mardi 15 mars 2011

Père Daniel Syssoev: Les entretiens Serbes (II) Deuxième partie


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Le père Daniel : J’aimerais ajouter une raison pour laquelle souvent les gens ne veulent pas mener la mission. C’est qu’en fait la Sainte Ecriture fait une différence nette entre le monde de la lumière et le monde des ténèbres. Il existe le domaine des élus, l’Eglise de Dieu : le domaine des sauvés, comme on le dit dans le canon. Et il existe le domaine où agit le Diable, où les gens vivent sous le pouvoir du prince des ténèbres, et après la mort finissent inévitablement en enfer. En fait dans notre esprit collectif cette frontière est floue. Chez nous, il y a ceux qui disent, « Oui, sans l’Eglise on ne peut pas être sauvé », et en même temps ajoutent, «Mais il y a des gens très bons qui sont hors de l’Eglise. » Voilà la raison pour laquelle les gens ne veulent pas annoncer l’Evangile. Ils croient qu’ils peuvent être sauvés par leurs propres bonnes œuvres, mais cela n’est pas possible, c’est l’hérésie de Pélage. S’il était possible d’être sauvé sans l’Eglise, le Christ serait mort en vain. Et c’est justement ce sentiment de pouvoir être sauvé sans le Christ qui ruine la mission. Je ne peux pas rester assis et me taire, quand je sais que qu’il est sûr que mon voisin hétérodoxe va en enfer, que les gens hors de l’Eglise sont des gens perdus. Ce sont des gens qui se glissent doucement en enfer et en sont conscients. Il n’y a personne qui le leur dit à côté, ils le sentent eux-mêmes. Ils sont déprimés, consumés par des passions, guettés par leur conscience et par la vie. Ils sont malheureux, ils hébergent de faux espoirs et récoltent un vrai chagrin. Ils cherchent une solution et nous leur disons, « Ce n’est pas grave, tu peux être mauvais et tout ira bien». C’est du mensonge. C’est justement ce mensonge, l’absence du sentiment d’être élu qui inspire le mépris pour la mission. Nous sommes des élus. Dieu ne nous a pas élus pour que nous nous pavanions et que nous nous vantions en disant : « Ô comme nous sommes bons ! », mais pour porter la Lumière du Christ, pour appeler, «Montez à bord de notre vaisseau. » Vous savez, il y a un tableau anti-œcuménique extraordinaire qui montre le Christ en train de conduire un navire, on tire sur lui de tous les côtés, c’est vraiment comme ça, mais en même temps Il doit aussi sauver tous les gens qui nagent dans la mer. Or, chez nous on ne veut même pas lancer des filets à ces gens. En plus, il y a des cas où on repousse des gens qui veulent monter à bord. Cela, bien sûr, va contre l’Evangile.
Je pense que si nous regardions bien dans l’Evangile, si nous nous souvenions des Béatitudes, nous verrions que beaucoup de Béatitudes font appel à la mission.
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ». Quelle est la plus grande miséricorde ? Ce n’est pas de donner de l’argent, mais de donner la vie éternelle. La personne à qui on donne de l’argent le dépensera en quelques jours, mais la vie éternelle sera toujours avec elle.
« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » Que peut-il y avoir de plus élevé que de réconcilier les gens avec Dieu. Les gens sont devenus ennemis de Dieu, Dieu est en colère contre les gens. Et si tu es missionnaire, tu accomplis le service du Christ, tu es l’envoyé du Seigneur Jésus Christ Lui-même et tu recevras Sa récompense, la récompense du fils de Dieu, dit le Seigneur. N’est-ce pas ? Les gens disent, « Comment puis-je devenir missionnaire ? On va me persécuter». Oui, bien sûr, c’est pourquoi il est dit : « Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux». Notre récompense dans les cieux est énorme. Les gens ont oublié la récompense céleste, ils ont oublié que nous vivons ici pour gagner notre récompense là-bas. Nous sommes trop accrochés à la terre. Si on lit la presse orthodoxe, de quoi y parle-t-on? On parle de politique, de ce qui s’est bien arrangé, de qui a établi de bonnes relations ici ou là. Mais, excusez-moi, nous quitterons cette terre sans aucun doute. Peut-être même aujourd’hui. Nous marchons tous sous le regard de Dieu. La mort n’est jamais très loin. Les gens ont oublié cela, ils ne veulent pas penser qu’il faut se préparer à l’éternité.
De plus, certains disent, «Se préparer pour l’éternité, c’est de la cupidité». Mais que dit le Christ ? N’a-t-Il pas dit, «Ne vous amassez aucun trésor» ? Il nous prescrit d’amasser des trésors dans le ciel, là, où il n y a ni voleurs, ni vers, et ni mites qui consument. Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Mais les gens ont oublié cela, ils amassent un trésor sur terre, ils vivent pour la terre. Et ils utilisent Dieu comme une sorte d’aide supplémentaire, comme le petit poisson d'or dans le conte de Pouchkine, le poisson d’or devait faire le trottin. De la même façon nous essayons de profiter de Dieu. Naturellement ce genre de personne n’annoncera pas l’Evangile, puisque cette personne utilise Dieu comme un moyen de satisfaire ses propres intérêts. Cela n’est pas honnête, et je doute que cette personne soit en réalité chrétienne.
La pitié pour les gens qui sont en train de périr, voilà qui est vrai. La peur d’être puni par Dieu pour avoir enfoui son talent dans la terre, le désir de gagner un trésor dans le ciel, c’est cela qui motive le missionnaire. Nous devons marcher avec Dieu, comme le Seigneur dit d’Enoch : « Enoch marcha avec Dieu, puis Dieu l’enleva. » Voila, marcher avec Dieu, c’est cela la racine de la mission. Dans ces conditions vous comprenez pourquoi la mission et la prière sont en effet une même chose. Avant de partir annoncer l’Evangile, j’embrasse ma croix pectorale de prêtre et je dis les mots suivants : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera Ta louange». Je sais que dès que je compte sur moi-même, la mission échoue. Et dès que je compte sur Dieu, la mission prend son essor. Car, je suis un serviteur du Christ. Chacun peut devenir serviteur du Christ, chacun peut gagner la récompense. De plus, le Concile de l’Eglise Orthodoxe Russe a développé la conception de la mission. Dans ce document, il y a une phrase très importante. Il est dit que la mission de l’Eglise est la continuation de la mission apostolique du Christ. Le Christ est le premier Apôtre. Et chez nous la parole du Christ continue. C’est le Fils de Dieu Lui-même Qui annonce l’Evangile en nous. Le Saint-Esprit Lui-même nous attire. Savez-vous que Dieu le Père fait un grand travail de recherche ? Comme le Seigneur le dit, « Les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. » Il recherche sur terre les gens qui sont prêts à L’adorer. Comment les recherche-t-il ? Par des missionnaires. Il envoie des missionnaires pour rechercher ces gens. Vous imaginez-vous ce que Dieu nous dira, si nous refusons cette mission ? Bien sûr, Dieu enverra d’autres missionnaires, mais qu’adviendra-t-il de nous ? Dieu dira, « Voilà un homme qui périssait, et tu l’as ignoré. Tu as refusé d’accomplir ma Parole. » Comment pourrons-nous paraître devant Lui ? Nous dirons, « Oui, Seigneur, mais nous T’avons tellement prié». Le Seigneur répondra, « Que veut dire, nous avons prié ? Un homme périssait. Pourquoi avez-vous ignoré ma Parole directe ? L’homme demandait du pain et vous lui avez donné une pierre. Vous lui avez tourné le dos. » Le rejet de la mission est aussi l’oubli du Jugement divin, du fait que nous devons répondre de tous nos actes. Nous oublions aussi que même dans la loi civile, il existe le principe de « l’abstention délictueuse » [non assistance], de n’avoir pas porté secours à quelqu’un en danger mortel. Et ce principe s’applique aussi à la loi spirituelle. Ne pas porter secours spirituel, n’est-ce pas aussi un crime ?
Grâce à mon expérience je peux te dire que lorsque tu prêches, tu te trouves sur un fil. Le Seigneur te rappelle que tu marches avec Lui, et si tu es menacé de tomber dans le péché, tu en es tout de suite empêché, le Seigneur ne te laisse pas tomber. Et même si tu tombes, le Seigneur te relève. Il ne te laisse pas t’endurcir dans le péché, parce qu’à travers Sa Parole que tu annonces aux autres Il te rappelle que tu devrais marcher avec Lui.
Qu’est-ce qu’un missionnaire doit faire en premier lieu ? Le Seigneur nous prescrit : « Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre». Alors, notre mission est d’être des témoins du Christ, c’est-à-dire que nous devons annoncer uniquement le Saint Evangile. Nous ne devons pas annoncer notre ethnicité russe, serbe ou américaine ou n’importe quelle autre chose. Or, nous devons seulement annoncer le Seigneur Jésus Christ, pourtant crucifié. Parlant de cette manière, tu vas te juger toi-même. Vous voyez, si tu dis aux autres, « ne forniquez pas», mais que tu forniques, il y aura des problèmes. Tu énonces, « Ne jurez pas », mais toi-même tu jures, il y aura les mêmes problèmes. Tu jugeras tes propres actes par la Parole de Dieu que tu annonces. Comme saint Grégoire de Nysse l’a bien dit : « Si tu souhaites enduire quelqu’un de saint chrême, tu verses le chrême sur ta main, et ensuite tu le verses sur lui. Qui enduis-tu en premier ? Tu t’enduis toi-même. »
C’est pourquoi l’Evangile est un livre vivant pour le missionnaire. Ce n’est pas un texte dont on tire des citations pour des thèses théologiques. Le missionnaire doit parler toujours uniquement de ce livre, et le vivre aussi. Une très grande erreur des missionnaires c’est d’essayer de diluer l’Evangile. Dans la deuxième Epître aux Corinthiens, l’apôtre Paul dit les paroles suivantes : « Nous ne sommes pas, en effet, comme la plupart, qui frelatent la parole de Dieu. » Frelater, c’est-à-dire diluer, comme on le faisait dans les tavernes. On prenait du bon vin, on rajoutait de l’eau, et pour que les gens ne remarquent rien, on ajoutait encore un peu de couleur. En lui-même le vin est curatif, bon pour la santé, mais le vin frelaté perd sa force, et avec l’addition du poison, il devient nuisible. Les mauvais missionnaires font exactement la même chose. Ils disent, « Les gens d’aujourd’hui ne comprennent pas la Parole de Dieu telle qu’elle est. » Tout récemment on m’a dit, « Père Daniel, c’est en vain que tu prêches si directement, le Christ ne les intéresse pas. » Alors, nous allons ajouter quelque chose de nous-mêmes. Nous allons mettre à jour la parole de Dieu, la moderniser, la rendre plus compréhensible, plus tolérante. Or, à mon avis, en réalité c’est le Christ qui nous intéresse. La politique n’est pas intéressante, le sport n’est pas intéressant. Mais parler du Christ, c’est intéressant.
Youri Maximov : J’aimerais ajouter quelque chose. Il est très important de comprendre ce que le père Daniel disait. Certains, parlant de la mission d’un point de vue théorique, disent qu’il faut modifier l’Orthodoxie pour que la mission réussisse. C’est du mensonge. C’est précisément la prédication de l’Orthodoxie de l’Evangile et des Pères de l’Eglise, sans l’altération d’une Orthodoxie moderne, l’Orthodoxie traditionnelle et saine que nous avons reçue des apôtres par les Pères de l’Eglise, c’est celle-ci qui touche les gens. « L’orthodoxie » moderne n’est pas capable de toucher les gens, et les missionnaires modernes en principe ne réussissent pas. Car, en gros le modernisme dit, « Tu peux croire ce que tu veux et vivre comme tu veux, l’essentiel c’est d’être une bonne personne et tout ira bien». Mais ce sermon ne convaincra que ceux qui cherchent le confort, et non ceux qui recherchent la vérité. Quand la personne qui recherche la vérité entend ce sermon moderne, pseudo-orthodoxe, elle se dira, « Je suis déjà une personne sympathique, pourquoi dois-je devenir orthodoxe ? » Les modernistes ne peuvent pas donner une réponse adéquate à cette question. C’est donc pour cela que leur mission n’est pas fondée. Or, ils pensent que la mission n’a pas de fondement en elle-même, comme si les gens ne s’intéressaient pas à connaître la vérité de Dieu. Mais cela est faux. Les paroles pseudo-orthodoxes n’intéressent pas les gens, parce que ces paroles n’ont ni force ni vérité. Or, la Parole évangélique, la parole patristique de la théologie véritable sont intéressantes même pour les gens simples qui n’ont pas de connaissances théologiques.
Saint Théophane le Reclus parlait de ce phénomène, il a dit : « Les douze apôtres sont sortis et ont converti une multitude. Comment ont-ils pu faire cela ? Pourquoi ? Parce qu’ils n’énonçaient pas leur propre spéculation, ils énonçaient la vérité divine. La conscience vit dans l’âme de chacun, elle distingue la vérité du mensonge. » Et quand nous exposons à quelqu’un nos propres fantaisies, il écoute simplement, mais nos paroles ne résonnent pas dans son âme. Il pense, « Oui, la façon dont il imagine les choses est intéressante. Alors, j’ai écouté et maintenant ça suffit. » Or, quand nous lui exposons la Parole de Dieu, elle résonne dans son âme. Sa conscience lui répond et lui témoigne intérieurement que tu dis la vérité. Deux voies différentes s’ouvrent alors chez la personne qui écoute l’Evangile et sent l’action de sa conscience. Ceux qui choisissent la première voie se disent, « Je vais suivre la vérité. » Qu’est-ce que cela veut dire, suivre la vérité ? Cela veut dire renier intérieurement tout ce qui contredit la vérité. Ceux-ci disent, « Pour moi seul Dieu est important, le péché n’a aucune importance pour moi. J’arrache toute obscurité en moi, j’arrache tout ce qui m’empêche d’approcher Dieu et je m’en vais. » Ceux qui choisissent la deuxième voie se disent, « Non, je reste avec mes péchés, je reste avec mes opinions, avec ma philosophie. » A ce moment dans l’âme de celui-ci, la conscience, les remords commencent à le brûler comme le feu. A cause de cela personne ne peut être indifférent envers les orthodoxes. Soit on les aime, soit on les déteste. Car la conscience de chacun agit sur lui de cette façon. Nous voyons cela dans les vies des apôtres. Une multitude de gens se sont tournés vers les apôtres, parce que les paroles des apôtres résonnaient avec la vérité qui étaient déjà en eux. En même temps, les apôtres ont souffert de la main de ceux qui les détestaient.



Version française
Aviv SALIOU-DIALLO & Charles HABEL
que nous remercions

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