lundi 23 mars 2015

Jean-Claude LARCHET: Recension: Jean Chrysostome, « Trop occupé pour t’occuper de ta vie ? Le guide au quotidien d’un Père de l’Église »



Jean Chrysostome, « Trop occupé pour t’occuper de ta vie ? Le guide au quotidien d’un Père de l’Église ». Textes choisis et présentés par Guillaume Bady, collection « Épiphanie », Éditions du Cerf, Paris, 2015, 214 p.

Ce livre, qui est une anthologie de textes de saint Jean Chrysostome, renouvelle le genre en faisant voir, par ses choix et par ses titres et sous-titres, combien la parole de l’illustre prédicateur du IVe siècle, loin d’être attachée à un contexte géographique, historique, sociologique et culturel qui lui ferait perdre tout rapport avec notre époque et nos conditions d’existence présentes, reste actuelle par sa forme et son contenu, et peut aujourd’hui encore alimenter notre vie spirituelle.

Laissons l’auteur présenter lui-même son travail : « Progression des textes, regroupements et titres proposent ici un parcours qui est comme un chantier de construction en plusieurs étapes. Joyeusement destructrice, la première est iconoclaste et anticonformiste : contre l’hypocrisie religieuse (“Halte au pharisaïsme”), contre les conventions trop humaines (“Dieu se moque des conventions”), contre les idées toutes faites (“Dieu n’est pas celui qu’on croit”). La deuxième déblaie et creuse le terrain: on se débarrasse des faux prétextes (“Nul obstacle pour vivre avec Dieu”) pour laisser la liberté à nu (“Libres comme Dieu”). La troisième pose de nouvelles fondations: l’amour (“Hymne à l’amour”), base de la vie d’une maison (“Un foyer sans foi?”). À partir de là grandit l’édifice : la quatrième fait apparaître le plan d’une Église (“Un peuple imparfait”) qui ne se limite pas à l’église (“Le sacerdoce quotidien des fidèles”). La cinquième dresse des piliers (“Prier, même quand on ne sait pas”) et donne du volume intérieur (“La liturgie, un temps peu ordinaire”). La sixième ouvre des portes (“L’eucharistie du frère”) et des fenêtres (“Le pardon est plus grand que le péché”). La septième, enfin, laisse le toit ouvert sur le ciel (“Un voyage sans fin”) …et le chantier inachevé. Les travaux, on sait quand ça commence… C’est pourquoi, sans respecter les étapes, l’ensemble se prête volontiers aussi à une lecture “à sauts et à gambades”, au gré de l’envie ou de la curiosité. »

Les sous-titres sont plus accrocheurs encore que les titres, quitte à friser parfois la trivialité. Citons-en quelques-uns : « Une vie de péplum et d’Évangile », « Un saint ou une brute? », « Le scandale du siècle », « Une course de chars vers le salut », « Des morceaux de vertu pour les affamés », « Du sel pour l’universel », « Le ras-le-bol du pasteur », « Halte au piston », « Trop occupé pour lire les Écritures? », « Une femme comme maître! », « Laisse l’âne faire le mulet », « Foin du jeunisme », « Dieu est amoureux », « Dieu le Père a-t-il une barbe blanche? », « Une femme libre », « Comment dire “Je t’aime” », « Quelles femmes on trouve chez les chrétiens! », « Le catéchisme, pas l’enfantillage », « Marie, mère possessive », « La mécanique des fluides spirituels », « Éloignez de moi le tapage de vos cantiques (Am 5, 23) », « Une terreur, un insoutenable plaisir », « Diogène, sors de ton tonneau! », « Petit cours d’agronomie spirituelle ».Certains de ces sous-titres sont, en tant que résumés, déjà riches d’enseignement, notamment en réveillant l’intelligence par leur caractère paradoxal ou leur questionnement qui reflètent bien l’esprit évangélique : « Si l’un de vous semble être sage, qu’il devienne fou », « Le temple le plus précieux, c’est ton frère », « Pas de moment inopportun », « Où fuis-tu? », « La croix, une honte? », « Une dette qui enrichit », « Un et un font vingt », « Cessons cette guerre en nous-même », « Des statues vivantes », « La famille suffit-elle ? », « Veux-tu te décharger de tout sur l’Église ? », « Chaque jour est une fête », « Les pieds marchent-ils sans le corps? », « Un seul frère vous manque et tout est dépeuplé », « On ne possède vraiment que ce que l’on donne », « Le pire des malheurs, c’est de faire le mal », « L’ivraie pourrait devenir du bon grain », « Le pardon, un geste de première urgence », « Ce qui est pire que la faute, c’est de s’y maintenir », « Comme l’étincelle au contact de l’océan », « L’espérance ne trompe pas », « Accomplir nous-mêmes ce que nous demandons », « La nature du chrétien est de rayonner »

Il faut féliciter Guillaume Bady – ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégé de Lettres classiques, docteur en études grecques, ancien élève titulaire de l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, et chargé de recherche au CNRS (Institut des « Sources chrétiennes »), qui développe parallèlement une œuvre patrologique très sérieuse – d’avoir pris le risque de s’engager sur cette voie de vulgarisation que la plupart de ses collègues non seulement évitent d’emprunter, mais méprisent.

C’est pourtant l’une des des voies dans lesquelles doit s’engager aujourd’hui la pastorale si elle veut que les Pères n’apparaissent pas comme des écrivains d’un passé révolu ou des sujets d’études spécialisées réservées à une élite, mais bien comme des maîtres à penser et à vivre qui ont, aujourd’hui encore, des choses pertinentes à nous dire dans un langage qui nous est parfaitement accessible.On peut espérer que cette anthologie attrayante incitera ses lecteurs à lire des œuvres plus développées de saint Jean Chrysostome. Ses œuvres complètes, disponibles sur Internet dans une traduction qui n’a pas la rigueur des traductions actuelles, mais souvent beaucoup plus d’élégance qu’elles, offrent de vastes perspectives.
Jean-Claude Larchet

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