lundi 13 janvier 2014

Jean-Claude LARCHET: Recension/Archimandrite Chéruvim Karampelas, « Figures athonites du début du XXe siècle »

Figures athonites

Archimandrite Chéruvim Karampelas, Figures athonites du début du xxe siècle. Introduction de Jean-Claude Larchet, traduction de Maurice-Jean Monsaingeon revue par les moniales de Solan, Éditions L’Age d’Homme, Lausanne 2013 (collection « Grands spirituels orthodoxes du XXe siècle »).
Ce nouveau volume de la collection « Grands spirituels orthodoxes du XXe siècle » est un recueil de cinq Vies d’ascètes remarquables du Mont-Athos dont la sainteté s’est révélée lors des premières décennies du xxe siècle : l’Ancien Joachim de la skite de Sainte-Anne (1895-1950), l’Ancien Athanase de Grigoriou (1873-1953), l’Ancien Callinique l’Hésychaste (1853-1930), l’Ancien Daniel de Katounakia (1846-1929) et l’Ancien Isaac de Dionysiou (1850-1932). L’auteur – l’archimandrite Chérubim (Karampelas), un ancien moine athonite qui a fondé le monastère bien connu du Paraclet à Oropos, près d’Athènes – a pu rencontrer plusieurs d’entre eux ou recueillir auprès de ceux qui les ont connus des témoignages de première main.
Ces spirituels sont très différents par leur forme d’intégration dans le monachisme et constituent pour ainsi dire un « échantillon représentatif » des divers modes de vie du Mont-Athos : cénobitisme pour l’Ancien Athanase et l’Ancien Isaac, vie en toute petite communauté – constituée d’un Ancien et d’un, deux ou trois moines – pour l’Ancien Joachim et l’Ancien Daniel, érémitisme pour l’Ancien Callinique.
Ces spirituels sont également très différents par leurs personnalités. Ils ont la même foi, le même idéal, la même ascèse, les mêmes vertus, le même parfum de la grâce divine, mais les expriment de façon variée, témoignant une fois de plus que la vie chrétienne conforme à la tradition, tout en étant profondément unifiée, en reposant sur les mêmes principes et les mêmes pratiques, ne nivelle pas les personnalités, mais permet au contraire à chaque personne de s’épanouir en Dieu selon sa propre identité, d’accom­plir par Sa grâce le meilleur d’elle-même, et de révéler plei­nement sa vraie personnalité.
Ces Vies ont d’abord une valeur spirituelle: ces moines sont des exemples de chrétiens qui ont totalement consacré leur vie au Christ, qui sont parvenus, par leurs efforts conjugués avec la grâce divine, au faîte des vertus et qui ont reçu de l’Esprit divers charismes (de discernement, de guérison, de prophétie…) qu’ils ont mis au service du prochain.
Elles ont aussi une valeur historique. On a beaucoup parlé du renou­veau athonite provoqué, dans les années 1960-1970, par l’afflux de jeunes moines venus repeupler des monastères qui n’étaient plus habités que par quelques moines âgés, et y restaurer le cénobitisme sous la conduite d’higoumènes jeunes et cultivés. Mais cet apport fut surtout quantitatif, et le premier souci de ces higoumènes ne fut pas d’innover ou de rénover, mais de se mettre à l’école de quelques Anciens renommés qui continuaient à entretenir discrètement mais fidè­lement la tradition athonite.
Face à l’image d’un Mont-Athos décadent qu’imposait au milieu du xxe siècle en France le livre à succès de Jacques Lacarrière, L’été grec, on savait que la grande tradition hésychaste n’avait en réalité connu aucune interruption, mais avait été préservée dans de petites communautés comme celle de l’Ancien Joseph l’Hésychaste. Et on a pu observer, dans la seconde moitié du xxe siècle, que cette tradition s’est répandue dans tout l’Athos grâce aux remarquables disciples de ce dernier, et à l’extérieur, grâce à de pieux enfants spirituels ou pèlerins vivant dans le monde, puisant à cette source pure et vivifiante. On savait aussi que l’expérience de grands mystiques comme saint Syméon le Nouveau Théologien (xie s.) était vécue par des moines athonites du xxe siècle, comme saint Silouane, moine cénobite du monastère russe de Saint-Pantéleïmon, qui, sans le témoignage de l’un de ses disciples, le Père Sophrony, aurait pu rester inconnu.
Ce recueil nous montre que la tradition ascétique la plus pure et la plus rigoureuse de l’Orthodoxie, et la tradition hésychaste qui est une de ses expressions majeures, étaient bien vivaces, en dehors des cas connus précédemment cités, dans la seconde moitié du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, et cela au sein de toutes les formes de la vie monastique (cénobitique, idiorythmique, kelliotique, érémitique).
Dans plusieurs épisodes de ces Vies, on verra comment, dans un monde dont la littérature se plaît souvent à vanter les exploits ascétiques surhumains, les pères spirituels font preuve de discer­nement et de mesure, et n’hésitent pas à inviter des disciples trop zélés à la modération, leur apprenant à suivre l’itinéraire le plus droit mais aussi le plus difficile: celui de la voie royale, située sur une arrête étroite entre le précipice de l’indolence coupable et le précipice du zèle incon­sidéré.
L’équilibre dont font preuve ces ascètes remarquables, est bien servi par le style de l’auteur qui, dans ces récits publiés séparément à diverses épo­ques, a su constamment rester sobre tout en mettant bien en valeur les qualités de ces grands spirituels dont il nous a transmis la mémoire et dont les exemples restent pour nous, aujourd’hui encore, malgré l’éloignement du temps, du lieu et des conditions d’existence, étonnamment vivants.
Jean-Claude Larchet

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