminaire pour arroser les fleurs."

Levouschka rit avec malice et dit." Non, cette eau n'est pas bonne!" 
 
Allez, devinez, est-il fou ou bien... Instinctivement on se souvient des histoires du Livre des Vies des Pères, dans lesquelles des moines traînaient des pierres d'un endroit à un autre pour humilier leur chair.

Levouchka de Jordanville, y a-t-il quelqu'un qui ne le connaisse pas? Jordanville ne serait pas Jordanville sans lui. C'est un des plus anciens habitants de Jordanville avec sa grâce Laure [l'higoumène] et l'archimandrite Flore. Ils se connaissent depuis qu'ils se sont rencontrés au monastère de Ladomirovo en Russie-Carpathique. Les frères de ce monastère ont déménagé à Jordanville en 1946, et ils ont rejoint les quelques frères de la communauté du monastère de la Sainte Trinité.

Lev Pavlinets se surnomme lui-même le moscovite, même si ses parents l'ont ramené de Russie en 1919, quand il n'avait qu'un an. Ceci arriva peu après la Révolution et aujourd'hui il a déjà plus de huitante ans. 
 
Pendant la période où il vivait en Serbie avec ses parents, il a été gâté par de nombreux et célèbres hiérarques contemporains. Le Patriarche Serbe Barnabé laissait Leva s'asseoir sur ses genoux quand il l'emmenait faire une promenade dans sa voiture. Le Métropolite Antoine (Khrapovitsky) l'appelait tendrement "Pavlintchik", surnom qu'il avait formé pour plaisanter sur son prénom et qui signifie le "petit paon". 
 
Le Métropolite Euloge lui donnait des bonbons. Levouchka se souvient de tous, de même qu'il se souvient de saint Jean, hiérarque de Changhaï et de San Francisco. Pourtant pour lui, ce dernier est plus qu'un hiérarque, c'est un de ses contemporains aussi.

" Ah, donc tu parles de ce hiéromoine qui enseignait dans le Séminaire Serbe?" dit Levouchka en parlant de saint Jean, mais il parle de lui avec respect.

" Leva, quel souvenirs as-tu de lui?"

" Je me souviens qu'il disait qu'il ne faut pas offenser les pauvres."

"Pourquoi? As-tu offensé les pauvres?"

" Non, mais il y avait un mendiant appelé Boja avec un cou tordu qui était assis près de l'église de saint Marc. C'est à propos de lui que ce Maximovitch parlait."
 
Si Levouchka est de bonne humeur, il se peut qu'il montre comment l'un ou l'autre de ces hiérarques servait, imitant leur voix et leur manière d'officier.

Les parents de Levouchka appartenaient à la noblesse. Sa mère passa les dernières années de sa vie comme moniale au couvent de Novo-Diviyevo, qui est situé pas très loin de New York. Levouchka reçut une bonne éducation quand il était enfant, mais quand il eut environ dix ans, il fut gravement malade. Par la grâce de Dieu, il survécut, mais il resta le petit garçon Levouchka, pour le reste de sa vie.

A Jordanville, il n'est pas difficile de le distinguer des autres habitants du monastère ou des séminaristes. Des bottes énormes (souvent jaunes) trop grandes pour lui, une veste à carreaux, deux ou trois cravates autour de son cou, un chapeau, généralement un chapeau de femme, (quelquefois un chapeau d'homme), et toujours un bâton, voilà les vêtements de Levouchka. Et bien sûr, il faut mentionner les grandes croix que Levouchka porte, soit sous ou sur sa chemise, parfois, il en porte plusieurs à la fois. 
 
L'été il aime cueillir d'énormes bouquets de fleurs, ou briser des branches de lilas et les planter sur les revers de son manteau, en sorte qu'il ressemble à un arbre vivant.

Malgré son âge considérable, Levouchka est encore fort; il a une obédience très exigeante dans la cuisine du monastère et en général il a l'air bien. Son exemple montre que la vie monastique non seulement affermit et renouvelle l'âme, mais aussi le corps. 
 
Tout le monde est ami avec Levouchka, et plus particulièrement les jeunes séminaristes. Il est sur un pied d'égalité avec eux. Un des moines a dit de lui. "Dieu merci, nous avons au moins une personne dont personne n'a peur". Il est en effet facile d'être ami avec Levouchka.

Les sujets de conversation favoris de Levouchka, sont le mariage, ce à quoi ressemblent certaines tombes du cimetière, la mort de Palkan (un chien). Il demande souvent aux gens s'ils sont carpatho-russes etc. En un mot, il semble n'être rien moins qu'un fou. Mais seulement si l'on juge selon les apparences. Qu'arrive-t-il si on y regarde de plus près?

"Levouchka, hé, Levouchka, quelle est la chose la plus importante dans la vie?"

" C'est la foi, la foi orthodoxe,"dit-il, résolument et avec confiance.

" Et ceux qui ne sont pas orthodoxes, seront-ils sauvés?"

"Je ne sais pas"

" Et comment arrivons-nous au salut?"

" Comme une balle. Une balle roule en bas de la route, et elle roulera directement dans le Royaume des Cieux."

Levouhka sourit avec bienveillance tandis qu'il dit ces paroles. Ses yeux, habituellement lumineux et clairs, semblent à ce moment bruns foncés et très profonds. Son regard pénètre l'âme. Mais ce n'est que pour un instant. Et puis, il repart avec les carpatho-russes, le mariage, Palkan le chien, le cimetière... Et en parlant du cimetière...Le voici, réparti de chaque côté de la route. Disons au revoir à Levouchka et rentrons dans la nécropole de Jordanville.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après le texte du site Русскiй Инокъ /Rousky Inok 
(Le Moine Russe) de Jordanville
Русскiй Инокъ

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