mardi 16 octobre 2012

Son Eminence le Novice ( Vladyka Basile [Rodzyanko]) (4)


Bishop Basil (Rodzyanko). Photo by Yu. Kaver

Bishop Basil (Rodzyanko) in Pochaev. Photo by the author
Vladyka Basile à Potchaev

Quoi qu'il en soit, ce soir-là, Viatcheslav Mikhaïlovitch et moi, sommes allés à l'Hôtel Cosmos, où l'évêque Basile était avec un groupe de pèlerins orthodoxes américains. L'évêque est venu à notre rencontre dans le hall de l'hôtel... Nous avons été surpris! Devant nous se trouvait un vieillard d'une beauté remarquable, grand, élégant avec un visage étonnamment bon. Pour être plus exact, il était le modèle même du noble et du staretz, sans aucune ironie ou  sentimentalité, un exemple parfait des meilleurs êtres des temps anciens. Nous n'avions jamais vu de tels grands prélats. Il y avait quelque chose de noble en lui que nous avons pu sentir, c'était l'ancienne intacte la Russie et sa culture si longtemps perdu. C'était un évêque complètement différent de tous les autres évêques avec lesquels nous ayons jamais eu affaire auparavant. Ce n'est pas que les autres évêques que nous connaissions étaient pires. Non! Mais celui-ci était vraiment un évêque complètement différent, d'une tout autre Russie.
Viatcheslav Mikhaïlovitch et moi soudain nous eûmes honte de nous-mêmes d'essayer de mettre en danger ce cher vieil homme sans défense et confiant en danger. Après l'avoir rencontré, et avoir dit quelques paroles générales, nous nous sommes excusés, nous nous sommes mis de côté, et avant d'avoir abordé le sujet principal de notre conversation, nous avons convenu entre nous que nous insisterions pour que l'évêque réfléchisse bien avant d'accepter notre suggestion.
Pour notre conversation nous trois sommes sortis pour une promenade dans la rue, pour être plus éloignés des micros du KGB dans l'hôtel.
Mais dès que l'évêque a entendu pourquoi nous étions venus le voir, joyeusement s'arrêta sur le trottoir, et, saisissant mon bras comme s'il avait peur que je prenne la fuite, il a non seulement donné son plein accord, mais nous a assuré avec passion que nous lui avions été envoyé par le Seigneur Dieu Lui-même. Tandis que je me frottais le coude, essayer de comprendre si oui ou non j'aurais un gros hématome sous ma manche, tout fut expliqué. Il s'est avéré que, à cette date, chaque année au cours des cinquante dernières années, depuis l'époque où il était devenu prêtre, notre évêque avait toujours fait un service commémoratif pour la famille impériale. Et maintenant, il était là à Moscou, et pendant plusieurs jours il avait essayé de comprendre où et comment il serait capable de dire ce service commémoratif pour le tzar et sa famille, même ici, en Union Soviétique. Et soudain, nous étions arrivés miraculeusement, suggérant notre pieuse aventure! L'évêque nous voyait ni plus ni moins comme des anges, envoyés vers lui par le Ciel. Quant à tous nos avertissements à propos des dangers, il les a simplement balayé d'une geste de la main avec indignation.
Il n'y avait que quelques autres questions, que l'évêque Basile résolut instantanément. Selon les anciens canons de l'Eglise, un évêque qui arrive dans un autre diocèse ne pouvait pas célébrer le service divin sans la bénédiction de l'évêque local présidant et à Moscou, cela signifiait le patriarche lui-même. Mais l'évêque nous a dit que la veille au soir, Sa Sainteté le Patriarche Pimène avait déjà permis à l'évêque Basile de faire des services de supplication privés et des pannikhides. C'était exactement ce qu'il nous fallait. En outre, nous avions besoin d'un chœur pour l'office. Mais il s'est avéré que presque tous les pèlerins qui étaient arrivés avec l'évêque chantaient dans les chorales des églises locales.


Au petit matin, le jour anniversaire de l'assassinat de la Famille Impériale, nous nous sommes retrouvés à l'entrée de l'usine Dynamo. Klykov et moi avions amené une cinquantaine d'amis, et il y avait aussi environ deux douzaines de pèlerins américains. Pour la plupart, c'étaient des orthodoxes Anglo-Saxons qui s'étaient convertis à l'Orthodoxie, mais qui ne parlaient que l'anglais et le slavon d'Eglise. Nous avons dû trouver quelque chose de toute urgence, car si nos «gardes du corps» prenaient conscience que des étrangers avaient pénétré sur le territoire de l'usine, cela pourrait également nous causer de grands ennuis. Par conséquent, afin de nous assurer que nous n'aurions pas d'ennuis, nous avons été obligés de faire grand peur à notre moitié américaine de frères orthodoxes  en les avertissant qu'ils pourraient se retrouver dans les sous-sols de la prison de la Loubianka, s'ils prononçaient une parole de plus  que le chant pendant les offices. Soit dit en passant, une fois que l'évêque commença l'office, ils étaient en réalité une très excellente chorale, et ils chantèrent tout le service entièrement par cœur, presque sans accent.
Les représentants de l'administration de l'usine et nos sombres gardes du corps nous ont amenés le long des corridors et des passages très longs jusqu'à ce que nous arrivions à l'endroit où les moines Peresvet et Oslyabya avaient été enterrés. Mon cœur trembla quand je vis avec quelle méfiance les hommes du KGB en civil regardaient cet évêque élégant et son troupeau terrifié, silencieux, mais extrêmement  peu soviétique. Mais de toute façon, tout s'est bien passé.
La sculpture commémorative de Klykov pour les moines guerriers Peresvyet et Oslyabya était remarquablement belle: ascétique, sobre, et pourtant majestueuse. Nous avons commencé par la consécration, puis, d'une manière que nos gardes du corps qui nous écoutaient ne pouvaient pas comprendre, subtilement nous sommes passés au service funèbre. L'évêque a ensuite célébré l'office avec une telle passion, et ses paroissiens ont chanté avec une telle générosité d'esprit, qu'il sembla que l'ensemble du service était terminé en une minute. L'évêque a pris soin de ne pas dire les mots tzar, tzarine, ou  prince héritier, mais il a fait le service pour André Oslyabya  et Alexander Peresvet, en priant aussi pour Nicolas qui avait été assassiné, Alexandra qui avait été assassiné, le garçon assassiné Alexis, et les jeunes filles Olga, Tatiana, Maria et Anastasia qui avaient été assassinées, ainsi que tousceux qui ont été assassinés simplement parce qu'ils étaient près d'eux.
Il est difficile de dire si ces gens-là et ceux en civil comprenaient ou pas. Je ne peux pas tout à fait l'exclure. Mais aucun d'entre eux n'a donné le signe d'avoir compris. Et ils nous ont même remercié quand nous prîmes congé-sincèrement, comme cela nous semblait, à Viatcheslav Mikhaïlovitch et à moi-même.
Quand nous avons quitté le territoire de l'usine et une fois de plus vu le jour dans la ville, Valdyka Basile est soudainement venu vers moi et m'a embrassé, avec une grande étreinte d'ours affectueux. Puis il a dit quelques mots qui resteront à jamais dans ma mémoire. Il a dit qu'il allait être reconnaissant pour ce que j'avais fait aujourd'hui pour le reste de sa vie. Et bien que je n'ai moi-même pas vraiment compris ce que j'avais fait de si extraordinaire, il était extrêmement agréable d'entendre ces paroles de l'évêque.
Et c'était vrai: l'évêque pour le reste de sa vie m'a traité avec la considération et le respect les plus affectueux, qui devint pour moi l'un des dons les plus précieux et de plus immérités qui m'ait été donnés par Dieu.



Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Archimandrite Tikhon

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