mercredi 31 octobre 2012

Le plus bel office de ma vie (1)

Mother Frosya

Pendant l'ère soviétique, il n'existait peut-être pas de symbole plus horrible de la dévastation de l'Église orthodoxe russe par le régime communiste que le Monastère de Diviyevo.
Le monastère fut fondé par saint Séraphim de Sarov, mais il avait été transformé en une ruine affreuse. Les restes éventrés de ce qui restait, dominaient le pathétique centre régional soviétique dans lequel la ville autrefois glorieuse et florissante de Diviyevo avait été transformée. Les autorités n'avaient pas pris la peine de détruire complètement le monastère. Au lieu de cela, elles avaient délibérément laissé la ruine debout comme souvenir de leur triomphe, comme trophée de leur esclavage perpétuel de l'Église. Près des Portes sacrées du monastère, elles mirent en place un monument représentant le chef de la Révolution -Lénine- dont le bras était élevé vers le ciel, accueillant en se moquant  tous ceux qui venaient au monastère dévasté.
Tout sur les lieux déclarait d'une manière convaincante qu'il n'y aurait plus jamais de retour vers le passé. Les prophéties de saint Séraphim au sujet de la grande destinée du monastère de Diviyevo, qui avait été si cher à toute l'orthodoxie russe, semblaient avoir été profanées et détruites à jamais.
Nulle part dans Diviyevo, ni dans la ville, ni dans ses environs, il n'y avait une seule église ouverte, pas même le souvenir d'une église, tout avait été complètement détruit. Et dans le monastère de Sarov, autrefois renommé, et dans les villes autour, au lieu d'un site sacré, aujourd'hui l'une des constructions les plus top-secret et fortement gardée de l'Union soviétique avait été installé à la place, un projet connu sous le nom Arzamas-16. Ici, des armes nucléaires étaient fabriquées.
Si des prêtres faisaient un pèlerinage secret à Diveyevo, ils cachaient leurs intentions, s'habillaient en civil. C'était en vain. La police secrète les trouvait de toute façon. Dans l'année où j'ai visité le monastère dévasté, deux moines venus pour prier et exprimer leur vénération pour les saintes reliques de Diviyevo furent arrêtés, cruellement battus par la police, puis maintenus emprisonnés pendant quinze jours dans une cellule de prison, et dormant sur un parquet gelé.
Cet hiver-là, l'archimandrite Boniface, un moine merveilleux et extrêmement gentil du célèbre monastère de la Sainte-Trinité, m'a demandé de l'accompagner dans un voyage à Diviyevo. Selon nos règles ecclésiastiques, un prêtre qui se lance dans un voyage avec les dons sacrés de l'Eucharistie, [le Corps et le Sang du Christ] doit toujours être accompagné par quelqu'un, afin de contribuer à défendre et à protéger les Saints Dons dans toute situation d'urgence qui pourrait survenir. Et Père Boniface était sur son chemin à Diviyevo afin de donner la communion à quelques moniales âgées qui vivaient encore dans la zone autour du monastère (une partie de ces dernières vivent encore à notre époque sur les mille qui peuplaient autrefois le couvent pré-révolutionnaire).
Pour y arriver, nous avons dû prendre un train qui traversait Nijni-Novgorod, qui s'appelait alors Gorki, et ensuite aller en voiture à Diviyevo. Dans le train, toute la nuit, l'archimandrite Boniface ne pouvait pas dormir. Accroché autour de son cou par un cordon de soie était un petit réceptacle sacré pour les Saints Dons. Je dormais sur une couchette voisine, mais de temps en temps je me réveillais au bruit des roues et je voyais le Père Boniface assis à une table, lisant le Nouveau Testament à la faible lumière lde notre wagon.
Nous sommes arrivés à Nijni-Novgorod, qui était sa ville natale, et sommes restés dans la maison de ses parents. Père Boniface m'a donné un livre sérieux à lire:  le premier volume des œuvres du saint hiérarque Ignace Briantchaninov et toute la nuit je ne pus fermer l'œil, tandis que je découvrais cet extraordinaire écrivain chrétien.
Le lendemain matin, nous partions pour Diveyevo. Nous fûmes confrontés à un trajet d'environ 80 km. Père Boniface essaya de s'habiller de telle sorte que personne ne se doute qu'il était un prêtre: cachant bien les plis et replis de sa soutane sous son manteau, et cachant sa barbe très longue dans son col retroussé et son écharpe épaisse.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Archimandrite Tikhon


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