Lorsque j'avais 24 ans, j'étais incroyablement dépendante de ma mère. Il n'y a probablement pas de raison de parler de l'arrière-plan de notre famille. Je vais juste dire que pratiquement toute ma vie, ma mère fut gravement malade, et sa maladie physique mit l'accent sur son psychisme. L'atmosphère à la maison était constamment oppressante, il y régnait une incroyable étroitesse d'esprit, de méfiance, de volonté propre, et de crises de nerfs. Mes petites tentatives de désobéir à des ordres de ma mère s'achevaient en scandales, en graves accusations, et le plus effrayant, des phrases sur la façon dont ma désobéissance ferait inévitablement décliner et mourir ma mère.
Il est si difficile de vivre quand l'enfance est accablée par le sentiment que l'une de vos erreurs pourrait coûter la vie à quelqu'un, quelqu'un que vous aimez plus que tout au monde. En général, malgré toutes mes craintes devant ma mère, j'ai fait des choses stupides. Après quelque temps, je me suis préparée à épouser un parfait inconnu que je n'aimais pas. Ce fut ma seule chance d'au moins rompre avec la situation inextricable de ma famille. J'ai essayé de ne pas penser que j'allais d'un piège dans un autre.
La méfiance de ma mère s'aiguisa encore plus à cette époque, et elle a commencé à vérifier mes périodes mensuelles. Mes tentatives pour essayer d'échapper à cette surveillance mesquine ne m'apporta que de nouveaux scandales et des accusations en tout ce qui pouvait lui passer par la tête.
Et ainsi dans ce genre de contexte, il m'est arrivé d'avoir du retard. Un jour passa, deux ... Je n'étais pas tout simplement paniquée, j'étais terrifiée. Car le dire ouvertement à ma mère, était totalement impensable depuis que j'étais absolument sûre que d'un tel choc elle mourrait rapidement, et que je ne pouvais pas vivre avec sa mort sur ma conscience. Pendant ce temps, j'ai dû faire semblant d'avoir mes périodes, pour trouver un moyen de m'en sortir. Selon les conseils de quelques amies, j'ai pris des bains de moutarde, des poignées de Redoxon, mais rien n'y fit.
Après deux jours je me suis forcée à parler de mon problème à deux compagnes de travail, qui étaient assez âgées pour être ma mère.
«Pourquoi hurles-tu, Dura? De combien de semaines est ton retard?
"Quatre jours".
«Ecoute, non loin d'ici une clinique a ouvert qui fait des "minis" si le retard n'a pas été de plus d'une semaine. Ceci est un jeu d'enfant, nous l'avons fait, ce n'est rien par rapport à un avortement normal. Tu viens, et tout est vite fait et tu es à la maison dans une heure. Voilà toute l'affaire. As-tu de l'argent? "
J'avais un peu d'argent. Il se trouve qu'il y avait peu de temps, ils m'avaient donné trois cents roubles sur le budget de la famille pour les frais du mariage, et si je pouvais essayer de faire passer le prix de l'avortement pour d'autres dépenses. Mon fiancé était tout à fait indifférent à la nouvelle, et m'ai laissé décider de tout. Il ne m'a pas non plus donné d'argent, mais il a accepté de m'accompagner à la clinique.
J'ai appelé la clinique, j'ai pris un rendez-vous, et je me suis traînée lentement de la maison, comme demandé, avec une couverture et une chemise de nuit. A l'entrée de la clinique mes genoux étaient déjà tremblant, j'ai eu des nausées, et je marchais dans un état second.
Dans la salle d'attente des dizaines de filles étaient assises, principalement des beaucoup moins jeunes que moi, et il y avait peu d'adultes parmi elles. Ils nous ont pris par ordre d'arrivée pour un peu plus que l'examen requis, pour l'analyse, puis nous sommes allés dans les vestiaires avant la salle d'opération. Personne n'a essayé de nous dissuader de le faire, et leur attitude envers nous a été dédaigneuse et dégradante.
Quand il n'y eut déjà plus personne en face de moi, j'avais une forte envie de tout abandonner, de cracher sur mon argent, et de m'enfuir. Je me souvins alors du visage de ma mère, et je suis restée. De la salle d'opération vint une jeune fille qui se tenaient courbée, blanche comme un linge, et ce fut mon tour. Ils m'ont donné des comprimés à boire dans le but de détendre un peu mes muscles. J'ai prudemment posé une question sur les anesthésiques, et l'infirmière m'a brusquement rabrouée et m'a dit que des gens comme moi n'avaient pas besoin d'anesthésiques, et que nous n'étions pas autorisés à en obtenir.
Ils m'ont posé sur une table haute, m'ont mis en contact avec une sorte de tuyau, et ont fait marcher une machine... Il y eut une douleur telle que je n'en ressentis jamais, ni avant ni depuis. La douleur et la terreur...
L'infirmière me dit alors de descendre et d'aller dans une autre chambre et de me coucher pendant une demi-heure avec un sac de glace sur le ventre. Il me semble que je suis tombée en syncope, mais à tous les égards ma conscience était définitivement éteinte, et je suis littéralement tombée dans une sorte de lieu noir. Après quelque temps, ils m'ont réveillée en me secouant et m'ont dit de rentrer à la maison. Un frisson nerveux m'a secouée sur tout le chemin du retour, mais à la maison, j'ai dû mettre un sourire sur mon visage, dire quelques mensonge d'histoire de promenade romantique sous les cerisiers, et je suis allée dormir. Cela s'est passé au milieu du mois de mai, en 1989.
Il y a eu par la suite le mariage, qui a pris fin après un an et demi par un divorce, puis le baptême et les tentatives infructueuses d'aller à l'église, un second mariage, deux enfants, et la mort de ma mère. J'ai eu une grave dépression, et je n'en pouvais pas trouver la raison.
Depuis lors, j'en suis venue à comprendre certaines choses. Plus important encore, je n'étais pas réellement enceinte la première fois. Il y avait des problèmes avant cela même, la possibilité de grossesse de nos «expériences» avec mon premier fiancé étaient extrêmement faibles, et lui-même, comme cela s'est avéré plus tard, était pratiquement stérile. Ils envoyaient tout un chacun à cette opération avec la machine, afin de leur donner une leçon, même si l'argent qu'ils prenaient pour cela n'était pas peu de choses en 1989.
J'ai essayé de mettre mon esprit à l'aise avec cela, mais la dépression n'a pas disparu. Parfois, la dépression est devenue plus forte, et parfois je restais simplement assise engourdie par la douleur. Je perdais l'esprit à cause de cela et je ne sais pas comment je pouvais encore vivre avec cela. Après quelque temps, j'ai fini par arriver dans l'Eglise.
Lentement, l'idée de ce que j'avais fait est venue vers moi dans toute sa réalité. Que cela ait été un enfant ou non n'était pas important. Il y a plusieurs années, j'avais décidé de me faire avorter, et ce fut tout ce qu'il fallait pour me faire sentir comme une meurtrière.
La repentance réelle est venue à moi à ce moment-là, par les larmes. Plusieurs fois, j'ai essayé de dire tout cela en confession, mais à chaque fois que je commençais à expliquer que le péché que j'avais commis avant le baptême me tourmentait, à ce moment le prêtre interrompait disant, comment cela peut-il être possible, il semble que tu ne crois pas que le sacrement du baptême lave tous les péchés commis auparavant. Je n'ai pas eu l'occasion d'expliquer que j'avais été baptisé pratiquement sans préparation, en ne comprenant pas le sens de quoi que ce soit, sans être prête... Il n'y avait eu aucun moment de repentance et de renoncement à ma vie antérieure au moment du baptême...
Pendant le Grand Carême de cette année, le souvenir de ce que j'avais fait est devenu encore plus intense. Chaque fois que je me préparais pour la confession (je me confessais chaque semaine), je me rappelais involontairement tout d'abord l'avortement, et j'essayais de me convaincre de ce qu'une fois le prêtre avait dit, cela signifiait qu'il n'y avait aucune raison d'y revenir. Malheureusement, cela revenait avec de plus en plus de douleur spirituelle.
Enfin il vint un jour où je tombai littéralement sur le lutrin de l'Evangile, et le "bon" prêtre n'était pas là (celui à qui je voulais me confesser), mais le prêtre "strict" était là, lui. J'ai bafouillé: "Je n'en peux plus, dans ma jeunesse, par crainte de mes parents j'ai eu un avortement..."
Je ne me souviens pas ce que j'ai dit plus tard, ou de ce qu'a dit le prêtre. Je ne me souviens combien sa réaction m'a impressionnée. Je m'attendais à ce qu'il me fasse des reproches, qu'il me traite sévèrement, mais au lieu de cela, j'ai vu de la compassion et de la douleur pour moi... Je ne m'étais pas préparée à la Communion à ce moment-là, car mon conflit spirituel me tourmentait tellement que je ne pouvais pas me résoudre à prendre avec moi mon livre de prières, et deux jours avant la confession, je me suis tout simplement effondrée (il y avait quelque chose d'autre a ajouté à mes souffrances de l'avortement ).
Néanmoins, il m'a bénie pour recevoir la Communion. «Va, reçois la Communion, ces blessures ont besoin d'être guéries..."
Depuis lors, peu à peu j'ai commencé à guérir...
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Quel bel article et quel beau et bon prêtre que ce prêtre "sévère"... J'ai moi-même été dans ce genre de situation, et j'ai finalement refusé l'avortement, que tout le monde me conseillait (il était même "irresponsable" d'agir autrement) et il s'est produit spontanément par la suite, me causant une grande douleur morale. Je m'étais confessée à Moscou, à un jeune prêtre, d'avoir inconsciemment décidé d'avoir un enfant sans père, parce que je ne supportais pas l'idée de ne pas en avoir, et je n'étais pas sûre d'assummer les conséquences. Il avait juste fermé les yeux: "Petite mère, qu'est-ce que ça veut dire, le bonheur? tu es malheureuse et cela durera cinquante ans, mais ton éternité, il ne faut pas la gâcher!"
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