mercredi 14 septembre 2011

Staretz Nicodème de Karoulia (Mont Athos)[III]

Père Nicodème à Karoulia

Après que le staretz ait été d'accord de m'accepter comme novice, les jours de semaine où la Liturgie n'était pas été célébrée, nous lisions les Heures et les Vêpres ensemble, et Matines séparément, le staretz dans sa cellule et moi dans l'église. Après les Heures que nous préparions le samovar pour le thé et, après cela, le staretz me confiait quelque travail à faire dans ma cellule, alors qu'il effectuait sa règle la prière, écrivait quelque chose, ou répondait à des lettres. A midi il y avait le déjeuner, après quoi le staretz se reposait une heure tandis que je continuais mon travail. Après son repos d'une heure, le staretz prenait un peu de thé, et après le thé, il faisait une promenade à l'extérieur, gardant la prière et ayant à l'esprit la fin inéluctable de la vie humaine. Puis, il faisait de nouveau un peu d'écriture, et une heure avant le coucher du soleil (à 23h00 selon l'heure athonite) nous célébrions les Vêpres dans l'église avec les livres liturgiques. Le staretz me corrigeait et m'enseignait  les rubriques de l'église ( ordo/ Typicon).
Après le coucher du soleil (minuit, selon l'heure athonite), nous prenions le dîner, qui se composait de ce qui restait du déjeuner, et pendant le repas le staretz consacrait directement son discours à la détermination de mon état intérieur et à découvrir mes vices cachés, la volonté propre, la fatuité, différentes passions, l'irritation, et tout le côté négatif de ma vie intérieure. Avec ses paroles accusatrices et des questions diverses, il m'amenait au point où, dans un état agité, je lui disais tout ce qui était dans mon cœur, ce que je n'avais pas connu ou remarqué en moi-même plus tôt. Ayant découvert mon état  intérieur tout entier de cette manière, le staretz commençait à trier toutes mes mauvaises pensées et mes mauvais désirs, un à la fois, et au moyen de diverses questions me forçait à en rendre compte par moi-même- (pourquoi je pensais d' une façon particulière, sur quoi je me basais pour cela). Puis, avec amertume, je devais admettre mon état de péché, je m'humiliais, et me repentais, et le staretz devenait calme et recevait mon repentir avec amour et la paix s'ensuivait. 
Ces conversations pouvaient prendre plusieurs heures, du soir jusques au milieu de la nuit, puis le staretz disait: "Eh bien, signe-toi maintenant et va dormir". Cela prenait la place de la prière des Complies et de celle en cellule. C'est aussi un matière spirituelle, nécessaire."
Après une telle purification mon âme se sentait légère et joyeuse pendant un certain temps, et je réalisais mon obédience avec empressement, de tout mon coeur... Et puis, dans le cours des choses, je tombais à nouveau dans un état dispersé, et un tel état [de légèreté et de joie] me quittait et mon âme était obscurcie. Souvent un tel examen de ma vie intérieure n'était pas chose facile, parfois je commençais à contredire le staretz et à me justifier, et si finalement je demandais pardon, c'était plus par nécessité et par habitude, et non pas de tout mon coeur.
Et donc moi-même, étant parfois grandement bouleversé, je ne tenais pas. Après une année, je partis et j'essayai de vivre dans l'obéissance à un autre staretz, le moine du grand schème Nil, qui vivait également à Karoulia, et je vécus avec lui pendant environ deux mois. Mais quand je devins convaincu qu'il considérait l'obéissance superficiellement, et qu'il ne prenait pas soin de l'état de mon âme, selon les conseils de Père Callinique, et à son insistance, je retournai de nouveau avec Père Théodose, qui me reçut avec amour. 
Trois mois après, le jour des Quarante Martyrs de Sébaste, durant le Grand Carême (en 1931), il me tonsura dans le grand schème (*). En fait la tonsure fut faite à la demande du staretz, par le hiéromoine Macaire ( Kotsoubinsky), qui fut ensuite le Père spirituel du Skite de la Protection de la Mère de Dieu [Pokrov] à Alberta, au Canada.
Concernant la lecture des œuvres des saints Pères, et la nécessité de la guidance spirituelle nécessaire,  Père Nicodème relata un incident très instructif qui eut lieu au tout début de son noviciat avec le staretz Théodose.

Père Nicodème avait demandé une bénédiction pour aller à Karoulia avec l'intention de se consacrer à la vie intérieure, selon les enseignements des saints Pères, ou selon "Les Récits du Pèlerin Russe"  et la Philocalie. Mais le staretz Théodose lui interdit de lire des livres spirituels, mis à part le Psautier, les Évangiles, et les enseignements d'Abba Dorothée. Il lui ordonna de travailler et de lire les offices de l'Église.
L'ardeur juvénile qui n'est pas en fonction de la connaissance (cf. Romains 10:2) n'empêcha pas Père Nicodème de tester le staretz, et cela le conduisit à la salle qui contenait le fruit interdit - les livres des saints Pères. Père Nicodème ouvrit un livre et commença à lire avec ferveur. "Dehors!" entendit-il de manière inattendue par la voix menaçante du strict staretz. Se repentant en larmes, à genoux, pendant plus d'un jour, Père Nicodème implora le staretz de ne pas le chasser, et ceci enfin enclina le cœur du staretz généralement implacable, à la miséricorde.
Le staretz garda Père Nicodème avec lui, mais non sans une punition instructive: mémoriser le chapitre quatre de L'échelle Sainte [de saint Jean Climaque], sur l'obéissance. Dès le début, le staretz divinement sage mit les pieds de son disciple sur la Voie, c'est-à-dire, le chemin de l'humilité, qui, avec le temps, conduit à l'acquisition des fruits spirituels, car le staretz savait, de par la Sainte Écriture, que Dieu résiste aux fiers, mais qu'Il fait grâce aux humbles (Jacques 4:6). Par ces pas débutants dans les vertus, Père Nicodème arriva à la mère de toutes les vertus, à jamais mémorable, la prière et à leur sommet, l'amour. Combien de longs et tortueux entretiens Père Nicodème eut à endurer au dîner avec le staretz... Il fut "réprimandé et râpé," comme Père Nicodème le disait lui-même.
Il progressa à un tel degré dans l'humilité et la prière, que dans la dixième année de leur unité spirituelle en Christ, le staretz Théodose commença à écouter son disciple sincère et fidèle, Car là où deux ou trois sont assemblés en mon Nom, je suis là au milieu d'eux (Matthieu 18:20).
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"Il me prit comme conseiller", se rappelait Père Nicodème, "et il apprit de moi la prière."
Ô acte très glorieux! Un disciple est sauvé par son maître. Ô merveille encore plus glorieuse! Un enseignant est enseigné et sauvé par son disciple! Et cela fut fait avec le conseil et sous la protection orante de saint Silouane. Voici la victoire de l'obéissance vénérable et la gloire de la sainte humilité d'esprit!
"Batiouchka, ils disent que je suis dans le prelest! [illusion spirituelle]"  dit un jour Père Nicodème à son staretz. La raison était la suivante: Quand il vivait encore à la Skite de la Nouvelle-Thébaïde, Père Nicodème remarqua que les habitants du désert, ne lisaient pas la Philocalie. Il leur parla de cette omission importante et eux, incapables de supporter le reproche du jeune ascète, le considérèrent comme hautain. 
"Non, non tu n'en es pas encore au prelest", répondit le staretz Théodose, en le regardant dans les yeux. Mais le staretz  supplia néanmoins Dieu de préserver son disciple dans l'humilité, car il est seulement possible à travers l'humilité d'échapper à toutes les embûches de l'Ennemi.
"L'obéissance et l'humilité sont les conditions essentielles de préparation 
pour l'œuvre de la prière mentale ", Père Nicodème avait copié cela à partir des paroles de saint Théophane le Reclus en 1934. "L'obéissance, bien sûr, ne vient pas de l'ordre extérieur de la vie du noviciat, mais de l'état intérieur spirituel du novice." Vers la fin de la vie du staretz, Père Nicodème lui demanda: "Comment devrais-je m'engager dans la prière mentale après ta mort?" Il répondit: "Engage-toi dans la prière mentale, dans un esprit de repentance, et ne cherche pas de doux sentiments du cœur ou des visions de l'esprit... Eh bien, maintenant par ton obéissance, tu mérites le calme extérieur; pour le calme intérieur, prends soin d'acquérir un repentir zélé".
Après la dormition du staretz Théodose (2/15 octobre 1937). Père Nicodème ne cessa pas de prendre soin d'acquérir le calme intérieur dans un cœur brisé et humilié (Psaume 50:17). Par ailleurs, il n'abandonna pas sa nécessaire lecture spirituelle. Celui qui partageait la cellule du staretz Nicodème, Père Syméon, a déclaré: "Il arrivait que j'aille pour voir le staretz (il n'était plus capable d'entendre la prière" Par les prières de nos saints Pères …") [**] et je le voyais qui dormait avec un ouvrage patristique ouvert sur ses genoux. Le staretz se réveillait [et il disait]: "J'étudie, j'étudie!" Quand Père Nicodème donnait des conseils à quelqu'un, à sa demande, il ajoutait souvent: "Tu ferais mieux de vérifier cela, peut-être que je me trompe. J'apprends encore. "



Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
ORTHODOX WORD
Issue #278, May-June 2011,
Vol. 47, No. 3:
Elder Nikodim
of Karoulia
Elder Nikodim of Karoulia; 
by Hieroschemamonk Ephraim of Karoulia
St. Herman of Alaska Brotherhood,
California, USA




(*) C'est alors qu'il a reçu le nom de Nicodème, d'après Saint Nicodème le faiseur de  prosphores des Cavernes de Kiev.
(**) Prière généralement conclue par " Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, aie pitié de nous!" qu'une moine dit en entrant dans une pièce. Si un autre moine est déjà dans la pièce, il répond à la prière par Amen!

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