dimanche 13 septembre 2009

Quelques Fols-en-Christ athonites


Basile le Bienheureux, Russie, XVIè siècle

Il n’y a pas, à notre connaissance, de chronique complète des fols-en-Christ de la Sainte Montagne de l’Athos, le simple fait d’aller vivre en ce lieu témoigne déjà d’un amour fou pour le Sauveur, sa Mère Très Pure et Ses saints, amour qui fait quitter le monde pour entrer dans le royaume de l’hésychie et de la prière pure. Cependant, au sein même de la fournaise où l’ange vient arroser de rosée vivifiante les athlètes du lourd combat ascétique, certains éprouvent le besoin de se rapprocher plus encore du Feu divin.

Fous sublimes parmi les fous en partance continuelle pour le Royaume, les fols-en-Christ de l’Athos se sont dépouillés plus encore que les autres, en sus de leurs vêtements et de leur réputation, ils ont aussi abandonné totalement leur identité pour se fondre dans l’Amour incommensurable qui avait suscité leur pure vocation. N’était-il pas fol-en-Christ celui dont un moine retrouva les ossements fragrants et qui refusa qu’on les vénère et les honore ? Dieu le sait !

Par sa Providence et pour l’édification de notre siècle épuisé de confort et de facilité, quelques silhouettes se sont détachées brièvement sur les rocs arides du paysage athonite, éclairées par l’Autre Soleil ; mais si ces ombres qui nous restent sont belles, qu’imaginer des êtres qui les suscitaient ?

Saint Maxime le Capsocalyvite (brûleur de cabanes) vécut au désert de l’Athos en 1320. C’était alors un lieu véritablement nu. Il y vivait en totale humilité. Il ne possédait rien que le nécessaire et brûlait les huttes qu’il se construisait dès qu’elles étaient achevées. Ceux qui le voyaient le croyaient certainement fou. Il l’était effectivement pour le monde sage, lui qui avait été apprécié grandement par le Patriarche de Constantinople, mais il ne voulait pas de l’admiration des hommes, il ne recherchait que l’approbation de Dieu et Son amour inextinguible. Il commença donc son ascèse de folie pour le Christ, moqué de tous le jour, près de la Mère de Dieu dans l’église de Blachernes la nuit.

Il se réfugia à l’Athos, la Mère de Dieu lui apparut au sommet de la Sainte Montagne où Elle l’avait convié. Comme Moïse fut sommé de gravir le Sinaï par Dieu, Elle lui enjoignit de vivre en solitaire désormais. Saint Grégoire de Sinaïte, qui avait entendu parler de lui, voulut le voir et rencontra un ange dans la chair. Le bienheureux lui expliqua sa manière de vivre, sa folie pour le Christ. Ne brûlait-il pas ses cabanes parce que la vraie demeure de l’homme sur terre est dans le sein de Dieu ? Quelqu'un qui aime le Christ peut-il vivre ailleurs ? Le Maître avait-il seulement un lieu où reposer sa tête ? Il y eut le Golgotha et l’homme fut sauvé. L’amour incommensurable est la seule demeure de l’homme qui aime Dieu en vérité.

Saint Grégoire parvint à le convaincre de cesser son ascèse de folie. Il s’installa alors dans une cabane qu’il ne brûla plus. Il mangeait du pain et buvait de l’eau de mer. Il fut aperçu, suspendu dans les airs pendant sa prière, ou bien dans la Lumière Incréée.

Il prophétisait, guérissait et connut la date de sa mort (13 janvier 1365). Il fut tout de suite vénéré comme un saint.

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Le fol-en-Christ Photius avait un seul et unique vêtement, il ne possédait aucun logis et il contrefaisait la folie. Il affectait d’habiter dans un tronc de platane creux. Il entrait parfois et soudainement en une colère feinte. Il se coupait alors cheveux et barbe. Il était armé d’un marteau et d’un sabre de bois qu’il brandissait alors.

Il fabriquait de ses mains des cuillères en bois qu’il vendait à un prix véritablement dérisoire, n’acceptant pas plus d’argent que ce qu’il avait décidé de prendre, ce qui le faisait dépendre pour sa subsistance de la charité des autres. Il avait plusieurs fois vu la Portaïtissa et c’est peut-être la raison pour laquelle il chantait sans discontinuer la prière «Theotoke Parthene»[Vierge Marie, Mère de Dieu, réjouis-Toi pleine de Grâce, le Seigneur est avec Toi...]. Il mourut en 1768.

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Combien d’athlètes du Christ restent invisibles à nos yeux et absents de nos synaxaires ? Le fol-en-Christ Denys vécut au skite de Capsocalyvie de 1814 à 1880. Il avait coutume de prier seul et dans le secret, au fond de l’église. Se croyant vu seulement du Père, il s’engloutissait dans la prière noétique et là, les pères athonites du monastère qui l’avaient jusques alors considéré comme un simple d’esprit ou un fou, le virent soudain transfiguré par la prière, immatériel. S’apercevant qu’il était observé, il revint à lui et reprit sa folie.

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Que savons-nous du fol-en-Christ Sabbas que l’on croit être en fait Eudocime de Vatopaidi, de Syméon autrefois compagnon du saint Père Hadjigeorgis, d’Hilaire de Sainte Anne, de Théophylacte de Capsocalyvie et de tous les autres théognostes aghiorites ?

La voie qu’ils choisirent fut rude, crucifiante, mais ne voulaient-ils pas imiter le Maître ? Leur enseignement est simple et clair comme de l’eau de source : il faut vivre sa vie en Christ sans se soucier des conventions, de tout ce qui n’est pas dirigé par cet Amour, il faut le faire d’une manière humble et le cacher aux hommes, car la gloire humaine est puanteur et pourriture. Celui qui a la gloire des hommes a sa récompense déjà. Celui qui œuvre dans le secret aura la Gloire impérissable du Royaume. «Et ton Père qui te voit dans le secret, te récompensera».

Au détour d’un sentier athonite, on rencontre quelquefois un être fruste, hirsute. Caché du monde et loin de la gloire des hommes, quelquefois même de ses frères moines, peut-être est-il un de ces anges que l’on appelle fols-en-Christ.

A Karyès, à Karoulia ou au sommet de l’Athos, que Dieu nous ménage de telles rencontres et qu’il nous rende dignes de les voir avec des yeux neufs et un cœur pur.

Claude Lopez-Ginisty

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