jeudi 12 février 2015

Anastasia Verina: Entrevue avec l'higoumène Damascène [Orlovsky] sur les Nouveaux Martyrs de Russie (1/2)



Igumen Damascene (Orlovsky).
Higoumène Damascène [Orlovsky]




L'Eglise orthodoxe russe a glorifié ceux qui ont souffert sous le joug communiste, les saints nouveaux martyrs et confesseurs de Russie. Leur fête est commémorée le dimanche le plus proche du 25 Janvier (calendrier julien). L'higoumène Damascène (Orlovsky) est membre de la commission synodale pour la canonisation des saints de l'Eglise orthodoxe russe, et Président de la Fondation pour le "Souvenir des martyrs et confesseurs de l'Église orthodoxe russe." Il est l'auteur d'une série de volumes intitulée Martyrs, Confesseurs et Pieux Ascètes de l'Eglise orthodoxe russe au XXème siècle. [1]


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Les martyrs de la foi ont toujours eu une signification particulière pour l'Eglise du Christ; et ce n'est pas par hasard si la Liturgie doit être servie sur les reliques de martyrs. Qu'est-ce que les nouveaux martyrs et confesseurs signifient pour notre Église aujourd'hui?

-L'Eglise, selon les paroles du saint hiérarque, est construite sur le sang des martyrs, et ceci est vrai non seulement dans un sens connotatif, mais aussi littéralement. La Divine Liturgie est servie sur un antimension, dans lequel, selon une ancienne tradition, les reliques des martyrs sont cousues. L'Eglise orthodoxe russe a toujours emprunté des antimensia d'autres Eglises orthodoxes locales, malgré le fait qu'elle est plus grande en territoire et en nombre de membres que toutes les autres Eglises locales prises ensemble, même si elle est relativement jeune et n'est pas commémorée parmi les premières des patriarcats. Mais après la canonisation des nouveaux martyrs de l'année 2000, nous avons maintenant suffisamment de reliques de martyrs pour fournir des antimensia pour servir la Liturgie sur tous les autels jusques à la Parousie [seconde venue du Christ].

Une grande chose est vue de loin, et c'est quelque chose qui n'est pas entièrement reconnu par nos contemporains, mais au XXe siècle, plus de saints se sont montrés en Russie qu'au cours des 900 années précédentes de l'existence de l'Eglise russe. Il y a même plus de saints qui n'ont pas été canonisés par leur nom.

Selon les paroles de saint Syméon le Nouveau Théologien, celui qui ne veut pas s'unir dans l'amour et l'humilité d'esprit avec les derniers des saints ne s'unira jamais avec les saints antérieurs. Car, si une personne ne reconnaît pas ou n'accepte pas la sainteté de ceux qui sont si proches de lui, comment peut-il parvenir à la sainteté qui est si éloignée de lui?

L'expérience des Nouveaux Martyrs et Confesseurs est beaucoup plus proche de nous que l'expérience des anciens saints. Les conditions de vie et podvigs [exploits ascétiques] de saint Serge de Radonège, par exemple, ou même des saints plus proches de notre époque, comme saint Séraphim de Sarov, sont tellement différents de notre vie moderne qu'il est pratiquement impossible pour nous d'aborder leur expérience. 

Les saints glorifiés ["canonisés" par le Patriarcat de Moscou] en 2000 vivaient dans notre propre période historique, et nous pouvons entrer dans leur expérience. Il y a beaucoup de saints différents parmi eux: toutes les facettes de l'individu russe aux multiples facettes sont reflétées en eux, et chacun de nous peut trouver quelqu'un qui est proche de nous.

-A votre avis, comment pouvons-nous expliquer la chute de l'Empire et de la monarchie orthodoxe russe, ou la montée d'un gouvernement athée, sous lequel des persécutions terriblement cruelles  ont commencé dès le début?

Solovki concentration camp. The fishing net workshop. Archpastors and pastors of the Russian Orthodox Church.

Camp de concentration de Solovki
L'atelier des filets de pêche. 
Hiérarques et pasteurs de l'Eglise orthodoxe russe.

-Afin de comprendre pourquoi les martyrs apparaissent, nous devons comprendre que l'Eglise n'est pas de ce monde, et son chef est le Seigneur Lui-même. Ce monde, qui vit en tout temps dans toutes sortes de péché, et qui se trouve dans le mal, a toujours fait la guerre contre le Christ et son Église, et la fera toujours. Cela a été immuable depuis l'établissement de l'Église du Christ, et il en sera ainsi jusques à la fin. Parfois, cette guerre dégénère en une tentative ouverte de détruire l'Eglise et tous les disciples du Christ, alors une époque du martyre commence: une ère de confession de la foi et de fidélité au Christ.

Quant à l'état spirituel de la Russie avant la révolution et du peuple russe qui vivait alors, il pourrait difficilement être qualifié sans problème. Le système de domination de l'Etat avait atteint une impasse, qui ne pouvait se terminer que dans la révolution. La "monarchie orthodoxe " a été construite selon le modèle de l'Europe occidentale. En conséquence, elle a considéré le servage, qui a été introduit par des institutions non-chrétiennes, comme une chose normale, et elle n'aurait pas pu tenir plus longtemps. 

L'état moral et spirituel du peuple russe, y compris dans le cadre de la paysannerie, n'était pas aussi sain que beaucoup de nos contemporains voudraient le croire. Les croyants orthodoxes étaient déjà une minorité parmi l'aristocratie dirigeante du dix-neuvième siècle. 

Quant à la paysannerie, vers la fin du XIXe siècle, grâce aux réformes dans le domaine de l'éducation populaire, un "décapage" massif de l'éducation religieuse eut lieu avec le peuple. L'éducation populaire est devenu presque exclusivement l'apanage du ministère de l'Education, et elle est tombée dans les mains de bureaucrates non-religieux qui ont su créer dans le peuple un mode de pensée qui n'était pas du tout orthodoxe. 

En outre, l'Eglise orthodoxe avait l'interdiction totale d'éduquer et d'éclairer le peuple, et l'influence des écoles paroissiales de l'église avait été réduite à zéro par le début du XXe siècle. Ainsi, au début du XXe siècle, il y avait déjà deux générations d'enfants qui avaient été formés dans ces écoles, et qui se sont avérées être tout à fait prêtes à participer à une révolution athée, anti-religieuse.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

[1]Seul le premier volume de cette série a été publié en anglais: New confesseurs of Russia, Nijni-Novgorod province, (Platina, Saint Herman of Alaska Brotherhood: 1998)

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