dimanche 6 septembre 2015

Une vie inédite de Père Seraphim [Rose], écrite par son parrain (3/5)



Le saint archevêque Jean

Les années 1960 furent une période de grande "Renaissance» russe émigrée à San Francisco, à la fois religieuse et culturelle. 

Il y avait beaucoup de circulation de personnalités, de clercs, d’écrivains, d’artistes. Le centre de ce rayonnement était saint Jean, et plusieurs évêques remarquables, ayant des liens avec les traditions spirituelles de l'ancienne Russie. 

Ce fut un grand privilège d'être là à ce moment! Vladyka Jean publiait son bulletin diocésain (Tserkovnyi Blagovestnik ou le Messager de l'Église), dont je fus béni d'être le premier rédacteur en chef. Le rédacteur en chef suivant fut Eugène, et il y écrivit ses premiers articles, qui montrèrent immédiatement ses talents littéraires et un style qui alla directement au cœur du lecteur. Vladyka Jean organisa des cours de pastorale (bogoslovskie koursy) surtout pour Eugène. Dès qu’Eugène les eut achevés, ces cours furent abandonnés! 

Mes amis, les frères Zavarine, avaient organisé à domicile leurs réunions des soi-disants "Oumoliubtsy" (amoureux de la sagesse), qui avaient une orientation religieuse mais aussi littéraire et philosophique. Eugène vint, et parla de ses idées. Le professeur Ivan Kontzevitch (frère de l'évêque Nectaire) vint également. C’était un théologien doué et bien connu. Des professeurs de l'Université de Berkeley y assistèrent également. Les discussions duraient longtemps dans la nuit (certains sujets étaient: Hegel, Kant, Dostoïevski, le professeur Ivan Iliine, les frontières entre la science et la religion).

Les offices à la cathédrale de San Francisco, notamment à Pâques, étaient inoubliables. Leur impact sur l'âme était plus grand que même le meilleur de la musique classique. Le chant du chœur magnifique, les icônes, entourées de cierges; le clergé dans ses vêtements brillants; les diacres avec leurs voix incroyablement basse et des basses puissantes; le saint archevêque; le service lui-même: tout cela ensemble produisait la sensation d'une beauté qui était vraiment extraordinaire, et propice à la prière. 

Le chœur était sous la direction de Michael Konstantinow (anciennement de l'Opéra de Kiev), qui était un homme profondément religieux, aimé de tous. Son enthousiasme était contagieux. Je chantais dans ce chœur, et ainsi fit Eugene, plus tard.

Je me souviens d'un matin de Pâques passé avec Eugène dans sa maison après le service pascal. Selon la coutume russe, nous avons regardé le lever du soleil. Il est dit que, à ce moment-là, le soleil "danses" (solntse igraet). Nous le contemplions dans la crainte. Nous avons parlé de la sensation "de la lumière", qui peut être vécue dans l'Eglise, qui n’est pas la lumière physique habituelle, mais quelque chose de profond, remplissant le cœur de joie. Tout reste le même et pourtant tout est transfiguré…

Les justes sont toujours persécutés. Vladyka Jean a été harcelé, maltraité et calomnié. Un procès a été intenté contre lui: il était accusé de la tenue illicite d'une élection dans l'Eglise et de détournement de fonds de l'Eglise(!!!). Ses ennemis voulaient arrêter la construction de la cathédrale. 

Une grande lutte fut entreprise pour sa défense par nous tous (y compris Eugène) qui aimions le saint. Nous avons été aidés par plusieurs évêques, parmi eux en particulier l'évêque Nectaire (Kontzevitch), l’évêque Sava (Sarachevitch) qui était originaire de Serbie, un avocat, l’évêque Léonty (Filippovich) du Chili, et l'archevêque Averky (Taushev) de Jordanville dans l’état de New York. 

En ce temps-là, j’étais secrétaire de l'archevêque et membre du conseil de paroisse. La lutte fut victorieuse. La nouvelle cathédrale fut construite, un magnifique bâtiment situé sur Geary Boulevard, avec des dômes d'or, visibles de loin, aujourd'hui l'un des monuments de San Francisco… 

Mais peu de temps après, son cœur brisé à cause de toute la douleur et du stress de cette lutte longue et acharnée, l'archevêque Jean est mort, le 2 juillet 1966. Il fut glorifié (canonisé) par l'Eglise orthodoxe russe en exil en 1994.


Dimitri Andrault de Langeron

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Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


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