jeudi 15 novembre 2012

Père Nicolas Steinhardt: Le baptême in Le Journal de la félicité



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Le Père Nicolae Steinhardt est né le 12 juillet 1912. Il était juif et surtout connu pour son Jurnalul Fericirii (Journal de la Félicité / ou du Bonheur, voir photo ci-dessous, première version fortement censurée par les séides de l'étoile sanglante au pouvoir en 1972). Son père, Oscar Steinhardt, était architecte et ingénieur. En 1934, il fut diplômé de l'École de Droit et de Littérature de l'Université de Bucarest. Dans la même année, il publia sous le pseudonyme d'Antisthius le roman parodique "A la manière de Cioran, Noica, Eliade ...". Il refusa d'adhérer au communisme et d'accepter les idées communistes et devint chauffeur de camion pour un magasin de nourriture pendant le régime communiste jusqu'à ce qu'il ait un grave accident de voiture. À la suite de la pression de ses amis, il entre à nouveau dans l'activité littéraire. En 1980, il devient moine et il meurt en mars 1989, avant de voir la révolution roumaine contre le communisme.

Il a été condamné à 12 ans de travaux forcés et a connu les goulags roumains de Jilava, Gherla et Aiud dont il a été libéré en 1964.

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15 mars 1960

Celui qui a été baptisé étant  enfant ne peut pas savoir ou soupçonner ce que le baptême signifie. De plus en plus fréquentes ruées de bonheur m'assaillent. On dirait que chaque fois, les assiégeants vont plus haut et ils frappent avec plus de puissance, avec plus de précision. Par conséquent, c'est vrai: il est vrai que le baptême est un mystère sacré, qu'il y a des saints mystères. Sinon, ce bonheur qui m'entoure, m'embrasse, m'enrobe, me vainc ne pourrait pas être si incroyablement merveilleux et complet. Silence. Et un manque absolu de soins. Pour tout. Et une douceur. En bouche, dans les veines, dans les muscles. Également une résignation, le sentiment que je peux tout faire, l'envie de pardonner à tous, un sourire indulgent qui se répand partout, et qui n'est pas localisé sur les lèvres. Et une sorte de couche d'air doux autour, une atmosphère qui ressemble à celle de certains livres d'enfance. Un sentiment de sécurité absolue. Une union mescalinique en tout et un détachement complet dans la sérénité. Une main qui est tendue vers moi et une demeure avec le sagesse devinée.

Et la nouveauté: je suis nouveau, je suis un homme nouveau: d'où [viennent]tant de fraîcheur et de renouveau? Cela vient d'Apocalypse 21:05: "Je fais toutes choses nouvelles"; et aussi de Paul: "Si quelqu'un est en Christ, il est un être nouveau: les choses anciennes sont révolues, regardez, toutes choses sont nouvelles." Nouvelles mais indicible. Je trouve que des mots banals, rassis, ceux que j'utilise tout le temps. Je suis pris dans le cercle de craie des mots connus et d'idéaux soustraits du décor quotidien. Madame Cottard de Proust, si on lui demande quel est son désir, indique la situation d'un voisin plus riche du coin de la rue: elle ne voulait même pas envisager de devenir la duchesse de Mortemart. Notre idéal monte au cercle très suivant ou au ciel. Mais il y en a d'autres au-dessus, insoupçonnés, indicibles, impensables. Le thalassa* de Xenophon et la terre de Colomb. Le baptême est une découverte.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après 
le version anglaise 
du
Jurnalul fericirii 
(Journal de la Félicité)

* Les grecs de Xenophon dans l'Anabase arrivant devant la mer s'écrient par trois fois θαλασσα (Thalassa! /  La mer!) [ndt]


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