jeudi 16 avril 2015

Pâques dans les camps de prisonniers, 4 récits (1/4)



XB!
Ce qui suit sont quatre récits extraordinaires de la célébration de Pâques dans les camps de prisonniers. Le premier vient du camp de concentration de Dachau en 1945, le deuxième de la prison de Boutyrka à Moscou en 1928, et le troisième et le quatrième du camp de prisonniers de Solovki dans les années 1920.

Le premier récit, par le regretté Gleb Rahr (2006), raconte l'histoire de la célébration de Pâques à Dachau peu après sa libération en 1945. Il est parmi les choses les plus extraordinairement émouvantes que j'ai jamais lues. Il a été affiché sur un bon nombre de sites et de blogs, mais je ne puis m'empêcher de le reproduire une fois de plus. La photographie ci-dessous montre l'intérieur de la chapelle orthodoxe russe à Dachau, que mentionne l'auteur. Remarquez en particulier la grande icône derrière l'Autel.

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Voici le récit de mon père sur la manière dont il a célébré la fête en 1945.

Le dernier transport de prisonniers de Buchenwald arrive. Des 5.000 à l'origine destinés à Dachau, j'étais parmi les 1300 qui avaient survécu au voyage. Beaucoup furent tués, certains sont morts de faim, tandis que d'autres moururent du typhus...

28 avril: mes codétenus et moi pouvons entendre le bombardement de Munich qui se déroule à environ 30 km de notre camp de concentration. Comme le bruit de l'artillerie se rapproche toujours plus près depuis l'ouest et le nord, des ordres sont donnés interdisant aux prisonniers de quitter leurs casernes en toutes circonstances. Des soldats SS patrouillent dans le camp sur des motos, tandis que des mitrailleuses sont dirigées sur nous depuis les tours de guet, qui entourent le camp.

29 avril: Le son de déflagration de l'artillerie a été rejoint par les rafales en staccato des mitrailleuses. Des obus sifflent sur le camp venant de toutes les directions. Soudain, des drapeaux blancs apparaissent sur les tours, signe d'espoir que les SS se rendraient, plutôt que de tirer sur tous les prisonniers et de combattre jusqu'au dernier homme. Puis, vers 18h00, un bruit étrange peut être détecté émanant de quelque part près de la porte du camp, et qui augmente rapidement de volume...

Enfin, tous les 32.600 prisonniers se joignent dans un cri alors que les premiers soldats américains apparaissent juste derrière les grilles du camp. Après un court moment, l'électricité est coupée, les portes s'ouvrent et les GI américains font leur entrée. Comme ils regardent les yeux écarquillés notre sort, faméliques que nous sommes et malades du typhus et de dysenterie, ils paraissent plus comme des garçons de quinze ans que comme des soldats épuisés par le combat...

Un comité international des prisonniers est formé pour prendre en charge l'administration du camp. De la nourriture des magasins des SS est mise à disposition de la cuisine du camp. Une unité de l'armée américaine offre également sa contribution en nourriture, m'offrant ainsi ma première occasion de goûter au maïs américain. Par ordre d'un officier américain les radio-récepteurs sont confisqués aux "nazis de premier plan" dans la ville de Dachau, et distribués aux divers groupes nationaux de prisonniers. Les nouvelles arrivent: Hitler s'est suicidé, les Russes ont pris Berlin, et les troupes allemandes se sont rendues dans le Sud et dans le Nord. Mais les combats font toujours rage en Autriche et Tchécoslovaquie...

Naturellement, j'étais toujours conscient du fait que ces événements importants se déroulaient pendant la Semaine Sainte. Mais comment pourrions-nous le marquer, autrement que par nos prières silencieuses, individuelles? Un compagnon de captivité et interprète en chef du comité du prisonnier international, Boris F., fit une visite dans ma caserne infestée par le typhus au "bloc 27" pour m'informer que des efforts étaient en cours, en collaboration avec les comités de prisonniers nationaux de Yougoslavie et de Grèce pour organiser un office orthodoxe pour le le 6 mai, jour de Pâques.

Il y avait des prêtres orthodoxes, des diacres et un groupe de moines du Mont Athos parmi les prisonniers. Mais il n'y avait pas de vêtements liturgiques, pas de livres, pas d'icônes, pas de cierges, pas de prosphores, pas de vin...

Les efforts visant à obtenir tous ces articles de la paroisse russe de Munich échouèrent, car les Américains ne pouvaient tout simplement pas localiser une seule personne de cette paroisse dans la ville dévastée. Néanmoins, certains problèmes purent être résolus. 

Les quelque 400 prêtres catholiques détenus à Dachau avaient été autorisés à rester ensemble dans une caserne, et à réciter la messe chaque matin avant d'aller travailler. Ils nous ont offert à nous les orthodoxes l'utilisation de leur salle de prière au "bloc 26", qui était juste en face de mon propre "bloc". 

La chapelle était nue, n'ayant qu'une table en bois et une icône de la Théotokos de Chestokhova accrochée sur le mur au-dessus de la table - une icône qui avait son origine à Constantinople et avait été plus tard emportée à Belz en Galice, où elle fut ensuite prise aux orthodoxes par un roi de Pologne. 

Lorsque l'armée russe chassa les troupes de Napoléon de Chestokhova  cependant, l'abbé du monastère de Chestokhova donna une copie de l'icône au tsar Alexandre Ier, qui la plaça dans la cathédrale de Kazan à Saint-Pétersbourg où elle fut vénérée jusqu'à la saisie du pouvoir des bolcheviques. 

Une solution créative au problème des vêtements liturgiques fut également trouvée. Des serviettes de lin neuves furent prises à l'hôpital de nos anciens gardes SS. Lorsqu'elles furent cousues ensemble sur la longueur, deux serviettes formèrent un épitrachelion et quand elles furent cousues aux extrémités, elles devinrent un orarion. Des croix rouges, destinées à l'origine à être portées par le personnel médical des gardes SS, furent mises sur les serviettes-vêtements liturgiques.

Le dimanche de Pâques, 6 mai (23 Avril selon le calendrier de l'Église), qui tomba cette année-là comme un signe  sur la fête de saint Georges le Tropéophore [porteur de victoire], les Serbes, les Grecs et les Russes se rassemblèrent dans la caserne des prêtres catholiques. Bien que les Russes représentaient environ 40 pour cent des détenus de Dachau, seuls quelques-uns réussirent à assister à l'office. 

À ce moment des "officiers de rapatriement" des unités spéciales "Smersh"  [СМЕРШ] étaient arrivées à Dachau par des avions militaires américains, et avaient commencé le processus d'ériger de nouvelles lignes de barbelés dans le but d'isoler les citoyens soviétiques du reste des prisonniers, ce qui était la première étape pour les préparer à leur éventuel rapatriement forcé. 

Dans toute l'histoire de l'Église orthodoxe, il n'y a probablement jamais eu un office de Pâques comme celui de Dachau en 1945. Les prêtres grecs et serbes ensemble, avec un diacre serbe, ont revêtu leurs "vêtements liturgiques de fortune" sur leurs uniformes de prisonniers rayés bleu et gris. Puis ils ont commencé à chanter, passant du grec au slavon, puis de nouveau au grec. Le Canon de Pâques, les Stichères de Pâques… tout a été récité de mémoire. L'Evangile: "Au commencement était le Verbe," également de mémoire.

Et enfin, l'homélie de saint Jean Chrysostome - également de mémoire. Un jeune moine grec de la Sainte Montagne se leva devant nous et la récita avec un tel enthousiasme contagieux que nous ne l'oublierons jamais, aussi longtemps que nous vivrons. Saint Jean Chrysostome lui-même semblait parler à travers lui pour nous, et pour le reste du monde aussi bien! 

Dix-huit prêtres orthodoxes et un diacre - dont la plupart étaient des Serbes, ont participé à cet office inoubliable. Comme le malade qui avait été descendu à travers le toit d'une maison et placé aux pieds du Christ Sauveur, l'archimandrite grec Meletios fut amené sur une civière dans la chapelle, où il resta prostré pendant la durée de l'office.

Les prêtres qui participèrent à l'office de Pâques 1945 à Dachau sont commémorés à chaque service divin tenu dans la chapelle commémorative orthodoxe russe de Dachau, avec tous les chrétiens orthodoxes, qui ont perdu leur vie "en ce lieu ou dans un autre lieu de torture" ("на месте семь ив иных местах мучения умученных и убиенных" [na meste sem iv inykh mestakh mucheniya umuchennykh i ubiennykh]). 

La Chapelle de la Résurrection de Dachau, qui fut construite par une unité du groupe occidental de l'armée des forces de Russie, juste avant leur départ d'Allemagne en août 1994, est une réplique exacte d'une église ou chapelle  de Russie du Nord aux dix dômes (Shatrovyie). 

Derrière la table-autel de la chapelle est une grande icône représentant des anges ouvrant les portes du camp de concentration de Dachau et le Christ lui-même conduisant les prisonniers vers la liberté. 

Aujourd'hui, j'aimerais profiter de l'occasion pour vous demander, chrétiens orthodoxes du monde entier, de transmettre les noms des compatriotes orthodoxes qui ont été emprisonnés et sont morts ici à Dachau ou dans d'autres camps de concentration nazis, afin que nous puissions les inclure dans nos prières. 

Si jamais vous venez en Allemagne, n'oubliez pas de visiter notre chapelle russe sur le site de l'ancien camp de concentration de Dachau, et priez pour tous ceux qui sont morts "en ce lieu ou dans un autre lieu de torture."

Le Christ est ressuscité!
أل مسيح قام

Khristos voskrese! Christos anesti! Le Christ est ressuscité! Al Massih Qam!

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


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