mercredi 23 septembre 2009

L'histoire de Père Georges



J'étais à l'époque l'higoumène du monastère de Mtsensk. Je devais souvent aller à Kalouga pour affaires. Lors d'une telle visite, je me promenais dans la rue et j'ai vu une femme qui portait un foulard épais qu'elle avait revêtu sans recherche, près d'une belle grande maison. Son visage pâle était si triste que je l'ai tout de suite regardé attentivement, et elle m'a dit:

- Mon père, mon mari se meurt, je ne peux pas le laisser trop longtemps, mais il a besoin d'être confessé. Ne refusez pas, je vous en prie, venez à l'intérieur.

Heureusement, j'avais les Saints Dons avec moi. Elle me conduisit à l'intérieur, je regardai son mari: il était très malade, il n'allait pas vivre longtemps. Je l'ai confessé et lui a donné la Communion. Son esprit était tout à fait clair, il m'a remercié avec des larmes, et puis il a dit:

- Je suis dans le pétrin. Je suis commerçant, mais quelque chose est arrivé qui a fait que j'ai dû emprunter sur ma maison, mais je n'ai pas d'argent pour rembourser le prêt, et dans deux jours, elle sera vendue aux enchères. Maintenant, je vais mourir, et la famille n'aura rien.

J'ai ressenti de la pitié pour lui.

- Ne vous inquiétez pas, lui ai-je dit, peut-être, Dieu accordera que je sois en mesure de vous aider de quelque façon.

Je l'ai quitté rapidement et je me suis rendu au bureau télégraphique: J'ai demandé à un de mes fils spirituels, marchand lui aussi, de venir à mon hôtel.

Le soir, il était déjà dans ma chambre, il comprit la situation, et lorsque la vente aux enchères a eu lieu, il a été en mesure de pousser le prix de la maison jusqu'à 35.000 roubles. La ville a acheté la maison, 7.000 ont servi à payer le prêt, et 18.000 furent mis sur le compte bancaire du marchand mourant.

Je retardai mon départ pour le monastère et, après toutes les procédures financières, je me suis rendu auprès de l'homme malade pour lui parler de son succès. Il était encore en vie ... Il me remercia d'avoir sauvé sa famille de la pauvreté, et il mourut vers le soir... Je ne restai pas pour l'enterrer, mais je me précipitai au monastère et je l'oubliai, m'affairant à d'autres occupations.

Plusieurs années passèrent. La révolution gronda. Le pouvoir soviétique élimina beaucoup de gens à cause de leur foi. Ils m'ont pris, aussi.

Une nuit, le gardien de prison vint vers moi et chuchota:

- Prépare-toi, Père, j'ai reçu une liste pour vous tous aujourd'hui, cette nuit, ils vous amèneront loin.

J'ai communiqué les paroles du gardien à mes codétenus. Est-il nécessaire de dire ce qui se passait dans chacune de nos âmes? Bien que nous ayons su que nous étions condamnés à mort, jusque-là, nous attendions sur le pas de porte; maintenant nous étions sur le point de la franchir [pour aller à la mort].

N'étant pas en mesure de supporter de rester dans la cellule, j'ai mis mon épitrakhélion et je suis sorti pour aller prier dans le couloir sans fenêtre. J'ai prié et pleuré comme jamais auparavant dans ma vie, j'ai tellement pleuré, que mes larmes ont trempé la broderie de soie sur l'épitrakhélion.

Tout à coup, j'ai vu un homme inconnu près de moi, il m'a regardé avec sympathie, et il a dit:

- Ne pleure pas, Père, ils ne vont pas vous fusiller.

- Et qui êtes-vous? J'étais surpris.

Toi, Père, tu m'as oublié, mais les bonnes actions ne sont pas oubliés ici, dit l'homme. Je suis ce marchand, que tu as préparé à la mort à Kalouga.

Et au même moment où ce commerçant a disparu, j'ai vu qu'un trou apparaissait dans le mur de pierre du couloir, et à travers lui, j'ai vu la lisière de la forêt, et au-dessus, dans l'air, ma défunte mère.

Elle secoua la tête et dit:

- Non, Egorouchka, ils ne vous tireront pas dessus, mais nous nous reverrons dans dix ans.

La vision terminée, encore une fois je me suis trouvé près du mur blanc, mais c'était Pâques dans mon âme. Je me suis précipité dans la cellule et j'ai dit:

- Mes chers enfants, Dieu merci, nous ne serons pas fusillés, faites confiance à la parole d'un prêtre (j'ai compris, que le commerçant et ma mère parlaient de nous tous).

Le chagrin profond dans notre cellule, fut changé en la joie irrépressible. Ils m'ont cru: quelqu'un me baisa les mains, quelqu'un d'autre mes épaules... Nous savions que nous allions vivre.

La nuit se passa, et à l'aube, nous avons été transférés à la prison d'expédition.

De là, j'ai été envoyé à B., et bientôt ils m'ont libéré, grâce à une amnistie, et j'ai vécu dans le monastère Danilov ces dernières années. Six de mes codétenus sont devenus mes enfants spirituels.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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