samedi 12 juillet 2014

Exactions de l'armée de Porochenko


Ukraine : un photographe américain témoigne de bombardements sur les civils à Kramatorsk

Vera Graziadei est une actrice et écrivain britanno-ukraino-russe. Elle a interviewé pour son blog un photographe américain à Kramatorsk, dans le Sud-Est de l’Ukraine, sur ce qu’il se passe là-bas actuellement.
Tôt le matin du 5 juillet [après quoi les pro-russes se sont retirés de Kramatorsk, ndlr], j’appelle l’écrivain italien Christian Malaparte, qui était à Kramatorsk avec le photographe américain Patrick Lancaster. Ils ont vécu ces cinq derniers jours sous les terribles tirs et bombardements de l’armée ukrainienne. Patrick dispose de nombreux éléments prouvant que l’armée prend pour cibles, à dessein, les civils et les habitations, commettant ainsi de graves crimes de guerre.
Vera: Comment vous et Christian vous en sortez-vous là-bas ?
Patrick : Eh bien, pour le moment, c’est un peu confus. Nous avons été, il y a une demi-heure à peu près, réveillés par le personnel de l’hôtel, et ils nous ont dit que l’établissement était désormais officiellement fermé, mais que nous étions les bienvenus si nous voulions rester, aussi longtemps que nous le souhaitons. Ils nous ont dit que les gens ici avaient le pressentiment que, plus tard dans la journée, les militaires ukrainiens allaient entrer dans la ville avec des équipements lourds.
V: Et donc : vous restez ou vous partez ?
P : Je pense que nous allons rester un moment. Nous sommes ici depuis presque une semaine maintenant. Et tous ces cinq derniers jours, chaque jour et chaque nuit, la plupart du temps, ils ont bombardé la ville. La nuit dernière, les bombardements ont été particulièrement intenses entre 23h et 3h, mais ça ne retentissait pas tout à fait comme les jours d’avant, c’était un bruit… – je ne suis pas expert en sons de tirs et de bombardements –, mais ça aurait pu être un autre type de munitions, parce que c’était un son, disons… beaucoup plus ample.
V : Est-ce que des forces d’auto-défense sont aussi présentes dans la ville ?
P : Oui, oui, bien sûr. Ils sont à l’intérieur de la ville et ce matin, ils sont très actifs. C’est un peu étrange tout de même, car au cours de ces cinq jours de tirs et de bombardements, nous n’avons pas vu un seul poste de milice frappé. Tous les bâtiments que nous avons vus touchés par l’armée ukrainienne sont des habitations civiles. Nous avons vu au moins 40 bâtiments bombardés, incluant une école, un orphelinat – nous y étions la veille du jour où il a été bombardé –  et un très grand nombre de grands immeubles de résidence. Je veux dire, ce n’est pas comme si l’armée ukrainienne ratait ses cibles ou quelque chose comme ça : les immeubles sont précisément visés, ils sont bombardés, et les frappes sont très fortes. Nous avons parlé à une femme qui nous a raconté qu’il y a quelques jours, pendant la nuit, son immeuble avait été frappé par dix tirs de mortier différents.
V : Vous pensez vraiment qu’ils visent exprès les habitations civiles ?
P : Eh bien, s’ils ne visent pas les habitations, c’est que les chefs des troupes ou des bataillons sont d’une incompétence rare ! En tout cas, ce sont bien eux qu’ils touchent. Ou alors c’est peut-être un enfant de trois ans jouant avec un mortier ! Je veux dire, même un enfant serait capable de viser mieux que ça, parce qu’ils ne frappent aucun bâtiment militaire.
V: Les pertes sont-elles lourdes, Patrick ?
P : Je sais qu’il y a des pertes, mais nous n’avons pas pu les dénombrer exactement. C’est difficile d’obtenir des informations là-dessus. Mais il y a eu des pertes. Dans certains des immeubles où nous sommes allés, on voit des traînées de sang. Plus tôt dans la semaine, un autobus municipal a été touché, et je crois qu’il y a eu cinq morts. Il y a eu d’autres morts, c’est certain, simplement, je ne sais pas combien au total. Je pense que la nuit dernière a été la plus violente en termes de bombardements, alors on va probablement découvrir de nombreuses pertes aujourd’hui.
V : Est-ce qu’il reste beaucoup de civils dans la ville ?
P : Oui, il y a beaucoup de civils.
V : Mais comment eux – et vous – survivent-ils à ces bombardements qui ne cessent pas depuis bientôt une semaine ?
P : Quand les bombardements commencent – une sirène retentit dans la ville, les gens descendent dans leurs caves et y restent jusqu’à ce que les tirs s’arrêtent.
V: C’est terrible. Et qu’en est-il de la nourriture et de l’eau ? Comment la ville s’en sort, en termes de provisions ?
P : Il y a de la nourriture et de l’eau dans les supermarchés, mais je pense que le problème majeur, c’est qu’une grande partie de la journée, quand ils bombardent, tout est fermé. Et le soir, c’est très difficile d’aller dans les magasins. Et puis un autre souci de taille, c’est l’argent. La plupart des entreprises sont fermées, et donc personne ici n’a de revenu, et ils ne peuvent pas payer leurs courses, même lorsqu’il y a des marchandises.
V: Y a-t-il des organisations humanitaires qui aident les gens ?
P : La seule fois où nous les avons vues, c’était dans le centre, dans le grand parc, il y avait un genre d’aide humanitaire mise en place. Ils donnaient de la nourriture pour bébés aux mères qui présentaient leurs certificats de naissance. Mais c’est la seule aide que nous ayons vue ici. Et autre chose encore : je pense qu’au moins la moitié de la ville est sans électricité, parce que quand nous sommes arrivés la première fois, nous voyions des lumières dans la ville, mais maintenant, la moitié est totalement dans le noir.
V: Est-ce que les gens sont libres de partir, s’ils le veulent ?
P : Hier, en tout cas, je sais que les bus fonctionnaient, et je crois qu’ils roulent encore ce matin, mais je n’en suis pas sûr à 100 %.
Mais en plus des habitations civiles qui ont été frappées, ils prennent aussi pour cible l’infrastructure de la ville. Parfois, l’eau ne marche pas, parce qu’ils ont bombardé des stations de pompage hydraulique. Hier après-midi, nous sommes allés voir une station essence qui a été bombardée… par deux fois – une fois dans la journée et une fois le soir.
V: Pourquoi, selon vous, visent-ils les civils ? C’est un crime de guerre, non ?
P : Oui, c’est très déconcertant. J’ai passé en Ukraine les quatre derniers mois. J’ai commencé en Crimée puis je suis allé à Donetsk, et tout le temps que je suis resté là-bas, je n’ai cessé d’entendre parler de ces choses, du fait que l’armée ukrainienne prenait pour cibles les civils et frappait encore et encore des habitations. Et réellement, je n’y croyais pas. Je pensais que c’était juste de la propagande de l’Est, mais une fois que je suis arrivé ici… Je vois ces énormes immeubles dans le centre qui sont juste bombardés sans relâche. Réellement, je ne comprends pas… Peut-être qu’ils essaient de faire en sorte que la population locale arrête de soutenir la RPD ou bien c’est une sorte de diversion… Je ne comprends pas, vraiment. Ça n’a juste aucun sens.
V : Il semble que ce ne soit pas une coïncidence qu’à Slaviansk aussi, les civils et leurs maisons soient frappés. Et donc, que ressentent les gens ? Sont-ils pro-RPD ou pro-Kiev ?
P : Depuis que les bombardements ont commencé, le sentiment qui se répand, c’est : « Que fait Porochenko ? Pourquoi est-ce qu’il nous tue ? Pourquoi est-ce que notre président assassine notre propre peuple ? » Quant aux soldats de la milice, leur première réaction, quand ils apprennent que je viens des États-Unis – c’est qu’ils essaient de me faire comprendre qu’ils ne sont pas des terroristes, qu’ils sont des gens d’ici, qui veulent simplement protéger leur pays contre le gouvernement, qu’ils appellent « les fascistes ». Et je pense qu’ils n’ont pas l’intention de se rendre, d’abandonner. Pour eux – s’ils abandonnent, leurs familles mourront.
V : Avez-vous vu des soldats russes ?
P : Je n’ai vu aucun soldat de l’armée russe, mais c’est difficile de faire la différence… Je ne peux pas réellement spéculer, et vous allez penser – comment Poutine justifie-t-il ses actes en Crimée, le fait de sauver la population russe des attaques et pourquoi est-ce qu’il n’enverrait pas, c’est ce que vous pourriez penser, des militaires ici, vu qu’il a dit qu’il voulait protéger les citoyens russes en Crimée et qu’il y a bien plus de citoyens russes dans la difficulté ici. Les gens ici pensent d’ailleurs : « Qu’est-ce qu’il attend ? Pourquoi est-ce que le gouvernement russe ne nous aide-t-il pas ? »
V: Donc, est-ce que les gens attendent l’aide de Poutine ?
P : Oui, oui. À vrai dire, les gens commencent à être un peu frustrés, parce qu’ils ont cette idée qui vient de la situation en Crimée, mais maintenant, ils ont organisé un référendum et ils ont demandé à partir… Une partie des gens se sentent abandonnés par Vladimir Poutine, et certains d’entre eux pensent qu’il est hypocrite.
V : Avez-vous quelque chose d’autre à nous dire, quelque chose que vous estimez important que nous sachions ?
P : La seule chose dont je peux vous parler, c’est du fait que les civils sont en train de mourir ici, et quelque chose doit arriver pour stopper cela.
V : C’est choquant de ne pas voir ça sur toutes les chaînes d’information du monde occidental. Pourquoi les médias bloquent-ils totalement ces informations, selon vous ?
P : Hmm. Je pense… (pause) parce que ce n’est pas la Russie qui commet ces atrocités, c’est le gouvernement ukrainien. Si c’était la Russie qui faisait ça, ce serait une toute autre histoire.
Blog de Christian Laparte : cbmalaparte.wordpress.com
Chaîne d’information YouTube de Patrick Lancaster : https://www.youtube.com/channel/UCbjTWVaRx6jMN5ZYgbqe2_w

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