L’homme charnel craint la mort comme une bête la boucherie. L’homme raisonnable, lui, craint le jugement de Dieu.
Saint Ephrem le Syrien
Sa vie avant le conversion, ressemble beaucoup à la nôtre… Le staretz avait vécu l’existence habituelle des jeunes gens de son époque, avait joué avec la vie sans vraiment se préoccuper de son salut et, soudain, tout était changé et il s’acheminait vers le Mont Athos. Il avait réalisé ce que nous savons tous en théorie, c’est-à-dire que la mort vient, puis le Jugement, et que le temps de Dieu nous est d’autant plus compté, que nous ne savons "ni le jour ni l’heure". ( Matthieu 24, 36)
L’Archimandrite Sophrony met en exergue, dès le début de son livre sur le staretz Silouane, cette phrase inspirée de Job : "Le séjour des morts sera ma demeure." (Cf Job 17.11-15) Que n’avons-nous à l’esprit cette sagesse ? Nous avons vis-à-vis de la mort une attitude ambiguë. La curiosité profane du siècle est nôtre, celle-là même qui, nous allons le voir, faisait réagir saint Côme d’Etolie, mais le souci du salut qui devrait motiver notre vie, est souvent très éloigné de nos pensées.
Lorsque saint Côme d’Etolie voyait les gens intéressés par la divination et fascinés par la perspective de connaître l’avenir, il leur demandait s’ils voulaient véritablement connaître leur futur. Devant leur approbation enthousiaste, il leur disait avoir un moyen infaillible de savoir ce qui attendait chacun d’entre nous. Il suffisait de se lever matin, d’aller au cimetière et de regarder les tombes. "Là est notre seul avenir véritable!" disait-il. Est-ce à dire que pour le saint la mort était la borne ultime de la vie ? Certes non ! Mais cette conscience de la proximité de la mort et de son caractère inéluctable, engageaient à ne pas oublier le but de la vie chrétienne, à savoir la préparation pour la vie en Dieu.
La mort, lorsqu’elle ne suscite pas l’engouement malsain orchestré par toute une littérature de pacotille sur la vie après la vie, est le dernier tabou de notre époque. Les cimetières qui étaient autrefois groupés autour des lieux de culte, sont à présent au diable vauvert, cachés aux yeux des vivants et souvent, les rites ancestraux et familiaux de la mort, la veillée, la lecture pieuse devant les voyageurs de l’éternité, ont disparu.
Il y a quelques années, une amie américaine qui enseignait la psychologie avait pour habitude d’emmener ses étudiants à la morgue dans le cadre de son cours "Psychology of Death and Dying". Très souvent, les étudiants quittaient son cours lorsqu’ils savaient que cette visite à la maison des morts était obligatoire.
La mort effraie. On ne veut pas y penser. Or c’est en répondant à cette question de savoir ce qui adviendra de nous après la vie que nous, chrétiens, pouvons nous déterminer par rapport à notre foi et préparer — avec la grâce de Dieu — notre résurrection. Paradoxalement, c’est notre mort et cette vie qui la suivra, qui déterminent ce que nous devrions faire dans notre existence actuelle, si nous voulons être responsables et inscrits dans cette Vie Eternelle en Dieu, ou bien séjourner dans l’enfer de l’absence de Son amour.
Par notre conscience de l’importance de l’enfer, nous allons en agissant avec la pure grâce de Dieu, faire que cette mort ne soit qu’un passage et continuer à vivre dans l’Amour, cet Amour que nous aurons connu dès cette terre. Inaccessible à présent à notre pauvre intelligence limitée dans sa dimension exacte et sa pleine mesure, il sera d’autant plus grand lorsque nous contemplerons face à Face Celui Qui est Amour.
Si nous n’avons pas cette expérience de la mort au moins dans notre réflexion, si nous ne croyons pas à la résurrection, alors, "Ne pensons qu’à boire et à manger, puisque nous mourrons demain" (1 Corinthiens 15, 32), ainsi que le dit le saint apôtre Paul. Mais cette expérience est nôtre et nous avons faim et soif, dès cette vie, de cette existence dans le Royaume. Le staretz nous en indique la Voie dans ses écrits…
© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte
a été publiée
aux
Editions du Désert
en 2003
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