vendredi 25 septembre 2009

Père Vasile Catalin Tudora: "Les amants du corps"


À l'aube du christianisme, quand les religions païennes dominaient encore le monde, les quelques chrétiens qui vivaient dans l'Empire romain étaient appelés parfois avec le terme péjoratif "d'amants du corps". La raison n'était pas une prédisposition à se livrer au péché, dont ils étaient éloignés, mais le simple fait de prendre bien soin du corps des êtres chers qui avaient disparu. Le culte des personnes décédées était bien développé, même dès les premiers siècles et les cimetières avaient une grande importance, pensons aux catacombes! Le souci des défunts, ne s'exprimait pas cependant seulement dans les rites funéraires, mais quelque chose d'encore plus profond apparaissait. Pour le monde païen, qui considérait déjà avec méfiance et faussement cette petite "secte juive", le plus scandaleux était que les corps des chrétiens étaient confiés à la terre, au lieu d'utiliser les moyens les plus communs d'élimination des corps de l'époque: la crémation , la combustion des corps.

On peut se demander pourquoi je "déterre" cette vieille histoire, après 2000 ans? Ce thème est de la plus grande importance aujourd'hui, parce que la crémation est de plus en plus acceptée même dans les confessions chrétiennes. Par souci d'un profit rapide, les sociétés funéraires décrivent ouvertement dans leur publicité l'incinération comme un procédé rapide et abordable. Les panneaux publicitaires d'autoroute qui parlent d'une "crémation totale pour 995 dollars!" font partie de ce que l'on voit lors des déplacements quotidiens. On ne peut que se demander ce que serait une crémation partielle !

Si je dois être d'accord avec une chose que les gens disent, c'est que les funérailles aujourd'hui ne sont pas à bas prix, mais l'argent ne devrait pas être la raison pour laquelle les gens devraient choisir la crémation au lieu des enterrements traditionnels. D'autant plus que l'Église ne recommande que des soins appropriés et des funérailles modestes, rien d'extravagant ou qui sorte de l'ordinaire. Gardant la voie médiane, comme toujours, l'Église orthodoxe recommande l'enterrement non pas seulement comme un caprice, mais comme une véritable expression de notre foi dans le Christ et de Sa résurrection, avec de profondes racines théologiques.



Pour en revenir au début, nous nous rappelons que l'Homme a été façonné à l'image de Dieu par un acte spécial de création. "Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint une âme vivante." (Genèse, 2:7). Toutes les autres créatures ont été amenées à l'existence d'un simple "Qu'il en soit ainsi!", mais Dieu a pris le temps de façonner l'homme de Ses propres mains dans ce que le saint apôtre Paul appelle "le temple de l'Esprit Saint" (1Corinthiens, 6:19). L'homme fut créé à la fois comme un être unique, corps et âme, une unité duelle: matérielle et spirituelle. saint Grégoire de Nazianze commente ceci en disant : "Dieu a mélangé de la terre à de l'esprit et a créé un être qui est visible et invisible, éphémère et éternel, terrestre et céleste en même temps ".

Pour mieux souligner l'importance du corps du Christ Lui-même, le Fils de Dieu, a choisi de se montrer à nous comme un homme, non comme un esprit, être né dans le monde, d'une femme, comme chacun de nous. Le Christ est aussi ressuscité des morts non pas comme un esprit, mais encore une fois avec le même corps qui a été crucifié et mis dans un tombeau. Son corps ressuscité était réel, même "spiritualisé", affichant toutes les marques des plaies pour saint Thomas et les apôtres afin d'annihiler tout doute possible.

De l'exemple du Christ, il nous faut réaliser que nos corps sont importants, même après que nos âmes les aient quittés. Remettre les corps à la terre, c'est laisser Dieu décider ce qui va leur arriver. Certains seront corrompus et se décomposeront en retournant à la terre d'où ils viennent, d'autres, choisis par Dieu, les saints, iront dans l'incorruptibilité. Les reliques miraculeuses des saints sont la preuve du lien entre nos corps et nos âmes. Dans la grâce de Dieu, les corps des saints demeurent dans un lien mystique avec leurs âmes et sont en mesure de continuer à faire des miracles, même après qu'ils aient quitté cette vie.

Si nous croyons en la seconde venue du Christ, les corps sont d'une grande importance. Les corps déposés en terre, font face à l'Est en attendant de répondre promptement à l'appel du Christ, Soleil de justice, à Sa seconde venue en gloire. Ils attendent d'être réunis avec leurs âmes afin, hommes à nouveau complets, corps et âme, d'entrer dans le Royaume des cieux.

La société d'aujourd'hui cependant, a un point de vue différent. Corrompue par l'athéisme et les croyances païennes, une partie importante de la population a cessé de croire en un Dieu personnel. Un récent sondage national publié au Dallas Morning News (le 24 Juin 2008) révèle que 30 pour cent de la population interrogée, y compris de nombreux chrétiens, croient en un Dieu impersonnel, une énergie, une force, en tout sauf en une personne. Beaucoup de gens aujourd'hui ne croient pas en l'au-delà, donc pour eux la mort est la fin de tout, un point de non retour. Les corps ne sont donc qu'une réminiscence inutile de ce qui jadis fut l'homme, rien de plus. La crémation est donc aussi un moyen pratique de disposer de la matière organique morte et inutile.

Pour nous, chrétiens orthodoxes, cependant, la mort n'est pas la fin mais un nouveau commencement. Dans tous les offices de funérailles orthodoxes, nous n'utilisons jamais le terme de "mort", mais nous disons plutôt "qui est allé vers le Seigneur". Les saints sont commémorés non à la date de leur naissance, mais à la date de leur mort, le moment où leurs efforts terrestres ont été acceptés dans le Royaume des cieux. Si nous mourons avec le Christ, nous croyons que nous serons ressuscités avec Lui, alors la mort ne nous effraie pas.

Nos corps se décomposent par le processus naturel de décomposition, mais c'est seulement pour détruire la nature corrompue de notre corps, donc ils peuvent encore s'élever dans l'incorruptibilité. "Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Le corps est semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible; il est semé méprisable, il ressuscite dans la gloire, il est semé infirme, il ressuscite plein de force, il est semé corps naturel, il ressuscite corps spirituel. " (1Co 15:42-44).

La crémation n'est rien d'autre qu'une profanation délibérée de la création de Dieu, une chute de la grâce, un rejet du Dieu personnel qui Lui-même a revêtu le même corps humain que nous sommes si prompts à détruire. C'est pourquoi l'Église refuse un enterrement correct et des offices commémoratifs pour les gens qui ont choisi d'être incinérés. Ce n'est pas une punition, mais la reconnaissance attristée qu'une personne a coupé ses liens avec le Corps du Christ.

Remettre les corps à la terre en fonction de notre tradition, c'est en soi une déclaration de foi. C'est une croyance en un Dieu incarné, c'est une croyance en la Résurrection et dans le Royaume à venir. Amen!

(Père Vasile Catalin Tudora est prêtre de l'Eglise Grecque Orthodoxe d'Euless au Texas)

Version française Claude Lopez-Ginisty
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