lundi 7 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (XIV)



L’ermitage du cœur

Tu sais que là est la Vie véritable, la Vérité et la Voie, et tu sais aussi qu’elles portent un même Nom que tu vas savourer en Le prononçant inlassablement dans ton cheminement. Il n'est pas de chemin plus long et plus rude que celui que l'on doit accomplir pour pérégriner jusques aux lieux du silence intérieur où l'on va face à face, comme le saint théopte Moïse, faire la rencontre du Nom.

Ce temps orant est carrefour, croix où les voies multiples se croisent pour montrer au pélerin qu'il est libre d'aller où bon lui semble. Devant lui, l'avenir n'appartient qu'à Dieu. Derrière lui, l'héritage du vieil homme le cloue au monde pour l'empêcher de procéder vers le Royaume.
A droite, la tentation de l'oubli et de la vie matérielle fait briller des étoiles artificielles dans un ciel illusoire; elles clignotent comme pour simuler les battements de cœur mais leur agitation est dérisoire et vouée à l'échec.
A gauche, la certitude des jouissances intellectuelles aussi factices qu'éphémères mime l'illusion de bonheurs accessibles mais passagers.
La seule Voie est au centre de la Croix. Elle est Lieu comme Présence qui transcende toutes les dimensions cosmiques pour s'enraciner dans le Ciel vrai du monde à venir.
Pour ce cheminement abrupt vers les cimes de l'Esprit, le viatique doît être dépouillement, détachement dans la quiétude prégnante du Nom.
Ce ne sont pas les raisonnements qui conduisent au Lieu. Le bagage est léger lorsque sont déposées à terre toutes les entraves mentales du vieil homme.
Renoncer à tout ce qui nous donne l'impression du confort intérieur et arracher les entraves mondaines, est la chose la plus simple et celle qui nous donne le plus de peine pour son accomplissement.
Tendus que nous sommes vers l'accessoire survie selon le siècle, nous allons sans discontinuer d'avant en arrière, sans avancer d'un pas vers le Royaume.
Au point de jonction de la Croix, les yeux levés vers le Dieu-homme, l'unique ascension commence, qui mène à l'ermitage du cœur.
Des bornes saintes jalonnent les étapes d'une lente progression intérieure qui va nous greffer au Bois pour nous donner racines au Cieux.
La paix de l'âme, océan étale après les tempêtes des pensées, s'acquiert à grand prix. C'est tout notre être qu'il faut donner pour acquérir cette perle et la sertir sur notre souffle qui invoque le Nom.
Dans le désert du bruit, de l'agitation et des passions, trouver la brêche qui mène au langage du monde transfiguré de l'oraison et accéder pleinement au souffle pur qui n'est que prière. "Le Royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les esprits, car voici, le Royaume de Dieu est en vous!"
Tu as fermé la porte des sens pour ouvrir à grand ventail les Portes Royales du Temple en Esprit et en Vérité. Les pensées s'agitent et bourdonnent dans ta tête comme des phalènes près d'une lumière humaine. Si tu fixes les yeux de l'icône qui te suit où que tu ailles, déjà se taisent les plus absurdes de ces insectes intellectuels. Ceux qui volent encore, ne tournent plus qu'autour de la flamme de la lampade.
Ton souffle s'affaire à descendre dans ta poitrine vers les battements de ton cœur, comme le disciple bien-aimé se penchait sur la poitrine du Maître lors de la Sainte Cène.
" Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur!"
Tu essaies d'enfermer toutes tes forces dans ces paroles comme dans un cri pour qu'Il t'entende.
Il t'entend toujours, même lorsque tu ne le sens pas. Tu chemines souventes fois sous son regard bienveillant en te croyant abandonné.
Tu répètes la prière à voix haute. Il n'existe plus que ces paroles comme les degrés frêles d'une échelle sainte pour accéder aux cimes de l'Esprit.
Tu voudrais voir le sommet de la prière pour être encouragé et continuer à t'efforcer, à tendre désespérément vers ce but, mais tant que tu n'auras pas renoncé à cette tension, tu n'accèderas pas à l'ermitage du cœur.
Ce que tu crois sentir n'est que la jachère spirituelle qui t'entoure. Tu prends l'idée que tu en as, ce que tu imagines, pour sa réalité.
Ce ne sont ni tes pas, ni tes paroles qui doivent te conduire, mais ton abandon complet en eux et en elles dans ton souffle; tu dois tendre par ton abandon total à demeurer dans le Nom, jusques à ne faire qu'un avec Lui.
On ne chemine pas pour partir, mais pour rester sans cesse dans le Lieu qui est en nous. On ne quitte rien du paysage. On le dépasse soudain et tout y devient aimable et pur. La source claire est toujours là qui offre son onde limpide. Il faut seulement avoir une soif véritable, une soif de Samaritaine au puits de Jacob. Le Seigneur est là pour l’étancher. En Lui sont les ondes vives qui vont nous régénérer. Tendons simplement nos mains orantes avec notre chapelet comme une corde, pour puiser à cette Source qui rejaillit dans la Vie Eternelle.
Gardons en mémoire que lorsque nous aurons visité l’ermitage du cœur, nous pourrions très vite en perdre le chemin si par malheur nous tombions dans l’orgueil spirituel de nous croire déjà sauvés, et si nous avions l’audace, même en pensée, de juger nos frères. Nous devons souhaiter pour tous le même salut en Christ, et notre retraite en l’ermitage du cœur n’est pas un retranchement de l’amour des autres pour obtenir une quiétude personnelle égoïste, mais une halte dans l’agitation du monde pour porter dans notre amour tous les hommes vers le Seigneur compatissant et miséricordieux.


© Claude Lopez-Ginisty
+
Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
+

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire