samedi 18 avril 2015

Pâques dans les camps de prisonniers, 4 récits (2b/4)






Cher oncle Grishanchik! Te rappelles-tu de l'office des Douze Évangiles  dans notre église de Sergiyevskoye? Te souviens-tu de l'attitude merveilleuse et inimitable de notre petit prêtre? Ce printemps il y aura neuf ans qu'il est décédé au cours de la Liturgie de minuit à Pâques, mais même maintenant, quand j'entends certaines litanies ou certaines lectures d'Évangile, je peux entendre la voix exaltée de notre gentil prêtre, ses intonations perçant jusques à l'âme. Je me souviens que tu as été pris par cet office, qui eut un grand impact sur toi. Je vois maintenant l'immense crucifix s'élevant au milieu de l'église, avec les silhouettes de la Mère de Dieu d'un côté et de l'apôtre Jean de l'autre, encadrés par des lampades multicolores, la flamme vacillante de nombreux cierges, et, parmi la foule totalement familière des paysans de Sergiyevskoye, ta silhouette par le mur de droite en face du comptoir des cierges, avec une expression contemplative sur ton visage. Si tu savais ce qui se passait dans mon âme à cette époque! C'était un retournement total, une immense révélation curative!

Ne sois pas surpris que je t'écrive de cette façon; Je ne pense pas exagérer quoi que ce soit, c'est juste que je ressens une grande émotion à me souvenir de toutes ces choses, parce que je m'interromps en permanence pour aller à la fenêtre et écouter. Une calme, nuit étoilée pèse sur Moscou, et je peux entendre une première, puis une autre église marquer la lecture des Evangiles successifs avec de lents, et mesurés sons de cloche. Je pense à ma Lina et à notre Marinochka, à Papa, à Maman, à mes sœurs, à mes frères, à vous tous, ressentant la tristesse de l'exil dans ces jours, tous si chers et si proches. Quelque douloureuse que soit, surtout en ce moment, la prise de conscience de notre séparation, je crois inébranlablement tout de même que l'heure viendra où nous nous rassemblerons tous, tout comme vous êtes tous réunis maintenant dans mes pensées.

1/14 Avril - ils mont permis de terminer la rédaction des lettres, et je me suis délibérément assis pour la finir cette nuit. Dans une minute, les matines de Pâques va commencer; dans notre cellule tout est propre, et sur notre grande  table commune, il y a des koulitchs et de la paskha, un énorme "XB" [Christos Voskrese "Christ est ressuscité"] de cresson frais est joliment aménagé sur une nappe blanche avec des œufs aux couleurs vives tout autour. Il y a un calme inhabituel dans la cellule; afin de ne pas éveiller les gardes, nous sommes tous couchés sur les lits du bas (nous sommes 24!) en prévision de la sonnerie des cloches, et je me suis assis pour vous écrire à nouveau.

Je me souviens que je suis sorti de l'église de Sergiyevskoye à ce moment submergé par une masse de sentiments et de sensations, et mon brouillard spirituel d'un peu plus tôt, semblait une vétille, ne méritant aucune attention. 

Dans les grandes images des offices de la Semaine Sainte, l'horreur du péché de l'homme et de la souffrance du Créateur menant à la grande victoire de la résurrection, j'ai découvert soudain ce commencement éternel, indestructible, qui était aussi en ce printemps temporairement calme, se cachant dans la graine d'un renouveau total de tout ce qui vit. Les offices ont continué dans leur ordre rigoureux et riche; les images ont remplacé les images, et quand, le Samedi Saint, après le chant de "Lève-toi, Seigneur," le diacre, ayant changé son vêtement pour être en blanc, marche dans le centre de l'église vers l'épitaphios pour lire l'Evangile de la résurrection, il me semble que nous sommes tous aussi ébranlés, que nous ressentons tous la même chose et que nous prions comme un seul être.

Dans l'intervalle, le printemps est passé à l'offensive. Quand nous sommes entrés aux matines de Pâques, la nuit était humide, de lourds nuages ​​couvraient le ciel, et marchant à travers les ruelles sombres du parc aux tilleuls, j'ai imaginé un mouvement dans le sol, comme si d'innombrables plantes invisibles poussaient à travers la terre pour aller vers l'air et la lumière.

Je ne sais pas si nos Matines de Pâques à minuit, ont fait une impression quelconque sur vous alors. Pour moi, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais, rien de mieux que Pâques à Seriyevskoye. Nous sommes tous trop organiquement liés à Sergiyevskoye, pour que quoi que ce soit le transcende, pour évoquer autant de bien. Ce n'est pas là un patriotisme aveugle, parce que pour nous tous, Seriyevskoye était ce berceau spirituel dans lequel tout ce par quoi chacun de nous vit et respire, est né et a grandi.

Mon cher oncle Grishanchik, comme je te l'ai écrit, la sonnerie des cloches éparpillées autour de Moscou est devenue un son festif puissant. Les processions ont commencé, les bruits de pétards nous parviennent, une église après l'autre rejoint le vacarme croissant des cloches. La vague de son s'enfle. Là! Quelque part tout à proximité, une petite église rompt brillamment l'accord commun avec une telle joie, avec une petite voix qui exulte. Parfois, il semble que le tumulte a commencé à décliner, et soudain une nouvelle vague se précipite avec une force inattendue, un grand hymne entre ciel et terre.

Je ne peux pas écrire plus! Ce que j'entends maintenant, c'est trop irrésistible, trop bon, pour essayer de le transmettre en mots. Le sermon incontestable de la Résurrection semble s'élever depuis ce puissant éclat de louange. Mon cher oncle Grishanchik, il est si bon dans mon âme que la seule façon dont je puisse t'exprimer mon état d'esprit est de te dire une fois de plus, le Christ est ressuscité!

Georgy.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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