vendredi 1 janvier 2010

Fols-en-Christ: saint Nicolas Kotchanov


Николай Кочанов, Христа ради юродивый

Saint Nicolas Kotchanov (27 juillet)

Maxime et Juliana étaient de riches notables de Novgorod la Grande. Ils étaient connus pour leur piété sincère et sans hypocrisie. En fait, la mère menait une vie tellement agréable à Dieu qu’après son trépas, la Sainte Eglise la commémora comme la juste Juliana.
Il ne fut pas surprenant alors que leur fils Nicolas soit un enfant très pieux. Il était si intéressé par la prière, le jeûne et les offices divins que tout jeune déjà il était admiré avec révérence par les gens de Novgorod. A cause de ses remarquables combats spirituels, Nicolas obtint très tôt la maîtrise des passions et des actions répréhensibles, communes à la jeunesse.
Le respect et la gloire accordés par ses concitoyens à Nicolas lui étaient pesants car, ayant reçu récompense des hommes, il craignait de perdre sa récompense au Ciel. Il craignait même de tomber dans l’orgueil. Pour cette raison, par la grâce de Dieu, Nicolas fut autorisé à entrer dans la voie très douloureuse de la folie pour le Christ. Oubliant sa famille, ses domaines, ses serviteurs, Nicolas commença à marcher pieds nus dans les rues de Novgorod, vêtu seulement de haillons. Il ne possédait rien qui lui appartienne mais vivait de ce qui lui était donné par de pieuses personnes. Le saint ne s’habillait pas différemment en hiver et endurait les froids les plus extrêmes dans des vêtements en loques. Tandis qu’il mortifiait la chair, il s’efforçait encore plus d’humilier l’esprit. A cette fin, il se faisait passer pour un simple d’esprit ridicule. Peu de gens comprenaient la signification véritable du combat de Nicolas et il essayait de fuir ceux qui le comprenaient, afin d’éviter la gloire mondaine.
On battait souvent le saint, on l’insultait et on crachait sur lui. Non seulement il supportait cela avec patience, mais il couvrait ses offenseurs d’amour et priait secrètement pour ceux qui l’offensaient. Il se réjouissait même de son abaissement. Selon le biographe de sa vie, «il aimait par-dessus tout la maison de Dieu, prier de toute son âme. Il aimait aussi rendre visite chez eux aux gens simples pour leur parler des desseins divins, les mettre sur le chemin du salut, en détournant ainsi plusieurs de l’erreur. Il réconfortait ceux qui étaient affligés, prévenait les tentations et convertissait les pécheurs au Seigneur»… Dieu, voyant en son serviteur un tel zèle, le glorifia dans tout Novgorod et attira vers lui tous ceux qui Le craignaient. De tous les miracles par lesquels Dieu glorifia son élu durant sa vie terrestre, le plus frappant fut le suivant.
Un noble qui vivait à Novgorod avait organisé une fête à laquelle il invita tous les habitants de Novgorod. Avant le banquet, il rencontra saint Nicolas dans la rue. Il avait une profonde et sincère révérence pour le fol-en-Christ. Il s’inclina devant lui et lui dit : «Serviteur du Christ, montre moi de l’amour et de la gentillesse en acceptant de venir dîner chez moi». Le saint répondit : «Si cela plaît à Dieu, il en sera ainsi» ! Quelque temps plus tard, le fol-en-Christ arriva à la maison du noble. Le maître de maison n’était cependant pas encore revenu chez lui et quelques-uns de ses serviteurs, en voyant le fol-en-Christ en haillons, le battirent, se moquèrent de lui et lui dirent toutes sortes de choses désagréables. Le saint homme supporta toutes ces offenses sans un murmure. Le fol-en-Christ fut alors chassé de la maison et il recommença à marcher à grandes enjambées par les rues, selon son habitude. Enfin, le noble arriva chez lui et les invités commencèrent à se rassembler pour le banquet. Quand vint le moment de servir le vin et les boissons aux invités, les serviteurs allèrent à la cave pour les puiser dans les tonneaux. Avec étonnement et crainte, les serveurs trouvèrent les tonneaux vides. Avec une certaine appréhension, ils s’approchèrent du maître pour lui faire état de cette situation inexplicable. Il fut incapable de les croire et alla examiner les tonneaux lui-même. Il découvrit qu’ils étaient effectivement vides. Un grand affolement s’ensuivit. L’hôte allait envoyer chercher du vin quand il se mit à penser à saint Nicolas. Sûrement que le saint pourrait expliquer ce mystère. «Etait-il arrivé» ? «Oui», répondirent les serviteurs à la question de leur maître. Mais quelques-uns des serviteurs ignorants l’avaient chassé et outrageusement offensé. Le noble comprit immédiatement. Le péché des serviteurs envers le saint de Dieu était révélé. Immédiatement, le maître envoya d’autres serviteurs dignes de confiance pour trouver le saint et le ramener à la fête. «Si vous le trouvez, dit-il, suppliez-le très humblement de revenir afin de se montrer miséricordieux envers le pécheur que je suis».
Quand les messagers trouvèrent enfin le saint, ils s’inclinèrent jusques au sol devant lui, disant : «Serviteur du Christ, les laquais de notre maître t’ont offensé, mais aie pitié d’eux, pardonne leur erreur et reviens chez lui». «Si cela convient à Dieu, il en sera ainsi», répondit doucement le fol-en-Christ. Le bienheureux alla chez le noble maître de maison, et celui-ci, informé de son arrivée, vint accueillir saint Nicolas sur les marches de l’entrée, s’inclinant jusques à terre devant lui.
Quand l’hôte l’eut assis avec ses invités éminents, il se tourna vers le fol-en-Christ et l’implora ainsi : «Bienheureux Nicolas ! Pardonne-moi l’erreur de mes serviteurs et donne-leur la bénédiction pour qu’ils apportent le vin». «Qu’il en soit fait selon ton désir», répondit le saint. L’hôte s’inclina devant lui et alla avec ses serviteurs vers les tonneaux du cellier. A présent, ils étaient pleins !
Le bienheureux comprit de quelle manière la grâce de Dieu était advenue dans la maison du noble avec sa propre arrivée et il craignit la gloire humaine. Quand le noble s’assit de nouveau, saint Nicolas lui enjoignit de ne rien dire, par ces paroles : «Ne raconte à quiconque cette grâce que Dieu t’a accordée, jusques au temps où Dieu m’enlèvera», et il quitta la maison secrètement.
Le fol-en-Christ Théodore, contemporain de Nicolas, vivait aussi à Novgorod. Saint Nicolas vivait dans le quartier de Sophia, tandis que saint Théodore restait dans les environs de Torgava. Du temps des deux saints, ces quartiers importants de Novgorod étaient impliqués dans une querelle terrible et sanglante qui divisait toute la ville et occasionnait souvent des massacres. La cité est partagée par le fleuve Volkhov et les quartiers de Sophia et Torgova sont joints par le Grand Pont (appelé aussi le pont Volkhovsky).
C’était sur ce pont que la plupart des rencontres sanglantes entre les factions rivales avaient lieu. A plusieurs reprises, les évêques allaient au pont promptement afin de s’interposer et de ramener la paix dans ces batailles particulièrement violentes.
Saint Nicolas et saint Théodore commencèrent à imiter, à la manière des fols-en-Christ, leurs citoyens querelleurs. Prétendant être d’irréconciliables ennemis, les bienheureux s’observaient constamment sur le pont Volkhovsky. Si l’un d’entre eux osait traverser le pont, l’autre ne le laissait pas aller sur la berge mais le chassait vers l’autre rive. Le centre du pont devint pour eux une frontière que nul d’entre eux n’osait franchir. Les saints se comprenaient très bien cependant et cette inimitié feinte avait une raison bien définie.
Pendant cette hostilité ostensible des deux bienheureux, l’incident miraculeux suivant advint, révélant à tous l’état de grâce des deux saints. Un noble que Théodore révérait grandement l’invita chez lui. La demeure se trouvait être dans le quartier de Sophia, dans lequel il lui était interdit d’entrer. Ignorant les ardentes requêtes du noble, Théodore refusa avec constance, disant : «Je n’irai pour rien là où vit le méchant Nicolas. Il me battrait pour cela» !
Cependant, après des requêtes répétées et ferventes, saint Théodore accepta de rendre visite au noble qui l’avait invité. A peine était-il arrivé dans le quartier de Sophia que son ennemi prétendu, Nicolas, lequel l’avait observé, apparut devant lui et commença à le battre en lui adressant des reproches : «Comment as-tu osé venir dans cette partie de la cité» ? Saint Théodore commença à courir de rue en rue avec saint Nicolas à ses talons ; il parvint finalement dans un jardin qui se trouvait sur la rive du fleuve Volkhov. Saint Théodore se retourna et se mit à courir sur l’eau comme à pieds secs. Saint Nicolas, voyant sa proie lui échapper, se mit à courir sur l’eau après Théodore. Comme Théodore atteignait le milieu du fleuve, saint Nicolas lui jeta un trognon de chou. Plusieurs personnes virent cet événement qui arriva plus d’une fois. Le bienheureux Nicolas reçut le nom de Kotchanov (qui vient de «kotchan», le trognon de chou), à cause de ces incidents.
Saint Nicolas reposa dans le Seigneur le 27 juillet 1392, dans son vieil âge. Durant sa vie, il avait déjà choisi le lieu de son tombeau et de pieux admirateurs accomplirent ses souhaits. Il fut enterré dans le quartier de Sophia, au bout du cimetière de la cathédrale de Yakovlesky.
Après le repos de Nicolas, de pieuses gens, se souvenant de sa vie vertueuse et de ses miracles, commencèrent à le vénérer et à rassembler les souvenirs de son grand combat ascétique. Le renom de sa sainteté commença à se répandre grandement. Ainsi, cent soixante-deux ans après le trépas de Nicolas, en 1554, l’archevêque Pimène de Novgorod, afin d’honorer la mémoire du saint, construisit sur la tombe une petite église dédiée au saint mégalomartyr Pantéléimon dont la mémoire est célébrée le jour de la naissance au Ciel du fol-en-Christ. En ce temps-là, un tombeau fut érigé sur la tombe de saint Nicolas et la commémoration de sa mémoire fut ajoutée au calendrier de l’Eglise. Les gens commencèrent à parler de l’église de Saint-Pantéléimon comme de l’église de «Nicolas Kotchanovsky».
Cette église célèbre fut détruite en 1611 par les Suédois quand ils attaquèrent Novgorod. En 1618, sept ans plus tard, elle fut reconstruite par souscription. En 1772, un nouvel iconostase doré fut érigé et, l’année suivante, un réfectoire et la chapelle de saint Dimitri de Rostov furent ajoutées. En 1815, un reliquaire sculpté à la main et doré fut érigé sur les reliques du saint.
En 1831, un nouveau chapitre de l’histoire de l’église de Nicolas-Kotchanovsky commença. Cette année-là, le 27 juillet, naquit le troisième fils du tzar Nicolas Pavlovitch. A cause de sa vénération particulière pour le fol-en-Christ Nicolas et en signe de bienveillance pour la cité de Novgorod, le souverain donna à son fils le nom de Nicolas Kotchanov. De ce jour, la générosité du Tzar pour l’église de Nicolas-Kotchanovsky fut sans limites. On ne sait si le Tzar reçut de l’aide du saint, mais il semble qu’il en fut ainsi. On se souvient que la vie du tzar Alexandre III fut épargnée par l’intercession de la folle-en-Christ Xénia de Saint Pétersbourg. Le grand Prince lui-même, devenu majeur, montra une grande bienveillance envers le sanctuaire. Ainsi, en 1832, l’Empereur donna deux mille roubles à l’église pour faire une riza1 à l’icône du saint. En 1844, mille cent vingt-huit roubles furent données pour des rénovations. En 1847, le grand Prince donna cinq cents roubles pour construire une chapelle sur la tombe de la juste Juliana, mère du fol-en-Christ. En 1858, le grand Prince Nicolas construisit une chapelle dédiée à saint Nicolas, dans l’église.
Un manuscrit du xviie siècle révèle qu’aux temps anciens, l’archevêque de Novgorod servait lui-même la Divine Liturgie dans l’église de Saint-Pantéléimon, au jour de la commémoration du fol-en-Christ. Les vêpres et le moleben2 étaient concélébrées par l’higoumène du monastère de Nicolo-Belsky et par le clergy de la cathédrale.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Lev Puhalo & Vasili Novakshonoff
God's Holy Fools
Synaxis Press,
Montreal, CANADA
1976

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