Sur
le monachisme contemporain :
entrevue de
Kristina Poliakova
avec
l’Archevêque Marc (Arndt)
-Votre Eminence, à
votre avis, existe-t-il des différences significatives entre les monastères en
Occident et en Russie?
- J'ai vécu toute ma vie en dehors de la Russie
et je ne puis pas évaluer objectivement le monachisme russe. Je suis devenu moine
en ayant vu le genre de vie monastique qui’il était impossible d'avoir sous les
Soviétiques, j'ai donc grandi dans l'expérience de monastères à
l’étranger : les serbes et ceux du mont Athos. Mais je vois que,
aujourd'hui, beaucoup de choses de
la société –de toute société- changent, et sont en constante évolution.
En Occident, ceux qui entrent dans les
monastères sont confrontés à des difficultés à cause du fait que les gens de
l'Ouest sont éduqués dans l'individualisme, [ils doivent faire] un effort pour
être spéciaux en quelque sorte, et pour cette raison, il est difficile de
partager une cellule monastique résidentiel avec quelqu'un d'autre -plus que
cela, c’est pratiquement impossible. C'est pourquoi je bénis souvent les gens pour
qu’ils partagent une cellule monastique seulement après une certaine période de
temps, permettant à une personne de vivre d’abord dans le monastère pendant
quelques années. De ce que j'ai vu, les monastères sont configurés différemment
en Russie. Les cellules monastiques communes, bien sûr, sont nécessaires: les
gens doivent être en contact les uns avec les autres et ils savent comment le
faire. Par rapport à l'Occident, les moines russes font face à d'autres types
de difficultés. Par exemple, ici, il est difficile de donner une cellule sans douche
privée à un novice. Mais ce problème est résolu différemment selon l'endroit considéré.
Il y a des monastères où tout est moderne -j'ai vu cela en Grèce. Et il y a des
endroits où cela serait impossible, et Dieu merci. Parce que les jeunes ont
besoin d'apprendre la simplicité, dans leur relation avec les autres, dans la
vie quotidienne, dans les besoins personnels, etc… Sans aucun doute, c’est
différent dans chaque pays. Chaque société a ses particularités et ses
difficultés qui doivent être surmontées.
Un des plus grands problèmes que nous endurons
en Occident est l’attachement universel pour les ordinateurs, les téléphones,
dont les modèles de plus en plus récents sont toujours offerts. Ces choses sont
nécessaires pour nous les moines, aussi, mais dans les monastères, l'utilisation
de ces dispositifs doit être réglementée. Vous devez comprendre: une personne
qui est dépendante d'un ordinateur ne peut pas prier correctement. La prière
d'une telle personne sera toujours superficielle. C'est pourquoi l'utilisation
de la technologie moderne doit être limitée à certains moments, restreinte à
des fins spirituelles. Quand un moine est occupé par l'accomplissement de ses
nombreuses obédiences, il peut être difficile pour lui de s’arracher à ces
objets technologiques pendant les offices divins ou la prière intérieure. C'est
pourquoi il est particulièrement important d'enseigner aux jeunes comment se
retirer des soucis quotidiens.
- Peut-être que c'est
un sujet difficile à discuter, mais on dit qu'il y a un déclin de la vie
monastique en Occident, en particulier chez les catholiques. Pouvez-vous
commenter?
- Oui, il y a une certaine faiblesse, il y a
des fautes qui doivent être affrontées et surmontées, mais je ne dirais pas
qu'il est en déclin. Ces choses se produisent dans toutes les sociétés, à tout
moment, et nous ne devons pas tomber dans le désespoir, dans un état de
paralysie. Nous devons travailler pour que tout prenne sa place. Le Seigneur
nous donne d'énormes possibilités. Les possibilités que nous avons maintenant,
en particulier en Russie, ont été peu nombreuses et espacées dans le passé, il
serait préférable de dire que c'est un moment très rare dans le temps. Nous
devons donc prendre des mesures. Ne soyons pas pessimistes, mais regardons le
positif aujourd'hui, sur cette base, nous pouvons construire quelque chose de
bon.
En ce qui concerne les monastères catholiques,
il est en effet une baisse. À mon avis, c'est en partie en raison de l'attitude
générale de la société occidentale qui s'est égaré loin de ses racines
chrétiennes, mais aussi une conséquence du fait que les catholiques n'ont pas
une base solide pour la vie spirituelle, parce qu'ils ont abandonné l'unité de
l'Église. Hors de l'Église point de salut.
- A votre avis, est-il
nécessaire pour les moines d'examiner les règlements et le mode de vie des
autres monastères à l'étranger? Ou bien existe-t-il un modèle pour établir la
vie monastique que tout le monde devrait suivre?
- Il ne peut y avoir aucun modèle établi à
suivre dans la vie chrétienne! Si tout est normalisé, le christianisme, en
règle générale, s'éteint. Il ne faut pas simplement copier quelqu'un ou quelque
chose, tout est individuel. Par exemple, la nature elle-même est complètement
différente en Grèce et en Russie. Cela conduit à différents besoins et
problèmes dans les monastères de ces pays. Mais il est toujours utile de se
familiariser avec les us et coutumes des autres monastères, d'apprendre quelque
chose de bénéfique, ou de comparer ses propres moyens à ceux des autres. Il
faut regarder les aspects positifs des différents monastères et communautés et
les imiter s’il y a un besoin de le faire.
- Monseigneur, à votre
avis, quel est le principal problème dans la vie spirituelle de l'homme
moderne, du moine?
- L'un des principaux problèmes rencontrés par
les chrétiens et surtout par les moines aujourd'hui, c'est que les gens ne sont
pas habitués à se restreindre, à supporter, ou à se forcer à faire quoi que ce soit, à assumer des
obligations, d'abord et avant tout pour la prière. Pour une raison quelconque
nous courons obstinément et constamment après le péché, mais pas après les
bonnes actions, hélas! Un des anciens Pères de l'Eglise a dit que la prière est
plus difficile que de tailler des pierres. Une personne est aujourd'hui portée
à vouloir tout tout de suite, en l'abondance et à bon marché. Nous avons une
société de consommation, tout est souhaité rapidement et facilement. Mais ce
n'est pas le cas, puisque tout ce qui est rapide et facile à obtenir n'est
généralement pas apprécié. C’est seulement en obtenant quelque chose par un
grand effort et une grande persévérance qu’une personne lui confère une grande
valeur. C'est pourquoi la persistance dans la prière ne demande qu’une telle
approche, et, je pense que c'est l'un des principaux obstacles rencontrés par
l'homme moderne, qui n'est pas habitué à parvenir à quoi que ce soit par la
patience et par des efforts laborieux.
La prière de Jésus est nécessaire à l'homme
moderne! Aucun chrétien ne peut se passer de cette prière.
- La prière de Jésus est-elle
accessible à l'homme contemporain?
- Bien sûr. En outre, c’est absolument crucial!
Non seulement les chrétiens en général, mais en particulier les moines en ont
besoin. Mais il doit y avoir de la volonté et de la persévérance, de la
patience et de l'amour pour le Christ.
- Les fresques de séminaire
Sretensky représentent non seulement tous les saints russes, mais même des ascètes
qui n'ont pas encore été canonisés, et il y a un portrait de Feodor Dostoïevski
avec Nicolas Gogol. Vous parlez souvent de l'influence que Fédor Mikhaïlovitch eut
sur vous, notant qu'il était l'un des auteurs les plus chrétiens dans la
littérature russe. Quelle est votre opinion sur le rôle de la littérature et de
l'art sur le développement spirituel personnel?
- Le Seigneur emploie divers moyens pour nous
amener à connaître la vérité. La bonne littérature est l'un de ceux-ci, qui amène
l'humanité vers Lui, c’est l'un des principaux moyens qui dirigent l'esprit et
le cœur vers Dieu. Un chrétien doit connaître et lire des auteurs comme
Dostoïevski – une telle lecture l'enrichit spirituellement. Mais quand une
personne a déjà grandi dans l'Église, elle n’a pas besoin de distraction par la
littérature profane. Il est préférable de lire les Pères de l'Église.
- Les moines
peuvent-ils lire la littérature profane? Cela est-il bénéfique?
- Dabs une mesure très limitée, car si une
personne n'a pas lu la littérature avant de rejoindre le monastère, cela
signifie qu'elle est venue sans être préparée. En général, il me semble qu’un
novice peut lire de telles choses, mais il est préférable pour un moine de
l'éviter. Un moine doit être occupé par d'autres choses.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après
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