lundi 16 septembre 2013

Jean-Claude LARCHET/RECENSION: Thierry Cozon, « Le Jardin de Dieu


Cozon


Thierry Cozon, « Le Jardin de Dieu », L’Age d’Homme, Lausanne, 2012, 139 p.
Les poètes publiés sont devenus rares, les poètes orthodoxes encore plus. C’est pourquoi on ne peut manquer de mentionner le dernier recueil de poèmes de Thierry Cozon, orthodoxe de la région Rhône-Alpes. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai, mais a déjà publié, outre une pièce de théâtre et des réfexions sur la poésie, une douzaine de recueils de poèmes chez divers éditeurs, et nous avions mentionné ici son « Amor ergo sum », publié en 2000, comme celui-ci, aux éditions L’Age d’Homme.
Ce dernier recueil, troisième d’une série intitulée « Sur les hauteurs de Poleymieux », révèle comme les précédents une inspiration spirituelle profonde, comportant de nombreuses allusions bibliques, mais se nourrissant aussi de l’expérience intérieure de l’auteur. Le fil conducteur des ces soixante-quize poèmes est le cheminement spirituel, avec la foi et l’espérance qui l’anime, mais aussi ses difficultés, ses chutes, ses désespoirs, ses redressements, ses émerveillements. On y touve aussi, éparses, des réflexions sur la poésie et la condition du poète.
Dans un style qui n’obéit pas aux canons classiques (et se situe au-delà des modes et des démodes), l’auteur alterne l’expression de ses états d’âme avec des réflexions et des prières personnelles.
L’inspiration orthodoxe est discrète mais constamment présente.
On retrouve parfois l’esprit et le style des psaumes, comme dans ce poème :
TERRE ET CENDRE ROUTE 87
Penché sur ceux qui dorment dans la tombe
La griffe des ténèbres et l’ombre de la mort
S’élancent vers moi de la fosse profonde
Voulant m’y faire tomber âme et corps
Qui se souviendra de moi parti pour l’au-delà
Si ce n’est Toi ô seul qui Est Qui le fera ?
Perdu coupé lié comme un blé oublié
Par les corbeaux même en leur vol insensé
Qui se souviendra oui de moi
Pauvre rimeur parti pour l’au-delà ?
Malgré tout je marche et élève la voix
Ma vie longe le bord des enfers

Sans cesse entend gronder l’océan de son abîme
Au dessus un vautour fauve tournoie
Dont déchirée et sanglotant dans ses serres
Je suis l’inéluctable proie
La fragile et bêlante victime
Tu as collé mon visage à la poussière
Le linge souillé de mon âme

Tu l’as rejeté dans Ta juste colère
Car prise d’une horreur solitaire
Vacille déjà de ma vie l’ignoble flamme
Les yeux de mon cœur usés par la misère
Eteignent leur vitreuse clarté
Me lèverai-je de l’Hadès pour Te louer ?
Ô miséricordieux Aie pitié encore de Ton frère
Oui Tu es Amour Grâce Vérité
Non Ton cœur n’est pas de pierre
Combien visibles sont Tes merveilles dans la lumière !
L’holocauste du matin prie pour moi
Car je T’ai aimé et chanté autrefois
Et au devant de Toi peut encore venir ma prière
Jusqu’à quand ? Pourquoi ? Je désespère
A trouver le chemin où je dois marcher
Vers Toi pourtant j’ai élevé mes vers
Depuis ma jeunesse j’ai été abattu humilié
Quand viendra ce jour où je serai consolé ?

Tant de questions m’ont épouvanté
Et j’ai des femmes tant de cruauté souffert
M’aideras-Tu à percer le mur du mystère
Dans le labyrinthe de cette existence
A guider le char emballé de ma chair ?
Comme j’accepte ma mort pour que ma vie commence
Ma souffrance est la preuve de Ton amour

Je l’accepterai comme telle pour toujours
Cessant d’en vouloir être libéré pour ma délivrance
 Les Pères ont aussi inspiré l’auteur, comme dans ce beau poème, véritable résumé de l’introduction des Questions à Thalassios de saint Maxime le Confessuer :
GNÔMÈ RECTIFIEE
Comme le jour avec la nuit
Le plaisir à la douleur s'enchaîne
Ainsi par philautie hélas! furent détruits
Ces impassibles premiers pas
Que nous vivions en Eden
Placés sous la tyrannie du sensible
Par notre propre vouloir contre-nature
Nous tirons depuis avec peine
Notre charrue de chair fragile
Mais écoutez le prodige indicible
Voici que l'absolument juste

D'une manière injuste absolument
Subit les souffrances et la mort humaine
Ô Bon et véridique Médecin
Venu assumer les maux de Ses patients
Pour les en libérer
Ô toi lumière tri-solaire
Qui du contre au selon la nature
Nous fait remonter
Toi qui veux l'abolition de la souffrance
Toi en qui prend fin des fils d'Adam
La séculaire errance
Oui en vérité léger est Ton Joux
Notre course folle et déraisonnable
Ô bouvier tout amoureux de nous
Tu l’as conduite au sillon Golgothal
D'où germe Ta croix avec puissance.
Citons aussi ce poème, qui revisite un Apophtegme :
LE POINT ROUGE
Marchant le menton baissé 
Abba Euloge ne pouvait cacher sa tristesse
Pourquoi cette triste mine ô Ancien 
Lui demande un novice avec hardiesse ?
Et de répondre l’abbé en levant les mains :
« Mon enfant  Je me prends à douter
De l’esprit de clarté des frères sur le chemin
Des grandes réalités du Dieu éternel
Voilà trois fois que leur montrant une pièce de lin
Une grande pièce toute simple sur laquelle
J’ai dessiné dans le mitan un point rouge
Je leur demande ce qu’ils voient
Tous me répondent avec naturel
"un petit point rouge  Abba"
Mais pas un seul une pièce de lin »
Un bel exemple de réflexion sur la condition du chrétien, citoyen du Royaume de passage sur cette terre, nous est fourni par cet autre poème :
LA PAROISSE DE LA TERRE
Toute terre étrangère comme patrie
Toute patrie comme terre étrangère

Le citoyen du ciel est dans la chair
Mais ne vit pas selon la chair
Comme un étranger temporairement domicilié
S'acquittant de ses devoirs et de ses charges

Ainsi vit le porteur de paroles dorées
Ce navigateur à jamais parti pour le large
Son corps séjourne sur cette terre
Mais déjà ses yeux habitent le ciel

Tendu vers l'ultime soleil des derniers jours
Son travail n'est pas de ce monde
Et celui qui l'a compris honorera sa tombe

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