lundi 27 janvier 2014

Jean-Claude LARCHET/Recension: Le monastère orthodoxe serbe de Devič. Textes rassemblés et traduits par Lioubomir Mihailovitch


Monastère de Devič


Le monastère orthodoxe serbe de Devič. Textes rassemblés et traduits par Lioubomir Mihailovitch, Paris, 2013, 88 p. 3€ (disponible à l’église orthodoxe serbe Saint-Sava, 23 rue du Simplon, Paris 18e)
Lioubomir Mihailović, traducteur de plusieurs ouvrages de spiritualité orthodoxe, dont les Vies des saints serbes de St Justin de Tchélié, retrace dans le présent opuscule, à l’aide de différents textes parus dans des ouvrages, périodiques ou émissions en langue serbe, l’histoire mouvementée du monastère serbe de Devič, situé au Kosovo.
Le monastère de Devič doit sa célébrité à saint Joannice (Joanikije).
La première partie de ce petit livre est la traduction d’un article écrit par le patriarche Paul de Serbie (qui séjournait souvent dans ce monastère, alors qu’il était évêque de Prizren), qui évoque la vie de saint Joannice. Originaire de la région serbe de Diocléed’une famille très pieuse, celui-ci naquit dans la seconde moitié du XIVe siècle, peu de temps avant le début de l’occupation turque. Très jeune, il prit la décision de se consacrer à Dieu ; il quitta donc le tumulte du monde et se fixa dans une grotte isolée, située sur la Crna Reka (Rivière noire) près du fleuve Ibar, où il pratiqua l’ascèse dans une solitude totale. Quand les gens entendirent parler de l’ascèse sévère à laquelle il se livrait et qu’ils vinrent en grand nombre pour le voir et prendre conseil auprès de lui, saint Joanikije quitta le lieu où il vivait et s’enfuit dans la contrée inhospitalière de la Drenica, où il se cacha dans la forêt profonde de Devič. Il s’y établit dans le vallon d’un ruisseau de montagne et y vécut au creux d’un hêtre. La grandeur de son ascèse n’est connue que de Dieu, mais l’importance de ses dons de thaumaturge montre combien elle fut agréable au Seigneur. C’est à Devič que saint Joanikije construisit une église dédiée à la Présentation de la Très Sainte Mère de Dieu au Temple, devenant ainsi le fondateur de ce monastère. Par la suite, le second fondateur du monastère de Devič fut le souverain serbe de l’époque, le despote Djuradj Branković (1427-1456), en signe de gratitude envers saint Joanikije pour la guérison miraculeuse de sa fille malade, Mara. Plus tard, ce monastère abrita une importante communauté monastique masculine, qui acheva la construction du monastère et de son église. À la suite de la présentation de saint Joanikije devant le Seigneur, le 2 décembre 1430, on édifia une petite chapelle sur sa tombe, demeurée intacte jusqu’à nos jours. Peu après la dormition du saint, des guérisons se produisirent auprès de ses reliques, et cela continua dans les siècles qui suivirent.
Le patriarche Paul évoque aussi la moniale Stojna, qui vécut dans ce monastère au XIXe siècle; bien qu’elle ne soit pas encore canonisée, elle fait l’objet d’une vénération populaire, et le court récit de sa vie ascétique présente d’autant plus d’intérêt qu’elle est encore peu connue en dehors de cette région.La seconde partie de ce petit livre réunit plusieurs textes qui présentent l’histoire du monastère à plusieurs moments tragiques de l’époque contemporaine: la première guerre mondiale, au cours de laquelle l’armée autrichienne pilla le monastère et profana les reliques du saint; la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle les Albanais dévastèrent le saint lieu et tuèrent l’higoumène, entraînant la dispersion des autres moines; la période titiste où le monastère – habité à partir de 1947 par une communauté monastique féminine dirigée par la courageuse higoumène Paraskeva qui fit reconstruire les bâtiments fortement endommagés – continua à subir de nombreuses épreuves dues à des malfaiteurs albanais; la guerre de juin 1999, où le monastère échappa de peu à la destruction par l’UCK grâce à l’intervention du courageux colonel français Jacques Hogard (dont le récit est reproduit); le mois de mars 2004, où les bâtiments conventuels de Devič furent incendiés sans que la KFOR (force internationale mise en œuvres par l'OTAN) intervienne, à l’instar de ce qui se produisit alors avec un certain nombre de bâtiments religieux orthodoxes du Kosovo (où finalement plus de 150 églises et monastères ont été détruits); le tombeau du saint fut une nouvelle fois profané, et à nouveau les moniales pansèrent les plaies de l’histoire et restaurèrent leur saint lieu de prière. Aujourd’hui, la KFOR a abandonné le monastère et la communauté qu’il abrite à la « protection » de la police kosovare. Un journaliste, dont les propos sont rapportés ici, constate avec amertume : « Devič est est gardé aujourd’hui par ceux qui l’ont incendié jadis ». Les moniales vivent dans la peur, comme le note un reportage de la télévision serbe dont le commentaire est traduit dans le recueil, car malheureusement les attaques contre les églises, les monastères et les cimetières se poursuivent et Devič est un « sanctuaire serbe isolé », comme le remarque un article de Paravoslave.ru, également traduit ici.Ce recueil montre bien le poids de l’histoire dans cette région et, à partir de faits concrets dans un lieu donné, décrit la dure réalité que vivent les chrétiens orthodoxes serbes dans cette partie du monde. Un certain nombre de photos, en fin d’ouvrage, sont l’illustration de cette réalité tragique où se mêlent persécutions, profanations et destructions. Cependant rien ne peut empêcher la grâce de saint Joannice de rayonner ni la foi et l’espérance chrétiennes de soutenir les âmes. À un journaliste qui demandait à l’actuelle higoumène comment on pouvait vivre dans un tel environnement, celle-ci répondit : « D’abord, il faut avoir foi en Dieu. C’est la foi qui nous donne le courage. Saint Joannice est aussi là, sa présence nous procure la sécurité… comme quand un parent se tient devant ses enfants. Le saint est là depuis des siècles ».Lioubomir Mihailovitch écrit dans une courte préface : « Ce livre constitue un pieux hommage aux innombrables moines et moniales dont la foi inébranlable et l’abnégation héroïque devant le martyre ont permis au monastère orthodoxe de Devič de surmonter les épreuves cruelles qui lui ont été infligées au cours de sa longue histoire et de ressusciter chaque fois de ses cendres, afin de continuer à célébrer et à chanter la gloire de Dieu ».Ce travail entend aussi informer une fois de plus l’opinion française sur les persécutions et le martyre que continuent à endurer le clergé, les moines et moniales, ainsi que les fidèles orthodoxes serbes au Kosovo après plusieurs siècles d’occupation ottomane et plusieurs décennies de domination communiste, alors que l’on croyait que le pire était passé. Ce petit livre intéressera sans aucun doute, au-delà des Orthodoxes, tous ceux qui ont à cœur le sort du christianisme dans cette région.

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