Moine russe
Les idéaux de la vie
monastique
Comme les premiers ascètes se retirèrent du monde dans le désert, ils étaient
décidés à se détacher de nombreux biens de ce monde: le mariage, la richesse et
l'action indépendante. Le célibat n'admettait pas de degré, mais était absolu.
Dans la pauvreté, cependant, il s'est produit la modification que nous avons
mentionné ci-dessus à propos de la vie idiorrhythmique. Mais même ici, la
pauvreté était essentiellement maintenue, car la propriété des moines
idiorrhythmiques n'a jamais été suffisante pour vivre confortablement. Enfin,
l'obéissance, soit à un higoumène ou au père spirituel du désert, l'abba, était
une préoccupation importante des moines.
L’esprit égoïste, indépendant
représentait le monde séculier, et devait donc être complètement déraciné.
C'est-à-dire, que le jeune ascète devait remettre sa volonté mauvaise à Dieu
dans la personne de son père spirituel, afin qu'elle puisse être transformée en
une bonne volonté. Ce point est clairement illustré par une anecdote dans
laquelle un abba, désireux de tester le degré d'avancement de son fils
spirituel, lui demanda s'il voyait les cornes-qui étaient non-existentes- d'une
bête de somme qui passait par là; et il répondit sans hésiter: "Oui, je
les vois, abba."
Le respect de ces trois vertus est assuré par les novices dans un vœu spécial,
au cours duquel ils sont tonsurés. La formulation de ce vœu a coïncidé avec la
fondation du système cénobitique, et la base scripturaire et doctrinale du
monachisme fut élaborée peu après. Sans elle, le monachisme était en danger de
dévier dans le sens des Messaliens itinérants. De cette façon, la soumission du
monachisme à l'Eglise, et la canalisation de son pouvoir de direction qui ont
été utiles à l'Eglise ont été atteints. Cette soumission a été scellée par
Justinien et incorporée dans les lois (Nearai, 5, I.67, i).
Les vices qui menacent l'intégrité morale de l'ascète ne sont pas ces seuls
trois vices. Dans l’arétologie [partie de la philosophie morale qui traite de
la vertu] subséquente, d'autres vices, en collaboration avec ceux-ci,
constituent les huit pensées mortelles:
la gourmandise, la fornication, l'avarice, la colère, la tristesse, l’acédie [découragement
spirituel], la vanité et l'orgueil. Les passions qui correspondent à ces
pensées doivent être anéanties et un état d'impassibilité atteint.
L'auto-examen et l'auto-censure, surtout avant d'aller dormir, fournissent au
moine des armes puissantes, car il s’apprête à lutter contre les démons. Mais
son arme principale est la prière continue et la prière intense. L'ensemble de
la vie des moines est dominée par cette conversationavec Dieu; "Toute la
vie est un temps pour la prière" (Basile, Discours ascétiques, PG, XXXI,
877).
Les vingt-quatre heures de la journée du moine sont divisées en trois périodes
de huit heures: une pour la prière, une pour le repos, et une pour le travail.
Leur travail intense a un triple objectif: assurer leurs moyens de subsistance,
afin d'aider leurs semblables, et éviter les mauvaises pensées, qui envahissent
la conscience de l'homme, notamment quand il est au repos. Les produits de
l'art et de l'artisanat monastique ont toujours été d'une qualité
exceptionnelle et sont toujours en forte demande, en particulier leurs
peintures et sculptures sur bois. En outre, des œuvres de la littérature
classique et chrétienne ont été conservées dans des copies qui sont venues des
ateliers monastiques.
Les
activités philanthropiques des moines étaient liées à leur travail. Comme nous
l'avons déjà observé, cette dévotion à la philanthropie a été promue et
systématisée par Basile le Grand. Après son époque, un monastère sans maison
d'hôtes, sans hôpital et sans école était inconcevable. Un simple exemple, nous
pouvons dire que le monastère de Pantocrator à Constantinople, qui a été créé
au XIIe siècle, avait un hôpital avec des hommes et des femmes médecins,
organisés d’une manière qui rappelle les hôpitaux d'aujourd'hui. Il était
divisé en quatre sections: médecine, chirurgie, gynécologie et infirmerie pour
les yeux et l’ouie. Les vestiges de cette activité philanthropique sont encore
visibles de nos jours. Les Bédouins qui vivent près du monastère du Sinaï, ne
font jamais leur propre pain, mais il leur est donné gratuitement par le monastère
de Sainte-Catherine; et ceux qui visitent tout monastère orthodoxe y reçoivent une
hospitalité gratuite.
Les moines qui s'occupaient de travail, comme nous l'avons décrit ci-dessus, et
y combinent la lutte pour se libérer des passions et servir ceux qui en ont
besoin, ont été appelés autrefois actif
(de praktikoi). Mais au-delà de l’action, il y a une étape supérieure dans l'échelle
de la perfection monastique: la contemplation (theoria), l'aspiration à la communion
directe avec Dieu et Sa vision. Cette différenciation des activités de moines
se rencontre très tôt, dans un poème de Grégoire le Théologien:
"Préfèrerez-vous l'action ou la contemplation?
La contemplation est l'occupation des parfaits,
L’action appartient à la majorité.
Toutes deux sont bonnes et chères;
Choisissez celle qui vous sied."
Le silence a été une condition indispensable pour l'ascète dans sa quête de la
perfection. Par le silence, on entend le calme intérieur et la tranquillité
extérieure connexe à travers laquelle les causes de la passion sont supprimés.
Cet état a donné son nom à la dernière période brillante de la théologie
mystique byzantine: l’hésychasme.
Le silence était indissolublement lié à l'ascèse chrétienne. Les efforts des
premiers moines dans ce sens ont pris la forme d'éviter le babillage et de rester
silencieux lorsque les circonstances l'exigeaient. Abba Poimen est cité comme
ayant dit: "Celui qui parle au nom de la volonté de Dieu agira justement;
et celui qui demeure silencieux pour le bien de la volonté de Dieu agira également
justement." (Sentences des Pères, 721). Dans tous les cas, l'élément de
silence, même s’il n'est pas trop prédominent dans la pensée monastique, a
ensuite reçu une plus grande attention en raison de son lien avec la prière
intérieure. Il a été jugé que la prière, comme produit de la disposition du
cœur, n'a pas besoin d'être exprimée à haute voix, dans la mesure où une telle
expression, en produisant des stimuli externes, peut interrompre la
concentration sur l'objet de la prière. Ainsi, il en résulta l'oraison mentale intérieure,
qui est devenue cristallisée dans la brève prière de Jésus, répétée sans cesse.
Entouré par l’absolu, le silence spirituel, les yeux spirituels des moines
"contemplatifs" sont ouverts. Ils deviennent dignes de visions et
profitent de l'expérience spirituelle qui ne peut être décrite qu’avec
difficulté. Ils vivent dans un état d'illumination continue de vision de la
lumière, et de communion avec les choses de la lumière. Le mot
"lumière" et d'autres termes connexes sont rencontrés presque à
chaque page des écrits de Siméon le Théologien et de Grégoire Palamas. Cette
lumière est une partie de Dieu. Grâce à une fusion paradoxale de l'historique avec
le méta-historique, l'expérience de la déification (theosis) devient possible
ici et maintenant. La lumière qui a été vue par les disciples du Christ sur le
mont Thabor, la lumière que les hésychastes voient aujourd'hui, et la qualité
lumineuse du monde à venir, constituent trois phases d'un seul et même
événement spirituel, fusionnés en une seule réalité supra-temporelle.
La domination unilatérale de la tendance "contemplative" a contribué
à la négligence de la mission sociale de la vie monastique en Orient,
contrairement à l'évolution de l'Occident. Malgré les tentatives qui ont été
faites de temps en temps, la réorganisation de la vie monastique sur les
anciennes fondations, en particulier sur la règle de saint Basile le Grand, n'a
pas réussi, parce que ces tentatives ont été limitées dans leur portée et en
intensité. Sans négliger la "contemplation", à laquelle la
littérature et la piété religieuse doivent tant, il y a une nécessité d'agir
pour souligner une fois de plus, et pour les monastères d’être établis pour
promouvoir les idéaux chrétiens au sein de la société organisée de l'humanité.
Version française Claude
Lopez-Ginisty
d’après
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