jeudi 10 novembre 2011

Jean-Claude LARCHET/Recension: métropolite Jean (Zizioulas) de Pergame, « L'Église et ses institutions »


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Métropolite Jean (Zizioulas) de Pergame, «L'Église et ses institutions », Textes réunis par l’archimandrite Grigorios Papathomas et Hyacinthe Destivelle, o. p., éditions du Cerf, Paris, 2011, 528 pages (collection « Orthodoxie »).
Ce nouveau volume de la collection « Orthodoxie », dirigée par le père Jivko Panev, propose, réunies par les soins du père Grégorios Papathomas et du père Hyacinthe Destivelle o. p., vingt-quatre études ecclésiologiques (articles et conférences) écrites par le métropolite Jean (Zizioulas) de Pergame entre 1967 et 2005. Ces études viennent compléter, en édition française, la thèse de l’auteur, récemment rééditée dans la même collection, sur « L'eucharistie, l’évêque et l’Église durant les trois premiers siècles », et les cinq études publiées dans « L’Être ecclésial «  (Genève, 1981). Tout en reconnaissant le gros travail réalisé par les éditeurs, on peut regretter qu’ils n’aient pas fait une œuvre exaustive en incluant vingt-cinq autres études d’ecclésiologie que l’évêque Maxim Vassiljevic (qui est avec son mentor, Mgr Athanase Jevtić, et un autre disciple de ce dernier, Mgr Ignatije Midić, l’un des plus ardents propagateurs en Serbie de la pensée de Zizioulas) vient de publier en anglais aux éditions Sebastian Press (John D. Zizioulas, « The One and the Many. Studies on God, Man, the Church, and the World Today », Alhambra, Californie, 2010, 443 p.).
Les études publiées ici permettent cependant de se faire une idée assez complète de la pensée du métropolite Jean, qui repose sur quelques principes simples, appliqués dans tous les domaines et à tous les cas, et qui a de ce fait un caractère assez répétitif.
Ces vingt-quatre études sont réparties en sept parties : 1) Christologie, pneumatologie et institutions ecclésiales ; 2) L’Église comme communion ; 3) Conciliarité et primauté ; 4) Église et eucharistie ; 5) Les ministères dans l'Église ; 6) Théologie et œcuménisme ; 7) Un tournant eschatologique.

On retrouvera dans toutes ces études les principes qui fondent toute la réflexion du métropolite Jean Zizioulas avec ce qui fait leur force, mais aussi leur faiblesse :
— une volonté légitime de redonner, au sein de l’ecclésiologie, une place à la pneumatologie (souvent éclipsée par une insistance exclusive sur la christologie), mais qui se montre excessive en allant jusqu’à donner la priorité à la pneumatologie sur la christologie avec des arguments peu pertinents (comme le fait que le Christ a été conçu du Saint-Esprit et L’a reçu à Son baptême) ; 
— une insistance nécessaire (car elle a été trop souvent oubliée dans le passé) sur la place essentielle de l’évêque dans l’Église, mais dont les excès s’accompagnent d’une dévalorisation de la place et du rôle des prêtres et des autres membres du « peuple » de Dieu, et soulignent exclusivement la fonction liturgique de l'évêque en négligeant ses fonctions de pasteur et de « dispensateur de la Parole de vérité »;
— une insistance légitime sur le lien intime, concret et vivant qui unit l’évêque à l’Église locale dont il est le pasteur, une réalité dont cependant ne donne pas l’exemple le métropolite Jean, qui a lui-même le statut – étranger à l’ecclésiologie orthodoxe, comme il l’a bien vu – d’évêque titulaire (ou « in partibus »), sans diocèse réel et sans fidèles, avec des fonctions purement diplomatiques, comme c’est le cas aussi pour beaucoup d’autres métropolites du Patriarcat de Constantinople dont le métropolite Jean est l’ecclésiologue attitré ;
— une forte valorisation de la personne (justifiée jusqu’à un certain point lorsqu’il s’agit de contrebalancer l’essentialisme d’une certaine théologie occidentale, le piétisme de certaines formes de spiritualité, et l’individualisme du monde monderne), mais qui trouve ses limites lorsque la personne est considérée, selon un modèle emprunté au personnalisme et à l’existentialisme philosophiques modernes: 1) comme seule réalité ontologique et comme fondamentalement libre, au détriment de l’essence considérée comme une abstraction et de la nature considérée comme l’essence, y compris « in divinis », comme source de détermination et d’aliénation, jusqu'au point où la personne se consitue elle-même contre l'essence ou la nature (plusieurs théologiens ont de ce fait qualifié la pensée de Zizioulas d' « ousiomaque »  ; 2) comme une réalité idéale que chacun doit tendre à accomplir (comme si tout homme n’était pas déjà en soi, de par son existence, une personne, et comme si la personne n’était pas susceptible d’être qualifiée en mal comme en bien selon son mode d’existence); 3) comme une réalité relationnelle, opposée à l’individu considéré comme une entité repliée sur elle même et fondamentalement égoïste (alors que les Pères – Grégoire de Nysse, Maxime le Confesseur, Jean Damascène, par exemple – ignorent une telle distinction, et a fortiori une telle opposition entre personne et individu);
— la définition de l’Église et de la personne comme réalités relationnelles conjointes, accompagnées d’une forte tendance à valoriser la dimension collective – et spécialement interhumaine et horizontale – de la vie spirituelle et à dévaloriser ses formes individuelles (ou personnelles au sens courant) – spécialement la relation directe, verticale, de la personne avec Dieu –, considérées systématiquement comme des formes égoïstes de moralisme et de piétisme; accompagnée aussi de la tendance à soumettre la personne à la collectivité (une tendance que dénonçait récemment le père Nikolaos Loudovikos, un ancien disciple de Zizioulas);
— une valorisation légitime de la dimension communautaire des mystères/sacrements (que l’on trouve aussi dans l’œuvre du P. Alexandre Schmemann), mais malheureusement au détriment de leur portée et de leur signification individuelle (ou personnelle au sens courant du terme); par exemple dans plusieurs études de ce livre, l’eucharistie est définie purement et simplement comme une synaxe, c’est-à-dire une réunion, et est vue plus comme une communion avec les autres fidèles que comme une communion au Christ, et le sacrement de l’ordre est considéré comme ce qui donne à celui qui est ordonné non une certaine grâce pour excercer sa fonction sacerdotale, mais une certaine place au sein de la communauté);
— une forte valorisation de l’eschatologie, qui tend à voir le Royaume des cieux comme une réalité à venir, et à comprendre le présent à la seule lumière du futur, au détriment de la foi que déjà « le Royaume est parmi nous » [Lc 17, 21]; cela amène par exemple le métropolite à affirmer de manière inexacte que l’Église ne tire son identité que de ce qu’elle sera;
— une valorisation légitime de la synodalité, mais accompagnée d’une valorisation excessive du primat, considéré comme ayant une primauté non seulement d’honneur mais de pouvoir, ce qui amène le métropolite à se rapprocher dangereusement, au profit du patriarche œcuménique de Constantinople, de la conception latine actuelle de la primauté.
Beaucoup d’autres idées de ce livre sont par un côté utiles (en ce qu’elles corrigent les défauts ou insuffisances de certaines théories ecclésiologiques antérieures), stimulantes et fructueuses, mais par un autre côté contestables en raison de certains excès. Le personnalisme philosophique (Berdiaev, Buber, Lévinas) et l’existentialisme (Heidegger, Sartre) sur lesquels est fondée toute la pensée de Zizioulas (comme aussi celle de Yannaras qui est aussi l'un de ses inspirateurs) lui a permis d’ouvrir des perspectives intéressantes dans le domaine de la théologie, de l’anthropologie chrétienne et de l’ecclésiologique, mais l’enferme aussi dans des catégories de pensée limitées et contestables, étrangères à la tradition patristique (par exemple les oppositions de base entre personne et essence ou nature, ou entre personne et individu; la définition de la personne comme idéal à accomplir et comme entité relationnelle) et dans une dialectique caractérisée par un dualisme assez rigide, qui aboutit à des oppositions forcées, excessives, sources conceptions déséquilibrées et réductrices. L’œuvre de Zizioulas peut être jusqu’à un certain point enrichissante si on la lit avec discernement; autrement elle risque de devenir la base d’une scolastique assez pauvre et de ce qu’Olivier Clément appelait une « théologie de la répétition », comme on le voit chez bon nombre de disciples actuels du métropolite de Pergame.
Jean-Claude Larchet

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