dimanche 28 février 2010

Le cheminement secret d'un chef amérindien Mohawk vers l'Orthodoxie (III & Fin)






Nous sommes montés dans la petite voiture, et je me suis assis à la place du chauffeur. Vladimir était copilote. Il a commencé à nous montrer tous les points de repère:

«Ici, dans le centre du village, vous pouvez voir l'église catholique. Elle est dédiée à Sainte Kateri Tekekwitha, une femme indienne que le prêtre a proclamé sainte. Nous gardons ses os dans cette église, ils accomplissent des miracles. Il s'agit d'un pèlerinage pour les laïcs. Sa vie est belle comme un conte de fées... Pour moi, c'était une folle-en-Christ... C'était une folle pleine de grâce... Elle se roulait dans la neige pour purifier son cœur... Mes compatriotes du village qui sont devenus catholiques ne sont pas particulièrement friands de la propagande catholique, mais ils montrent révérence à leur sainte, c'est leur pression sur le Vatican qui a amené sa béatification... A côté de l'église, il y a un petit musée. Là-dedans, vous trouverez une carte de la confédération, qui décrit en détail l'ensemble des tribus indiennes, les symboles, les chiffres, les endroits d'où ils proviennent, leur parcours historique, leurs langues... Tout est devenu une partie du... musée... Maintenant tourne à droite, ici... c'est notre Centre Culturel. Au-dessus, il y a la station de radio où nous nous sommes rencontrés... C'est de là que j'émets... Maintenant, pendant la période du Triode, et ensuite, pendant le Carême, je joue beaucoup de musique spirituelle de l'Occident et, peu à peu, j'inclus certaines parties orthodoxes, mais tout juste assez pour ne pas être provocateur. La musique spirituelle indienne n'est pas autorisée à la radio. Ce n'est que pour la "longue maison". Le centre culturel est soutenu financièrement par le gouvernement blanc. Les puissances extérieures, du monde "civilisé", veulent nous aider, mais uniquement sur le papier, en réalité, ils veulent nous noyer, nous humilier, nous épuiser, pas tellement nous, mais nos âmes et tout ce que nous portons. Ils veulent faire de nous des masques pour les musées, des clowns lors de fêtes, de la recherche pour les archéologues... Ils n'ont pas pris une bouffée de notre tabac, et ils ne se savent quel genre de... tabac nous préférons. "

Il éclata de rire. Je perdis presque le contrôle du volant... je continuai à rouler en suivant ses instructions - gauche-droite - tout droit etc... Jusqu'à ce que, dans un virage de la route, nous ayons vu une structure moderne mais de forme très inhabituelle...

«C'est notre école, école élémentaire et secondaire. Elle a un bon programme, je l'aime. Elle est vraiment indienne. Outre les sujets classiques de l'éducation de "blanc", nous avons beaucoup d'autres matières qui sont probablement inconnues des Blancs. Nous ne les appelons pas "coutumes" ou "culture", mais les manières "Indiennes", "les voies indiennes" (les sons de la terre), les danses indiennes, les chants et les cris indiens (comme un drame antique), la loi indienne, et d'autres choses. Les terrains qui entourent l'école sont sacrés. Nous avons aussi une "chambre noire", mais pas pour les photos... c'est pour la fabrication du... masque à l'intérieur de nous "

- Va maintenant tout droit, vers l'Est. Continue, jusqu'à ce que tu trouves la route. A deux-trois kilomètres d'ici...

"Voici notre hôpital. C'est un bâtiment neuf et c'est une idée nouvelle pour nous. Quelque chose de salutaire, je l'espère. Il a été construit en 1985. Avant cela, nous avions nos propres hommes-médecine, ou nous avions recours à des hôpitaux de l'homme blanc. Mais... ils étaient difficiles... La plupart de leur personnel n'était pas habitué à nos manières, il était difficile pour eux de s'occuper de nos vieux. Ils doivent être à notre place, afin d'essayer de comprendre... Beaucoup d'entre eux essaient de le faire. D'ailleurs, on peut dire qui aime vraiment et qui peut être discerné parmi les professionnels habituels..."

Vladimir Natawe était le chef de sa tribu, il était leur chef spirituel. C'est lui qui récitait les textes à leurs funérailles et à leurs mariages, il était quelque chose comme un prêtre pour eux. Dans la soirée, il restait assis les jambes croisées dans la "longue maison", à l'écoute des problèmes de son peuple, pour les résoudre avec les conseils qu'il offrait. Il avait le rôle d'un juge, ce qui était l'une des traditions les plus puissantes. C'était un poète et un traducteur, mais aussi un philosophe. Il connaissait leurs problèmes mieux que quiconque, il connaissait aussi les lois strictes qui régissaient leurs tribus. Ceux qui reniaient leurs principes ancestraux et devenaient chrétiens étaient autorisés à rester dans le village, mais on ne leur donnait aucune position. Ils devaient quitter le Conseil des sages, des vieillards, ils "perdaient leur destin", comme on l'a décrit à leur manière spéciale, ils étaient désavoués. Tout cela pouvait ne pas être d'une grande signification pour un Indien ordinaire, mais pour un chef...

Personne dans le village n'a jamais su, jusques en ce jour où il est mort, que leur chef était chrétien orthodoxe. Et Vladimir, qui était Frank pour eux, a vécu et travaillé avec eux, pour eux, avec la crainte toujours présente qu'ils pourraient le découvrir. Il a dû être perpétuellement modéré, attentif, flexible, sinon son image aurait été brisée en eux. Il était en charge de la station de radio pendant des années, et il a également travaillé à leur centre culturel. Il était considéré comme une autorité sur les sujets concernant la tradition, et il était incroyablement touché, chaque fois qu'il trouvait des "parallèles", comme il les appelait, dans la tradition orthodoxe. Il partagea beaucoup de ses expériences avec nous, parce qu'il ne pouvait pas les partager avec son propre peuple. Quelle lourde croix à porter...

Chaque fois que je le voyais sortir du sanctuaire de la petite église orthodoxe de la Mère de Dieu, qui avait des offices en anglais et en français, habillé en servant et tenant un cierge devant les prêtres et les évêques, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander quel genre de cœur ce vieux loup indien avait en lui, qui lui disait en permanence: "Dieu le sait". Et il se prosternait toujours sur le sol, afin que Dieu lui donne l'illumination de gouverner son peuple à travers les tempêtes et les épreuves, et lui donne la force de tenir la lourde charge qui lui avait été donnée, jusques à la fin.

Les années passèrent. Chaque ami qui nous rendait visite à Montréal devait faire le voyage obligatoire vers ce village indien pour rencontrer Vladimir. Et beaucoup d'entre eux m'ont dit qu'ils avaient mis sur le papier leurs propres expériences là-bas.

Un matin, j'ai reçu un appel téléphonique à Montréal, me disant que Vladimir était décédé dans son village. La question qui surgit dans mon esprit était: qui va l'enterrer, que va-t-il advenir de lui? Il avait toutefois laissé des instructions, écrites et précises pour tous les rituels à faire dans la tradition indienne dans la "longue maison" et pour qu'un prêtre orthodoxe lise des bénédictions sur son corps. Naturellement, les Indiens n'avaient aucune idée de ce qu'il entendait par "un prêtre orthodoxe", mais il avait laissé quelques numéros de téléphone aussi.

Ils ont effectivement téléphoné, et un prêtre orthodoxe est venu réciter le service funèbre avant qu'ils ne portent Vladimir dans la longue maison.

Malheureusement je n'ai pas eu l'occasion d'assister au rituel dans la longue maison, mais un ami commun qui ont assisté à l'enterrement m'a transmis les détails.

Deux jours après les funérailles, ce même ami, Michael, m'a apporté les nouvelles, et un paquet. Il m'a dit qu'il avait assisté à tout le rituel. C'était vraiment impressionnant. Quand ils vont à la longue maison, les Indiens mettent des vêtements qui correspondent à leur rang dans le village. Le rituel, qui était bien sûr dans leurs propres langues, avait une forme particulière, un peu comme l'ancien type byzantin. À la fin, le testament du chef de tribu a été donné en lecture à haute voix, devant toute la tribu. Dans son testament, il a mentionné où il laissait chacun de ses biens. Vladimir avait 75 ans tout au au plus. Il avait des enfants, des petits-enfants et des arrière petits-enfants. Il laissa quelque chose à chacun des membres de sa famille. À un moment, l'indien qui donnait lecture du testament a éprouvé quelques difficultés à lire un nom qui n'était pas indien et, après avoir grimacé un peu, il a mis ses lunettes et a prononcé le nom, d'une manière déformée de la façon suivante: "Ya-nis Ha-dji-ni-ko-la-ou ". Mon ami Michael leva la main et on lui donna le paquet, qu'à son tour il m'a donné.

Quand j'ai ouvert le paquet, j'ai vu ce qui était à l'intérieur: c'était un livre, "La Divine Liturgie", en grec et en anglais, que je lui avais donné il y a de nombreuses années. A l'intérieur, sur la première page, il y avait écrit: "Pour Yanni", et en dessous, en grec: ""Καλή αντάμωση"(A nos retrouvailles!/ Au revoir!)- Vladimir Natawe". J'ai pris cela comme un geste très aimable de sa part, il avait en effet inséré ces mots avant son départ définitif, peut-être parce qu'il avait senti que sa mort était proche. Il avait écrit en grec les mots pour dire "au revoir". Bien entendu, la surprise ne s'arrêtait pas là: il y avait encore autre chose. Lorsque j'ai feuilleté le livre, j'ai été stupéfait, bouche bée... Il avait traduit l'intégralité du texte de la Liturgie en langue mohawk, au-dessus des lignes du texte anglais! Bien sûr, je ne peux pas lire le mohawk, mais je tiens à ce livre comme à un souvenir, cette Liturgie orthodoxe traduite par Vladimir en langue indienne, toute la Liturgie de Saint Jean Chrysostome... Si Dieu m'accorde cet honneur, peut-être que je la publierai une jour...

Des histoires contemporaines comme celle-ci peuvent sembler être comme un conte de fées, parce que notre vie semble également fugitive. Et pourtant, ces histoires sont remplies d'une lumière sans déclin, elles sont les témoignages modernes de cette bienheureuse "folie", de cette levure qui fait lever toute la pâte, de la petite église au sommet d'un îlot de la mer Egée, aux lointaines réserves indiennes du Canada.

Au revoir Vladimir... Karamazov...

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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