lundi 26 janvier 2009

Saint Séraphim de Sarov: La nuit soviétique (1)


CHRONIQUE DE SAINT SERAPHIM

Lors de la glorification de saint Séraphim en 1903, dans cette extraordinaire liesse populaire, qui aurait pu imaginer que la Sainte Russie qui était visible et tangible dans cette reconnaissance du saint moine de Sarov allait disparaître dans la tourmente révolutionnaire ? Qui pouvait penser un seul instant que moins de quinze ans plus tard, la nuit bolchévique, éclairée tragiquement par la seule étoile sanglante des sans Dieu, allait tomber sur la terre des vivants? 

Le fossé de la Mère de Dieu, la source miraculeuse, la pierre de l’oraison des mille jours et mille nuits du désert de Sarov, les reliques sacrées de l’ermite que l’on célébrait et vénérait en ces jours, tout allait disparaître. Le monastère fut fermé, les moines chassés et les reliques emportées. Quelle foi extraordinaire devait être celle des chrétiens du lieu qui gardèrent le fil de la prière dans l’enfer déchaîné qui répandit partout sa terreur.

Saint Séraphim l’avait dit à ses moniales : lorsqu’il serait né au ciel, elles pourraient continuer à venir lui parler et lui confier leurs peines et leurs tourments : il les écouterait et intercèderait pour elles comme il le faisait de son vivant. 

Il resta près du peuple russe souffrant par-delà le tombeau, comme il était présent pendant sa vie d’exploits ascétiques et ses rencontres célestes. Car saint Séraphim vivait déjà dans le Royaume de Dieu dès ici-bas. Il illustra à de nombreuses reprises la phrase du Christ : « Le Royaume est au-dedans de vous »(Luc: XIV, 21). Certes, pour lui, immergé dans la grâce sanctifiante de Dieu, la frontière entre la terre des vivants et le paradis n’était qu’une porte frêle que sa prière ardente franchissait naturellement. Il vivait pleinement de cette grâce. C’est pourquoi la Mère de Dieu très pure et les hôtes célestes le visitaient et conversaient avec lui car « il était de [leur] race ». Le temps n’existait pas pour lui, il vivait déjà dans l’éternité et dans cette communion avec Dieu et le monde d’en Haut qui ne connaît ni frontières, ni bornes du temps comme notre monde terrestre limité. 

Une tradition rapporte que venu à Sarov (peut-être pour la glorification du saint), le Tzar martyr Nicolas II se vit remettre une enveloppe de la part du saint thaumaturge. Il l’ouvrit, lut le manuscrit qu’elle contenait et pleura « amèrement ». Il emporta avec lui ce manuscrit qui annonçait les épreuves qui attendaient la Russie. 

Dans l’abomination de la désolation née de la révolution d’octobre, ce fut toute la société qui fut abattue. Il ne resta pas pierre sur pierre. On voulut forcer le peuple de Dieu à garder les yeux fixés sur la terre puisque le ciel était déclaré vide par les « athéologiens » matérialistes. On débarrassa les hommes de leur opium et l’on ferma les portes du ciel. On fit radicalement du passé table rase, pensant que, sans racines les êtres pouvaient croître, prospérer et construire un avenir limité aux seules satisfactions matérielles. 

En 1978, un académicien russe avouait à un visiteur anglais Sir John Lawrence : « Aucun d’entre nous ne sait qui était son grand-père ! » (Sir John Lawrence, Introduction à Julia de Beausobre, Flame in the Snow, Collins 1978, p.8) Mais l’Esprit ne fait pas acception de limitations humaines ou de circonstances extrêmes, et ce même visiteur remarquait à la même époque avec justesse : « […] je suis continuellement étonné de découvrir combien les anciens schémas de pensées et de sentiments trouvent de nouvelles manières de s’exprimer quand changent les circonstances. Ceci n’est pas valable seulement pour la religion, mais cela se vérifie peut-être plus dans la religion que dans tout autre domaine. Du moins il y a des endroits dans la campagne russe où la foi chrétienne traditionnelle brille encore avec force, avec peut-être plus de force qu’il y a soixante ans, car la présente génération de croyants a dû payer chèrement pour sa foi. » ( idem)

Cette foi était la perle de grand prix dont parle l’Ecriture et le prix à payer consistait quelquefois à donner sa vie pour elle. Les églises étaient vides et souvent détruites dans les campagnes. Mais les contempteurs de la vie spirituelle, engoncés dans leur superbe certitude d’avoir raison, ne purent jamais empêcher que « dans le secret » (Matth. VI:6) on puisse adorer le Père. Les reliques du saint disparues, son souvenir et son intercession perdurèrent dans le cœur des fidèles. Il y eut un témoin pour le dire au monde. Ce fut une femme… ( à suivre)

Claude Lopez-Ginisty

Une première version de ce texte a été publiée 
dans La Chronique de Saint Séraphim de Sarov
dans la revue Diakonia
Fraternité Orthodoxe-Tous les Saints de Belgique
Orthodoxe Broederschap van Alle Heiligen van Belgïe

Photo: Reliquaire de Saint Séraphim de Sarov, Chapelle du Pokrov

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