lundi 2 février 2009

Saint Séraphim: Le chemin de la Foi (2)




Nous avons ensuite découvert promptement que le fondement même de toutes les grâces dont il était l’intermédiaire, que la base de sa spiritualité tout entière était dans ses podvigs, c’est-à-dire dans ses exploits spirituels, dans son ascèse. Elle était immense et déroutante pour des esprits faibles habitués à la paresseuse facilité du siècle. Nous pouvions alors nous détourner de la voie qu’il nous montrait pour retourner comme le chien dont parle l’Evangile à nos vomissures, mais malgré la perversité de notre nature que la grâce n’avait pas encore ouvert à tous ses mystères et nonobstant la pression du monde qui nous poussait à rester dans le doux confort du troupeau, nous avons cheminé dans la foi avec bonheur quelquefois, avec douleur plus souvent, mais toujours avec certitude. Nous avons constaté notre faiblesse incommensurable et vinrent des temps où nous étions proches du découragement… L’ermite saint revint alors dans notre prière pour la guider et il versa doucement sur les plaies de notre vie spirituelle le vin et l’huile du Bon Samaritain. 

Nous avons relu la vie et admiré à nouveau les podvigs de Saint Séraphim, nous avons récité en claudiquant ses prières (Les brigands du Malin nous avaient laissés pour morts sur le chemin de la foi après avoir voulu nous priver de cette pauvre prière qui était notre seul bien céleste).

Nous avons su que seuls les démons ne se relevaient pas et que nous chuterions encore et encore. Mais nous nous relèverions malgré tout et nous serions pardonnés jusques à septante fois sept fois, parce que nous serions remis sur la voie au détour de notre errance, encouragés par le beau vieillard avec sa silhouette courbée et ses yeux de ciel. Il serait toujours là pour nous réintégrer en mémoire de Dieu. Nous étions alors Nicolas Alexandrovitch Motovilov, physiquement et spirituellement fourbus, et nous sentions sur nos épaules lasses les mains de Saint Séraphim, nous voyions son visage lumineux et il nous parlait de l’acquisition du Saint Esprit !

Notre nature rétive résistait encore. Nous aurions aimé nous contenter des offices, des prières et oublier l’ascèse. L’imitation aurait été plus facile. L’ignorance et sa compagne perverse l’imagination nous dépeignaient l’ascèse comme une sorte de torture physique et psychique, mais elle est autre chose, nous le savons à présent. Rapportée à son but, elle est la clé subtile qui ouvre la porte du Royaume, la violence faite à notre nature trop humaine pour accéder à l’intelligence de la Vérité, cette contrainte librement et joyeusement acceptée pour quitter les oripeaux du passé et nous engager dans l’éternité. 

Est-ce à dire que c’est par notre seul effort et notre volonté propre que nous pouvons accéder à l’Ineffable ? Certes non ! Mais nous ne pouvons cheminer vers le Ciel en regardant sans cesse la terre. Nous ne saurions nous attacher de toutes nos forces, nos passions, nos limitations à la glèbe avec ce corps mortel, en ayant la prétention abusive de nous élever en notre âme vers les Cieux. 

Comment pourrions-nous acquérir la perle de grand prix sans vendre ce que nous avons de plus précieux, sans effort personnel ? Comme il serait agréable de penser que notre salut pourrait être garanti automatiquement et en être assuré simplement, sans surprise, en échange de quelques menues actions sans envergure aucune ! Comme il serait absurde de croire que notre perdition pourrait venir de nos seuls manquements à une règle que nous nous serions imposée dans une sorte de marchandage subtil sous forme de contrat avec un Dieu de notre invention, à la mesure de notre laxisme et de notre pusillanimité. 

Il y aurait grand danger à penser que tout dépend de nous ou bien au contraire que notre participation à l’œuvre de salut soit sans importance réelle. L’élément essentiel de tout effort spirituel est mis en exergue par tous les pères et par saint Séraphim aussi : sans l’Amour, toute ascèse se révèle perversion et n’est plus reliée qu’à elle-même. 

Si nous voulons nous rapprocher de Dieu, c’est en nous dépouillant de ce qui nous rend trop humain et en augmentant en nous la ressemblance avec Celui qui nous a fait à Son Image que nous y parviendrons. Comment le ferions-nous sans nous débarrasser du vieil homme ? Comment supporterions-nous ce podvig, cette lutte spirituelle et ascétique terrible si nous n’étions conscients pleinement que la mesure d’amour limitée dans cet élan qui nous pousse vers le Créateur va nous faire rencontrer l’Amour Ineffable dans Son immensité et nous incorporer à Lui ? 

Lorsque nous aurons quitté la philautie (amour de soi) comme un maquillage superflu de notre âme, ayant abandonné notre petit moi, notre amour pour les autres (garant de la véracité de notre amour pour Dieu, selon Saint Jean le Théologien) sera enchâssé dans celui que Dieu a pour eux et pour nous et nous vivrons alors en parfaite communion. Nous serons une étincelle du grand Feu jeté sur la Terre des Vivants pour embraser le monde dans l’Amour de Dieu. Nous dépouiller pour accéder à cela, ce n’est pas mourir, mais devenir plus vivants de la Vie même en Christ. Et nous ne devons pas en tant que chrétiens rechercher d’autre but que celui de véritablement vivre en Christ. Si Dieu a donné Son Fils unique pour nous sauver, si Christ nous a demandé de jeûner, de prier, de veiller, s’Il a accepté par Amour pour nous de souffrir l’ascèse ultime de la Croix pour rétablir notre image et notre ressemblance, alors nous nous devons, comme Il nous L’a demandé de prendre notre croix et de Le suivre, c’est-à-dire de L’imiter dans Son amour suprême qui a tout donné pour le monde. (à suivre)


Claude Lopez-Ginisty

Une première version de ce texte a été publiée 
dans La Chronique de Saint Séraphim de Sarov
dans la revue Diakonia
Fraternité Orthodoxe-Tous les Saints de Belgique
Orthodoxe Broederschap van Alle Heiligen van Belgïe

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