mardi 19 mai 2009

Le Prêtre et le tchékiste



Revolutionary "Justice"

À ce moment-là, dit Père Théodore, j'errais comme un voleur dans la nuit, ne sachant pas où reposer ma tête. Certes, des gens me cachaient, mais je suis devenu las de vivre de cette façon, et puis j'ai entendu parler de l'ancien monastère orthodoxe russe de Valaam, qui était sur la terre finlandaise, non loin de Saint-Pétersbourg. J'avais un grand désir d'y aller, de m'incliner devant saint Germain et saint Serge et de demander des conseils aux startsy locaux. J'étais à la fois très déprimé et pusillanime. Je savais que ce serait une mort certaine si les autorités me capturaient, en particulier à la frontière: il n'y aurait alors pas de merci. S'ils vous tuaient tout simplement, c'était toujours mieux que d'être tourmenté, torturé, et raillé avant la mort. Néanmoins, j'ai décidé d'y aller. 

J'ai dû traverser un marais, et là, au-delà d'une petite rivière, était la terre étrangère. 

La nuit était sombre, il pleuvait des hallebardes, et je marchais, murmurant des prières, et me rappelant le Père Jean. J'aurais dû atteindre la rivière à ce moment-là, mais il n'y avait aucun signe d'elle. J'étais épuisé et trempé, mais je n'avais aucune idée où aller: j'avais perdu mon sens de l'orientation. Je me blottis sous un sapin et décidai d'attendre jusqu'au matin, et puis, advienne que pourra! J'ai sommeillé un peu, quand soudain j'ai entendu un chien aboyer quelque part. J'ai ouvert les yeux, les aboiements venaient de plus en plus près. Apparemment, le chien avait senti mon odeur, et il tirait sur sa laisse. Je me suis rendu compte que j'étais sur le point de mourir, je suis tombé à genoux, mon cœur s'est douloureusement contracté: j'allais mourir sans confession. Ils m'ont pris et traîné quelque part. Eh bien, ai-je pensé, ce sont les derniers moments de ma vie. J'ai entendu un tchékiste dire à l'autre: 

- Ce doit être cet espion qu'ils attendaient. 

Ils m'ont amené à leur poste, m'ont fouillé et jeté dans une cave vêtu seulement de mes sous-vêtements. Le téléphone a sonné, au-dessus, ils informaient probablement quelqu'un de ma capture. Une voiture avec les autorités est arrivée une heure plus tard. La porte s'ouvrit, et un tchékiste apparut: petit, s'agitant avec rage, avec les yeux d'un animal sauvage. 

- OK, prêtre, ton compte est bon! Confesse-toi, pour quelle tâche essayais-tu de traverser la frontière et qui t'a envoyé? 

Je suis resté silencieux, ils ne croiraient pas de toute façon, croyez-moi, je priais Dieu dans mes pensées, qu'Il m'envoie rapidement la mort. Mon silence mit le tchékiste dans une grande rage, il a saisi son revolver et a crié: 

- Parle, ou je vais te tuer. 

J'étais silencieux. La main avec le revolver s'est rapidement approchée de mon visage, il a appuyé sur la gâchette...le coup n'est pas parti, puis de nouveau, une autre coup qui n'est pas parti... Il m'a frappé en jurant.

Je ne suis revenu à moi que dans la voiture. Comme je l'ai appris ensuite, ils m'emmenaient à la police nationale du siège de Léningrad pour y être condamné: ils pensaient que j'étais un criminel très important. 

Et ainsi, ils m'ont emmené, malade, blessé, et ils m'ont jeté en isolement, et, comme vous pouvez le deviner, c'était la fin, - il n'y avait pas moyen de sortir de là. 

Je priais pour le Seigneur pour qu'il prenne mon âme, sans torture. 

Je me suis endormi, et j'ai vu le Père Jean. Il s'est penché sur moi et m'a dit gentiment: "Tu as voulu souffrir pour le Christ, alors le Seigneur accomplit ton désir." Je me suis réveillé et je me suis senti mieux. Le Seigneur me protégeait, et le Père ne m'abandonnait pas. 

Plusieurs jours sont passés, je ne me souviens pas combien, une seule nuit, ils sont venus pour me chercher et m'ont emmené pour un interrogatoire. Ils me tiraient par les bras: j'étais trop faible à cause de la douleur et de la faim, et j'ai seulement crié en mon cœur: 

- Père Jean, tu ne m'a jamais quitté alors que j'étais en vie, à l'heure de ma mort, prie Dieu, que je ne craigne pas d'accepter Sa juste punition pour mes grands péchés. 

Ils m'ont conduit dans une pièce et m'ont jeté sur un tabouret. La fenêtre avait des barreaux, et il y avait une table dessous, avec un tas de papiers, une lampe allumée avec un abat-jour qui recouvrait presque complètement le visage de l'enquêteur. Tout ce que je pouvais voir, c'est qu'il n'était pas vieux. Il s'est penché sur les documents, les a feuilletés apparemment, il faisait la lecture de mon dossier. 

Nous sommes restés assis comme ça, en silence, puis l'enquêteur, sans me regarder et sans relever la tête, a déclaré: 

- Alors, mon vieux, dis-moi la vérité, ne mens pas, nous allons tout découvrir de toute façon. Quel organisme t'a envoyé?

Je suis resté silencieux. 

- Tu penses que nous ne sommes pas en mesure de te faire parler. Tu ne sais donc pas où tu es? 

Je me suis signé et j'ai dit: 

- Je sais que vous me croyez pas, mais personne ne m'a envoyé, moi j'essayais d'aller à Valaam pour vivre dans le monastère. 

Alors il a levé la tête et m'a regardé fixement. Il me regardait droit dans les yeux, et Je le regardais, je ne pouvais pas me détourner, comme si j'étais ensorcelé. Et il me semblait que le temps s'était arrêté, et tout autour de nous, c'était comme dans un brouillard, et je n'avais aucune pensée, seuls ses yeux me transperçaient... Combien de temps cela a-t-il duré, je ne me souviens pas. C'était peut-être une minute, peut-être une heure... J'ai rassemblé toutes mes forces, et avec beaucoup de difficultés, j'ai commencé à prier Dieu. Soudain, j'ai entendu sa voix de nouveau: 

- Dis-moi, vieil homme, étais-tu au village de la Trinité, l'été de l'année ...? 

Cette question m'a brûlé. Je me dois de mentionner que, à ce moment là, je devais tout le temps me cacher, ma paroisse était depuis longtemps détruite, et j'allais secrètement de village en village, vers des gens pleins de bonté. Je faisais des offices, je consolais notre peuple qui souffre tant, et je pleurais avec eux la perte de notre droiture. Les gens m'aimaient, me cachaient volontiers, et me faisaient passer de l'un à l'autre, et le Seigneur me protégeait. 

De cette façon, je me suis retrouvé dans le village de la Trinité, et j'y ai vécu environ deux semaines avec de bonnes personnes, et j'étais sur le point de partir pour un autre lieu, quand une fois, tard dans la nuit, quelqu'un frappa à la maison de mon hôte, puis l'hôte vint au grenier où je passais mes nuits, et me dit timidement: 

- Père, je ne sais pas, vraiment, comment te dire cela. La question est un peu inhabituelle. Le directeur de notre école est athée, il ne croit pas en Dieu, et c'est un communiste invétéré. Son fils unique est constamment malade, sa jambe ne le porte pas, et elle a été suppurante depuis plus d'un an. Il a été conduit à des médecins, a été gardé dans un hôpital, et rien n'a aidé. Mais il a une grand-mère, qui est la mère de la défunte épouse du directeur, une personne pieuse, calme, qui ne se plaint pas, qui pleure tout le temps en disant que le Seigneur punit les enfants pour les péchés du père. Et elle a décidé, alors que son père est absent, de te demander, Père, de venir prier pour le fils. Je ne sais pas quoi faire. L'école est au centre, la milice du village, et le soviet du village sont juste à côté. Nous ne voulons pas que quoi que ce soit de mal se produise. 

Je ne voulais pas y aller, mais je me suis rappelé que j'étais prêtre, et qu'il était de mon devoir d'aller à toute personne dans le besoin qui ferait appel à moi. 

La grand-mère et moi sommes partis, et elle a pleuré tout le long du chemin, en demandant si je n'étais pas en colère contre elle. Elle disait que ce petit-fils était tout ce qu'elle avait, elle avait enterré sa fille récemment, et maintenant il avait la tuberculose de la jambe et les médecins menaçaient de l'amputer. Quel malheur! 

Nous sommes finalement arrivés à l'école. J'ai vu un garçon de 15 ans, son visage était très mince, ses yeux brillaient fébrilement. La jambe était bandée et dégageait une mauvaise odeur. Des larmes de pitié sont venues à mes yeux . 

J'ai sorti mon épitrakhélion, la Croix, et un petit Évangile, tandis que la grand-mère sortit d'une commode des icônes de la Reine Céleste et de saint Pantéléimon le thaumaturge, et j'ai commencé le molieben, demandant à Dieu avec des larmes la guérison du garçon qui souffrait grandement: l'enfant lui-même gardait le silence, poussant seulement parfois des gémissements si pitoyables, qu'ils nous déchiraient le cœur. Nous avons prié, je lui ai donné la Croix à embrasser, il la baisa. J'ai oint son front avec de l'huile, je l'ai béni, et nous sommes retournés à la maison. 

Tôt le matin, il y eut une alerte. Les gens accoururent pour nous dire, que la milice était à ma recherche. Quelqu'un l'avait informée sur moi. Heureusement, la cabane de mon hôte était à l'orée du village. Plus tard, les gens m'ont dit que mes hôtes avaient été arrêtés, et j'ai été si triste car, à cause de moi pécheur, des personnes innocentes ont souffert. À ce jour, je ne peux pas les oublier et je prie pour elles. 

Je me suis souvenu de tout cela, lorsque l'enquêteur m'a demandé si j'étais allé au village de la Trinité. Seigneur, vais-je abandonner à nouveau des personnes innocentes? Ne permet pas cette terrible douleur! 

- J'y suis allé, ai-je dit. 

- Et es-tu allé à l'école? m'a demandé à nouveau l'enquêteur, comme s'il me coupait avec un couteau. Je voyais qu'il savait tout, il n'y avait aucune raison de cacher quoi que ce soit. 

- Oui, j'étais à l'école, répondis-je. 

- Et as-tu prié? 

- Oui, je l'ai fait. 

- Y es-tu allé de toi-même, ou quelqu'un t'a-t-il appelé? 

- Une grande peine et la souffrance humaine m'ont appelé. 

Je frémissais, quand il s'est levé et a commencé à marcher à travers la pièce, comme une bête, seule la lumière de sa cigarette et se déplaçait de haut en bas entre ses dents. 

J'ai vu que la colère commençait à bouillir en lui et qu'elle était bientôt prête à exploser, alors que moi-même je me ressentais aucune crainte à cause de la douleur et de la faiblesse. Je savais que j'étais à la fin de ma vie. Il marcha pendant un moment, puis il s'assit à la table. 

- Te souviens-tu que tu as fait l'onction pour un garçon malade? C'était moi!

J'étais complètement abasourdi quand j'ai entendu ces mots, et j'ai seulement prié en moi-même. 

- Maintenant, tu vois mon vieux, où nous nous sommes rencontrés. Tu as de la chance, ils t'ont envoyé à moi et j'ai reconnu ta voix. Tu obtiendras un permis pour quitter la ville. Ensuite, sauve-toi aussi loin que tu le peux. Rappelle-toi, je ne pourrai pas te sauver deux fois.

Ce sont les voies inconnues du Dieu tout-puissant, qui conduit les hommes au bien, si seulement ils ne perdent pas la foi en Lui, dit Père Théodore pour conclure son histoire.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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