mercredi 18 février 2015

A propos des "fondamentalistes" (sic!) orthodoxes



Le site Parlons d'Orthodoxie a publié il y a quelques jours l'article d'un "théologien" sur le "fondamentalisme orthodoxe." Le Père John Whiteford a démontré sur son blog la vacuité de pensée de cet intellectuel qui ne se paie que de mots, mais dans le sens de l'histoire et de la "théologie" new look (bien sûr!) qui a autant de rapport avec celle des Pères que la musique punk en a avec l'œuvre de Bach. 




Lundi 2 février 2015

Réponse du Père John Whiteford à l’article "Les Fondamentalistes Orthodoxes" de George Demacopoulos

Le Docteur George Demacopoulos de l'Université Fordham a récemment publié un article intitulé "Les fondamentalistes orthodoxes," sur le site Internet de l'archidiocèse grec. Il présente un certain nombre de problèmes que je pense devoir souligner.

Pour commencer, il n’explique pas vraiment ce qu'il entend par le terme "fondamentaliste". Le terme, lorsqu’il qu'il avait été inventé, se référait à ces protestants conservateurs qui, en réponse aux tendances modernistes, en particulier dans les dénominations protestantes, posait en principe qu'il y avait cinq croyances fondamentales (on pourrait même dire "minimales")  auxquelles les chrétiens devaient adhérer:

1. L'inspiration et l'infaillibilité de l'Écriture
2. La divinité de Jésus-Christ
3. La naissance virginale du Christ
4. L’œuvre substitutive, expiatoire du Christ sur la Croix
5. La résurrection physique et le retour corporel personnel du Christ sur terre

Le terme "fondamentaliste" fut plus tard (à partir de 1979, à l'époque de la crise des otages en Iran) appliquée aux musulmans radicaux, et puis plus tard à n’importe quelle expression conservatrice de toute religion. Je ne pense pas que cet élargissement de la signification du terme était un geste accidentel. C’était une tentative d'associer les chrétiens conservateurs, comme Jerry Falwell et son groupe "The Moral Majority" [la Majorité Morale] avec les semblables de l'ayatollah Khomeiny et d’Oussama ben Laden, et cela a été fait à des fins de politique intérieure. Le terme a donc vraiment cessé d'avoir beaucoup de sens, en dehors de ceux qui souhaitent l'utiliser comme synonyme de "stupide", et cela semble être le premier niveau de sens pour lequel le Dr Demacopoulos utilise le terme.

Le Dr Demacopoulos établit une connexion lâche avec le sens originel du terme quand il dit: "Comme d'autres mouvements fondamentalistes, le fondamentalisme orthodoxe réduit tout l'enseignement théologique à un sous-ensemble d'axiomes théologiques puis mesure la valeur des autres par rapport à eux." Le seul problème avec cette déclaration, c’est qu'il
 ne donne aucun exemple, et la déclaration n’est tout simplement pas vraie. Si nous prenons, par exemple, les anciens calendaristes grecs, qui seraient parmi les candidats les plus susceptibles de tomber dans la catégorie dont le Dr Demacopoulos parle, vous pourriez dire que la question du calendrier est utilisée par eux comme un test de mise à l'épreuve, mais il n’est guère de cas où ils diraient qu’il est seulement nécessaire d’être à l’ancien calendrier [Julien] pour satisfaire leur définition de fidélité à l'Orthodoxie. En fait, la faute des grecs anciens calendaristes, n’est pas qu'ils ont une compréhension minimaliste de l'Orthodoxie, mais qu'ils sont maximalistes et qu'ils accordent une trop grande importance à certaines questions qui ne devraient pas être matière à rompre la Communion. Même parmi les anciens calendaristes eux-mêmes, il en est qui sont encore divisés sur de nombreuses questions. Donc, en fait, leur tendance est exactement le contraire des protestants fondamentalistes, qui se concentraient vraiment sur le minimum que l’on devait croire. Et c’est en fait les modernistes orthodoxes qui tentent généralement de réduire les "données essentielles" de l'Orthodoxie au plus petit commun dénominateur, et donc ils sont beaucoup plus près d'être fondamentalistes au sens originel du terme.

Le Dr Demacopoulos affirme ensuite: "L'erreur intellectuelle clé dans le fondamentalisme orthodoxe réside dans le présupposé que les Pères de l'Église étaient d'accord sur toutes les questions théologiques et éthiques." Cette caricature paresseuse de pacotille n’est pas ce à quoi l'on pourrait s’attendre venant d’un professeur de théologie d’une université respectée. Si ceci est l’erreur intellectuelle clé, j’aimerais trouver l’exemple d'une personne qui corresponde effectivement à cette description. Je doute que même le plus acharné et le plus fou des anciens calendaristes que l'on pourrait trouver, dirait que "les Pères de l'Église étaient d'accord sur toutes les questions théologiques et éthiques."

On nous dit alors que "généralement, cela se manifeste par des accusations selon lesquelles les individus, les institutions, ou des branches entières de l'Eglise orthodoxe ne parviennent pas à satisfaire à la norme des règles "auto prescrites" pour l'enseignement orthodoxe." Je serais curieux de savoir pourquoi Saint-Marc d'Ephèse ne serait pas considéré comme un "fondamentaliste orthodoxe," parce qu'il a rompu la communion avec ceux qui ont échoué à répondre à ce que Saint-Marc considérait comme la norme pour l'enseignement orthodoxe. Probablement, la réponse que nous aurions est que Saint-Marc n’était pas un troglodyte intellectuel, mais peu importe, il y a évidemment des limites qui peuvent être franchies qui justifient une telle action, et donc la question n’est pas de savoir si quelqu'un est fondamentaliste parce qu'il croit qu'il y a de telles frontières, mais plutôt à cause des mérites des questions spécifiques en jeu... qui ne nous sont pas fournies dans cet article.

Il va ensuite fournir des exemples qui abattent cet épouvantail de pacotille [id est le "fondamentaliste orthodoxe"] qu’il a fabriqué:

"En effet, une lecture attentive de l'histoire et de la théologie chrétienne établit clairement que certains des saints les plus influents de l'Eglise étaient en désaccord les uns avec les autres, parfois très amèrement. Saint Pierre et saint Paul étaient en désaccord sur la circoncision. Saint Basile et saint Grégoire le Théologien se sont affrontés sur la meilleure façon de reconnaître la divinité du Saint-Esprit. Et saint Jean Damascène, qui vivait dans un monastère sous le califat islamique, a abandonné la tradition hymnographique qui l'a précédé afin d’en développer une nouvelle qui a répondu aux besoins de sa communauté. "

Là encore, nous trouvons de négligentes exagérations. Où trouvons-nous saint Pierre et saint Paul en désaccord sur la circoncision? On les retrouve en accord très clair sur cette question dans Actes 15. Très probablement, il a à l'esprit le chapitre 2 de Galates, mais le désaccord n’était pas sur la circoncision... c’était sur l'hypocrisie de saint Pierre concernant ceux "de la circoncision" - il n'y a aucune indication qu'ils eurent un désaccord de fond sur la question. Ils avaient un désaccord sur le comportement et l'incohérence de saint Pierre, et saint Paul l'a interpelé sur cette question, bien en face, et en présence de tous (Galates 2: 11,14). Il n’y a également aucune indication dans le texte, ni dans la Tradition ecclésiale que ce fut un sujet de désaccord en cours ou de division entre ces deux saints. Ce fut plutôt l’exemple prouvant qu’un grand saint était capable de tomber dans une erreur temporaire.

Il est également clairement excessif de prétendre que saint Jean Damascène "abandonna la tradition hymnographique qui l'a précédé." Quelle était la tradition hymnographique qui l'a précédé? La façon dont les aspects les plus anciens des offices ont généralement fini par être mis à l'écart n’a généralement été qu’ils soient remplacés par de nouveaux hymnes, mais plutôt qu’ils aient été complétés par des hymnes plus récents, puis avec le temps, certains des textes plus anciens ont été généralement omis. Si vous prenez l'introduction des textes que nous utilisons maintenant, les canons à Matines, ces hymnes ont été chantés à l'origine avec les Odes bibliques qui étaient les textes plus anciens qui ont précédé la composition de ces hymnes. Seulement au fil du temps s’est généralement développée la pratique d'omettre les odes, et de retenir les tropaires qui ont été composés pour être chantés avec elles (même si la pratique est encore plus suivie dans une certaine mesure les jours de semaine du Grand Carême). Donc, suggérer que saint Jean jeta tout ce qui a précédé, est tout simplement contraire aux faits.

En outre, il y a une petite différence quand un saint homme, tels que saint Jean Damascène, introduit une nouvelle pratique liturgique, que quand c’est un comité de "théologiens fumeurs de cigare" qui le fait. Par exemple, la pratique grecque de dire "Avec crainte de Dieu et avec foi et amour, approchez" est clairement un changement de la forme originale "Avec crainte de Dieu et  foi, approchez". Mais ce fut, je crois, présenté par les Pères des Collyvades. Il m'a été dit par quelqu'un qui est une bonne source sur la question, que saint Jean de Changhaï a également suivi cette pratique. Je suis enclin à me plier à la sagesse de ces saints, mais pense qu’il est juste d'être sceptique à propos des changements qui sont introduits par quelqu'un qui peut être très intelligent, mais qui ne n’est pas dans la même stature que ces saints.

Nous trouvons encore une hyperbole lorsque le Dr Demacopoulos affirme: "Il est important de comprendre que les fondamentalistes orthodoxes renforcent leur lecture réductrice des Pères de l'Église par des mensonges supplémentaires. L'un de ceux les plus fréquemment adoptés est l'affirmation que la communauté monastique a toujours été la gardienne de l'enseignement orthodoxe. Un autre insiste [disant] que les Pères étaient "anti-intellectuels". Et un troisième exige que l'adhésion aux enseignements des Pères nécessite que l’on résiste à toutes choses occidentales."

S’il est vrai que les communautés monastiques ont généralement été les bastions de l'Orthodoxie, je ne connais personne qui dirait que cela a toujours et invariablement été ainsi. Je doute qu'un seul exemple pourrait être produit par quiconque soutiendrait sérieusement que les Pères étaient anti-intellectuels. Et l'exemple le plus proche de celui qui fait valoir que les enseignements des Pères nécessitent que l'on "résiste à toutes les choses de l'Occident" serait le Père John Romanides, et ses admirateurs... mais même pas eux ne feraient une telle déclaration péremptoire comme cela est fait ici, et je ne pense pas que le Père John Romanides était anti-intellectuel.

Et lorsque le Dr Demacopoulos émet l'hypothèse que "Par la réorientation de la tradition comme arme politique, l'idéologue trompe ceux qui ne sont pas enclins à remettre en question la crédibilité de leurs chefs religieux", il serait utile qu’il veuille fournir quelques exemples et donner quelques noms, afin que nous ayons une idée de qui, et de quoi il parle.

En outre, je ne suis pas sûr que "L'importance des Pères réside dans leur quête sincère et déchirante pour l’âme de chercher Dieu et de Le partager avec le monde." Si tel était le cas, je ne suis pas sûr de savoir comment ils seraient différents de Lao Tseu, de Gautama Bouddha, de Socrate, ou de Mahomet. Leur importance est dans la façon dont ils ont expliqué, articulé, transmis, et sincèrement soutenu "la foi transmise aux saints une fois pour toutes" (Jude 1: 3). Ce n’étaient pas seulement des hommes intelligents qui étaient sérieux, mais des hommes saints qui reçurent la foi des Apôtres, et la transmirent sans altération - et, ce faisant, face à de nouveaux défis à cette foi, enrichirent l'Eglise de leurs paroles, de leur vie et de leurs fidèles exemples. Nous comprenons mieux la foi à cause d'eux, mais nous n’avons pas actuellement une nouvelle foi, ou une foi différente.

Et il termine par cet appel à l'action: "Il est temps pour les hiérarques orthodoxes et dirigeants laïcs de proclamer de manière générale que la pertinence attachante des Pères de l'Église ne réside pas dans l'adhésion servile à un ensemble fossilisé de propositions utilisées dans l'autopromotion." Mais je ne vois pas comment les hiérarques orthodoxes ou les responsables laïcs peuvent répondre à son appel, même s’ils étaient enclins à le faire, parce que le Dr Demacopoulos ne nous donne aucune indication de qui ou de quoi il parle exactement.

Si quelqu'un, correctement dépeint dans les descriptions trouvées dans cet article, peut être montré du doigt, je crois certainement qu’une telle personne serait digne de critique. Mais parlons clairement, plutôt que de lancer dans le débat des termes dénués de sens qui veulent nous faire croire qu'il existe une réelle ligne d'accord philosophique entre la moyenne conservatrice évangélique protestante, certains groupes indéterminés de chrétiens orthodoxes, et les terroristes djihadistes qui décapitent et lapident ceux avec qui ils sont en désaccord.

(Mise à jour: Quelqu'un m'a renvoyé à la conférence à laquelle le Dr Demacopoulos faisait apparemment allusion. Il y eut une conférence (intitulée "Théologie Patristique et Hérésie Post patristique ") donnée au Pirée, en Grèce, le 15 Février 2012, qui était au moins en grande partie en réponse à la conférence de Volos mentionnée. Parmi ses orateurs étaient le Protopresbytre George Metallinos, professeur émérite de l'Université d'Athènes, et le Métropolite Hiérothée [Vlachos]. Sont-ils vraiment les "fondamentalistes orthodoxes" qui prétendent que les Pères étaient "anti-intellectuels", et étaient d’accord entre eux sur tous les points de théologie et d'éthique? Vous pouvez lire leurs conférences, parmi d’autres conférences, dans un format pdf, en cliquant ici et en cliquant .)

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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