mercredi 16 mars 2011

Père Daniel Syssoev: Les entretiens Serbes (II) Troisième partie


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Mais il y des gens qui sont indifférents à la foi. J’ai lu chez le père Païssios l’Athonite que les gens indifférents sont les pires. On ne peut parler de Dieu à une telle personne, et elle répondra : « Cela ne m’intéresse pas. »
Le père Daniel : Si quelqu’un dit que Dieu ne l’intéresse pas, il fait son choix. Cela veut dire qu’il rejette Dieu. C’est la révolte contre Dieu. Le pas suivant de cette personne, qui, au début était indifférente, sera de te détester. Cela sera le mauvais choix.
Le devoir du missionnaire est d’être un témoin. Son devoir n’est pas de forcer des gens à devenir orthodoxes. Nous ne pouvons pas convertir tout le monde. Nous ne pourrons jamais faire cela. Le Seigneur lui-même ne l’a pas fait. Car la liberté que Dieu a accordée à Sa création suppose la possibilité d’un refus complet. Et évidement nous ne devons pas attendre ce que Dieu ne nous avait jamais promis. Dieu n’a jamais promis que nous convertirons tous les hommes. Dieu a promis que nous témoignerons devant tous. Je pense que, malheureusement, nous avons attendu trop longtemps pour faire cela. Nous n’avons toujours pas annoncé l’Evangile au monde entier. Or, maintenant cette possibilité existe. Chaque jour nous répétons, « Que ton règne vienne », mais notre inaction retarde l’arrivée du Christ. Si la mission avait été accomplie, le Christ serait déjà revenu, n’est-ce pas ? Comme il est dit, l’Evangile sera proclamé dans le monde entier et alors viendra la fin.
Certains citent saint Ignace (Briantchaninov) qui a dit que l’apostasie arrive par la volonté de Dieu et qu’il ne faut pas que l’homme essaie de l’arrêter avec sa main impuissante. Quelle relation existe entre les paroles du saint Ignace et l’activité missionnaire ?
Youri Maximov : Ici saint Ignace parle des personnes qui ont déjà fait leur choix, de ce fait, nous ne pouvons plus rien faire pour eux. Si quelqu’un ne veut pas entendre parler de Dieu maintenant, et que vous répétez et insistez, il ne deviendra pas orthodoxe grâce à cela, il va simplement vous détester. Et cela vous ne pourrez pas le changer. Or, si quelqu’un recherche la vérité, vous pourrez beaucoup changer. Vous savez, il y a une parabole intéressante. Un homme marchait au bord de la mer après une tempête. La mer avait rejeté beaucoup d’étoiles de mer sur la plage, jusqu’à un point tel que la plage en était couverte. Et puis cet homme qui passait a vu qu’un garçon était en train de ramasser les étoiles de mer et de les lancer dans la mer. L’homme dit au garçon, « Pourquoi fais-tu cela ? » Le garçon lui répond, « Si je ne les ramasse pas et que je ne les remets pas dans la mer, elles se dessécheront et mourront. » L’homme répliqua, « Regarde combien d’étoiles de mer sont sur cette plage, tu ne peux rien changer, tu n’arriveras jamais à les remettre toutes dans la mer. » Alors le garçon souleva une étoile de mer, la regarda, la jeta dans la mer et dit : « Peut-être que je ne peux pas changer quelque chose pour toutes les étoiles, mais pour cette étoile-ci, j’ai changé beaucoup. »
Le père Daniel : Je voudrais ajouter quelque chose qu’il est très important de rappeler aux missionnaires. Chez nous on dépense beaucoup d’énergie à contester l’apostasie, et très peu d’énergie à sauver les gens. En effet, il n’est pas possible d’arrêter l’apostasie. L’apostasie, la révolte contre Dieu, est incontestable. C’est la vérité. Mais, pensez aux chrétiens anciens. Ils ne luttaient pas avec les péchés des païens, avec la fornication païenne. Les chrétiens anciens ne luttaient même pas avec les jeux des gladiateurs. Ils sauvaient les païens, les assemblaient et leur disaient qu’il ne faut pas se prosterner devant les idoles, qu’il faut adorer le seul et véritable Dieu. Et voilà, quand les païens devenaient chrétiens, ils cessaient de forniquer, de participer aux jeux des gladiateurs, etc. Et quand ils furent nombreux, on interdit la débauche et les jeux de gladiateurs. Mais chez nous tout est renversé. Chez nous, on lutte contre ce que l’on ne peut pas vaincre, et en même temps on ignore ceux que l’on pourrait sauver. C’est une erreur. Saint Ignace a tout à fait raison quand il dit que nous ne devons pas nous occuper de l’apostasie. Or, nous sommes capables de sauver ceux qui souhaitent être sauvés. Ce point est très important actuellement. Parce que chez nous, en Russie, on dépense beaucoup d’énergie à lutter contre ces malheureux passeports biométriques et numéros d’identification fiscaux. Si l’on dépensait cette énergie à prêcher l’Orthodoxie aux musulmans, la Russie ne ressemblerait pas à ce qu’elle est aujourd’hui.
Youri Maximov : J’aimerais ajouter quelque chose que peut-être le lecteur serbe ne sait pas. Saint Ignace était l’archevêque de la région Caucasienne où vivaient beaucoup de musulmans, et il menait la mission dans son diocèse. Il avait à sa disposition, comme dans tous les grands diocèses de l’Eglise Orthodoxe Russe, des missionnaires diocésains qui devaient annoncer l’Evangile aux musulmans et aux autres non-croyants. Avant la révolution en Russie c’était une pratique habituelle. Dans les lettres de saint Ignace, ces missionnaires sont mentionnés, ainsi que les musulmans qui ont accepté, dans ces diocèses, d’être baptisés grâce aux miracles qui s’y produisaient. Il serait donc absurde de penser que saint Ignace aurait été un opposant à la mission.
Je voudrais vous poser une question sur l’état de l’Orthodoxie en Russie. Il y a des gens en Serbie qui disent que l’Orthodoxie en Russie se renouvelle, on y construit des églises, il y a des chaînes de télévision et de radio orthodoxes, etc. En même temps il y a aussi des gens en Serbie qui disent que la Russie ressemble plutôt au fromage suisse, ayant des immenses trous, c’est-à-dire, des graves problèmes sociaux : la toxicomanie, l’alcoolisme, etc. Quel est le véritable état de la Russie actuelle ?
Youri Maximov : Il faut dire que les deux camps ont raison. En effet, il y a des problèmes. En Russie, on a beaucoup de problèmes moraux, de problèmes religieux. Mais en même temps, à côté de ces problèmes, la sainteté est apparente en Russie. Il n’y a pas forcément contradiction entre les deux. Si nous regardons l’histoire de l’Eglise, nous verrons que la situation y a toujours été pareille. Cela est vrai pour l’histoire de l’Eglise universelle, de l’Eglise russe et serbe. Par exemple, j’ai lu les lettres de saint Pierre Tsetinsky. Il parlait du terrible état moral au Monténégro parmi les prêtres serbes et parmi le peuple. D’après la description qu’il fait, il y avait beaucoup de problèmes. Pourtant, il y avait beaucoup de sainteté, saint Pierre lui-même était un saint de son époque. Vous savez que parfois des gens veulent juger de l’état de l’Eglise par des résultats, des événements extérieurs particuliers. Selon eux, si tout va bien extérieurement, tout va bien spirituellement aussi. Pendant l’époque des hiérarques saint Jean Chrysostome, saint Basile le Grand et saint Grégoire le Théologien, comme nous le savons tous, il y avait l’hérésie de l’arianisme et d’autres terribles problèmes dans l’Eglise.
Le père Daniel : Quand on demandait à saint Basile le Grand, « comment va l’Eglise ? », il répondait, comme mon corps, tout fait mal et il n’y aucun espoir qu’il guérisse.
Youri Maximov : C’est la même chose en Russie maintenant. Comme l’a dit saint Nicolas de Serbie, l’âme russe ne connait pas de juste milieu, elle va soit aux hauteurs de la vertu, soit au fond de l’enfer. Récemment, concernant la Russie moderne, j’ai rencontré cette même pensée en lisant les observations d’un prêtre orthodoxe belge qui avait vécu quelques années en Russie. Il dit qu’en Russie d’un côté on rencontre des gens qui nous font vraiment peur, mais de l’autre côté, il y a une sainteté en Russie qu’on ne verra jamais en Europe.
Le père Daniel : J’ajouterai que cela ne concerne pas uniquement la Russie. C’est qu’il existe simplement deux cités : la cité céleste, qui voyage dans ce monde, et la cité terrestre, qui s’installe dans ce monde. En Russie, on voit cela nettement bien. Il y a deux Russies. Il y a la Sainte Eglise qui voyage dans ce monde. Ceux qui lui appartiennent se reconnaissent facilement. Chez nous on les appelle les « tserkovniks » (du mot tserkov qui veut dire église en russe/ ceux qui vont à l’Eglise). Mais je les appelle les « ouranoupolites », les citoyens du ciel. Ce sont ceux qui vivent ici sur terre pour les intérêts célestes. Ils ne sont pas très nombreux, mais parmi eux, il y a des gens magnifiques, qui véritablement, réalisent l’Evangile dans la vie. Je pense qu’il n’est pas si important qu’on ait des chaines de télévision et de radio orthodoxes. Ce qui est important, c’est le rayonnement intérieur de sainteté qui fait que l’Eglise soit l’Eglise en tant que telle. Et en même temps, il y a des gens qui se sont installés dans le monde, qui cherchent leur propre satisfaction, qui veulent profiter au maximum de la vie. Ces gens peuvent même porter une croix, visiter l’église, mais ils sont pour Dieu des étrangers. Je ne veux pas dire pour toujours. Il y a de l’espoir pour eux ; et Dieu les visite par des crises économiques et des grippes porcines. Dieu visite tous les hommes selon des modalités diverses. Et parmi eux, il y a ceux qui se repentent. Pourtant il est intéressant de noter que la limite entre ces deux types de personnes n’est pas du tout liée à leur situation financière. Il y a des riches qui sont justes et il y a des pauvres qui sont impies.
Saint Augustin a dit, « Les gens font partie de la cité de Dieu quand ils aiment Dieu jusqu’au mépris de la terre et d’eux-mêmes, ils font partie de la cité terrestre quand ils s’aiment eux-mêmes jusqu'à détester Dieu. » La limite est nette. Et en Russie, on la voit d’une façon très claire. En fait, je pense qu’il en est de même en Serbie.

Version française
Aviv SALIOU-DIALLO et Charles HABEL
que nous remercions


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