lundi 2 décembre 2013

Françoise LHOEST: Saint prêtre Vladimir Ambartsoumov martyrisé à Boutovo le 5 novembre 1937







Saint Vladimir est né à Saratov sur la Volga, le 20 septembre 1892. Son père, Ambartsoum Yégoriévitch, était originaire de la région de Bakou où il s’était illustré dans l’enseignement aux sourds-muets. Sa première femme était morte en couches, lui laissant trois petits enfants, et après sa mort il déménagea dans la colonie allemande de Sarepta près de Tsaritsyne [Volgograd] afin d’y chercher une éducatrice pour ses orphelins. Au temple luthérien, on lui recommanda Karoline Andréievna Knoblauch, qui consentit à élever les petits puis finit par l’épouser et lui donna trois autres enfants dont le plus jeune était Vladimir (Voldemar).
La famille était très active : Olga, la sœur de Karoline, dans la communauté luthérienne, Sarkis, le frère d’Ambartsoum, en Arménie.
Ambartsoum Yégoriévitch tenait une école pour les sourds-muets à Saratov, mais la charge financière se révéla trop lourde pour cet héroïque anargyre : il dut abandonner et peu avant 1900, il déménagea à Moscou où il enseigna à l’école allemande Saints-Pierre et Paul, auprès de l’église luthérienne. Plus tard, sa fille reprit l’enseignement pour les sourds-muets.
Le jeune Valdemar n’avait pas froid aux yeux, mais il aimait aussi la nature, les longues promenades dans la forêt, il connaissait tous les chants des oiseaux  et il était capable de les imiter tous.  Il jouait du violon et de l’harmonium, savait le grec, le latin, l’anglais et l’allemand. A l’école il se passionnait pour la physique, et surtout l’électricité. En 1911, il fut admis à l’Université de Moscou, mais en 1913, sur l’insistance de sa mère, il la quitta pour l’Université de Berlin qui passait pour la meilleure dans le domaine des sciences techniques. C’est à Berlin qu’il rencontra le Mouvement étudiant chrétien, qui avait pour but de prêcher la Parole de Dieu chez les étudiants et de lire l’Evangile en petits groupes.
Mais un jour, poussé par une intuition puissante, il fit en toute hâte ses bagages et sauta dans le dernier train pour Moscou. La guerre allait éclater. Il reprit ses études à l’Université de Moscou, se maria en 1916 avec Valentina Georgievna Alexéiéva et ils décidèrent tous deux de se consacrer à la prédication chrétienne. Ils eurent trois enfants : Evguéni (1917-1963), qui allait devenir prêtre et patriarche d’une très nombreuse famille orthodoxe, Victor, qui mourut en 1921, et Lydia (1922-2010) qui allait devenir la femme du père Gleb Kaleda et fonder eux aussi une grande famille orthodoxe.
Après un bref retour à Samara où il rencontra Vladimir Marcinkovski puis où il fut arrêté pour propagande religieuse, il revint, contraint et forcé, à Moscou. Valentina Georgievna, victime d’une intoxication alimentaire, se sentant mourir, demanda à son mari : « sois pour les enfants un père et une mère ; les temps sont durs, les chrétiens seront persécutés, mais Dieu vous donnera la force de tenir bon ». Et il trouva en la personne de Maria Alexéievna Joutchkova l’éducatrice de ses petits orphelins de 7 et 1 an. 
La bienheureuse Maria Ivanovna de Divéévo avait prédit à Vladimir qu’il serait prêtre, et Maria Alexéievna, sachant qu’un veuf remarié ne peut être ordonné, refusa de l’épouser.
Durant une grande partie des années 1920, il vécut dans la clandestinité comme prédicateur mais en 1926, Vladimir fut reçu dans l’Orthodoxie et le 11 décembre 1927, il fut ordonné prêtre par l’évêque d’Ijevsk Victor (Ostrovidov) puis transféré dans le diocèse de Moscou et affecté à l’église Saint-Vladimir, rue Vieille-des-Jardins. Il y concélébra quelque temps avec le prêtre Serge Bordelius (plus tard hiéromoine Théodore, qui mourut en détention dans les années 1930). Le père Gleb Kaleda dont il fut le premier père spirituel se souvenait que la prédication du père Vladimir était inspirée et particulièrement fervente les jours de fête.
En ce temps-là, le père Vladimir était proche du père Serge Métchov (saint martyr, le 6 janvier 1942), leurs églises sont d’alleurs toutes proches, (l’église luthérienne aussi) et de son marguillier le docteur Serge Alexéiévitch Nikitine qui après des années de goulag et d’exil deviendrait l’évêque Stéphane de Mojaïsk † 1963 (c’est lui qui a ordonné au sacerdoce le père Alexandre Men). Il aida puis remplaça, à l’église St Nicolas « de la cabane de paille » (près de l’Académie d’Agriculture Timiriazev), une autre très belle figure, un prêtre très soucieux de former des jeunes, entre autres par le chant liturgique (sa matouchka était pianiste), le père Vassili Nadéjdine, C’est la tuberculose qui emporta ce saint martyr au camp de Kem en 1930 ; on le fête le 19 février dans sa paroisse, reconstruite (c’est une église en bois), qui revit avec le même souci de la formation des jeunes. Un temps le père Mikhail Schick (martyr à Boutovo le 27 septembre 1937) célébrait avec eux.
Au printemps 1931, le père Vladimir fut placé hors cadre et il entra à l’institut d’Aviculture où son savoir de physicien fit merveille. Parallèlement, il célébrait en secret dans les maisons, confessait, travaillait avec la jeunesse et avec ses enfants spirituels, aidait efficacement les familles victimes des répressions, entre autres celle du père Vassili Nadéjdine (dont le 5e enfant était né après la mort de son père) et celle du père Serge Sidorov, déjà emprisonné (martyr de Boutovo le 27 septembre 1937).
Le 5 avril 1932, il fut arrêté par l’Oguépéou, dans l’affaire de la pseudo-organisation (inventée de toutes pièces par les bolchéviques) « contre-révolutionnaire et monarchique de la vraie église orthodoxe », mais lors de ses interrogatoires il ne cita aucun nom. Il fut condamné à 3 ans d’exil dans le Nord russe, mais sur demande de l’Académie des Sciences où il travaillait, la peine fut assortie d’un sursis.
Il continua alors d’inventer de nouveaux modèles de cages à poules, de nids et d’incubateurs pour les poussins, d’assembler, de souder, de fabriquer d’autres choses (même un encrier impossible à renverser pour ses enfants), et obtint plusieurs brevets d’inventeur. Souvent il était contraint d’habiter loin de ses enfants, mais il leur réservait du temps pour lire l’Evangile, faire de la physique et des mathématiques avec son fils, et apprendre à sa fille à chanter selon les tons et l’ordo, ce qui lui vint bien à point plus tard.
En août 1937, les arrestations en masse commencèrent et le NKVD vint chercher le père Vladimir dans la nuit du 8 au 9 septembre. Il fut interrogé à la prison des Boutyrki en septembre et octobre, mais là encore, il ne trahit personne.
Le 5 novembre 1937, il fut exécuté au polygone de Boutovo, mais longtemps encore on ne sut rien de son sort. Quand son fils Evguéni, devenu prêtre à Léningrad, demanda en 1956 des renseignements à la Prokuratura, on lui mentit. La vraie date, pour laquelle la famille avait tant prié, fut connue seulement en 1989.
Il y a maintenant à Boutovo, sur le territoire de ce polygone, une belle église neuve dédiée à tous les nouveaux martyrs et confesseurs de la terre russe. L’architecte en est Dimitri Mikhaïlovitch Schakovskoy (fils du père Mikhail Schick et de sa matouchka Natalia Schakovskaya.) Le recteur en est un des petits-fils de saint Vladimir, l’archiprêtre Kyrill Kaleda. Un autre de ses petits-fils, l’archiprêtre Ioann Kaleda, a succédé à son père comme aumônier de la prison des Boutyrki. Leur sœur, l’higoumène Youliania, a relevé de ses ruines le très beau monastère de la Conception, en plein centre de Moscou. (Un jour où les poules n’avaient pas pondu, à la campagne où le monastère a une dépendance, toutes les moniales ont prié saint Vladimir, qui n’a pas manqué d’intervenir promptement !). Les descendants du prêtre Evguéni Vladimirovitch Ambartsoumov, dans la région de Saint-Pétersbourg, sont particulièrement nombreux. Trois de ses fils ont été prêtres : Alexis, Dimitri (†2010, père de 11 enfants dont déjà deux prêtres) et Nicolas (†1986) ; sa fille Maria, épouse d’un prêtre moscovite, a 6 garçons et 6 filles. Saint Vladimir souhaitait douze descendants prêtres. La relève est assurée.
Saint prêtre martyr Vladimir, prie Dieu pour nous !

Françoise Lhoest

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Texte publié 
dans le Bulletin de la Crypte 
N° 407 de novembre 2012
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