Saint Alexandre (Jacobson)
Nouveau Confesseur de la Maison d'Israël
† 1930
Fête le 8/21 Septembre
Au terrible camp de concentration de Solovki, en 1929, avec la fin de l'hiver, le scorbut se répandit et vers le printemps, le nombre des prisonniers atteints dans la quatrième division du camp était de 5000 -sur 18000-. En tant que médecin emprisonné, en plus de mon travail habituel, je devais m'occuper de superviser l'un des nouveaux baraquements où logeaient 300 prisonniers atteints de scorbut.
Quand j'arrivai à ces baraquements, je fus accueilli par un jeune infirmier Juif au visage très beau et très vivant. C'était un étudiant en médecine de 4ème année. Avoir un aide aussi qualifié était très rare et se révéla être d'un grand secours. Alexandre Yacovlevitch Jacobson, c'était son nom, fit la tournée de tous les baraquements avec moi et me montra tous les malades. Il me donna pour chaque patient, son diagnostic et les traits caractéristiques de la maladie. Les malades étaient tous dans un état grave. Ils avaient des gencives gâtées et pleines de pus à cause de la gangrène scorbutique, leurs articulations étaient enflées, leurs extrémités saignaient, tout cela se voyait après un examen sommaire. Après un examen plus approfondi, plusieurs d'entre eux révélaient de sérieuses complications internes: néphrite hémorragique, pleurésie et péricardite, sérieuse affection des yeux etc... Par les explications données par l'infirmier, je compris qu'il connaissait précisément les symptômes des affections et qu'il faisait un diagnostic correct.
Découvrant qu'Alexandre travaillait quelquefois 24 heures sans pause, je l'envoyai se reposer et j'allai visiter et examiner les malades tout seul. Sur leurs fiches étaient inscrits tous les faits les concernant, c'est-à-dire leur prénom, leur nom de famille, date et lieu de naissance etc; le diagnostic aussi était indiqué ainsi que leurs plaintes subjectives. A cause du grand nombre de malades, j'étais forcé de les examiner très rapidement et de laisser des notes très succintes sur leurs fiches, cependant ma tournée qui commença à 8 heures du matin, ne s'acheva qu'à 3 heures du matin avec deux pauses de trente minutes pour le déjeuner et le souper. Le jour suivant, retournant aux baraquements à 8 heures, j'y trouvai Alexandre qui avait déjà fait la tournée des malades, préparé mes ordonnances et également préparé des informations sur les cas les plus graves. Il avait encore travaillé de midi à huit heures du matin sans interruption aucune. Son visage était enflé et portait des traces très visibles de coups. En réponse à mes questions, il me dit la chose suivante: à 7 heuresdu matin, les baraquements avaient été visités par le chef du Guépéou (i.e. KGB de l'époque) du camp. Ce chef était ivre. Visitant les malades, il leur demanda s'ils étaient satisfaits du médecin et de l'infirmier. Quelques uns des prisonniers malades déclarèrent que le docteur n'était venu que très tard la nuit avait jeté un oeil et avait rapidement regardé quelques malades sans vraiment apporter aucun secours à ceux qui étaient gravement atteints, et que de plus l'infirmier n'était venu travailler qu'à midi.
Sans se demander si les plaintes étaient justifiées ou non, et sans demander d'explications à l'infirmier, le Chef le frappa plusieurs fois au visage et demanda qu'en tant que docteur chargé de cette section, je me présente à lui à midi, pour une "explication"...
Alexandre Yacovlevitch, dis-je à l'infirmier, je dois aller à l'interrogatoire comme vous le savez. Voyez vous-même combien il y a de malades sérieusement atteints. Bien que vous ayez déjà travaillé 24 heures, pourriez-vous travailler encore deux ou trois heures, jusqu'à ce que je revienne - je l'espère du moins - de l'interrogatoire?
Bien sûr ,docteur, me répondit l'infirmier humblement, je resterai m'occuper des cas sérieux.
Faites-le je vous prie, car après tout, vous savez de quoi il retourne même dans les cas les plus complexes et je ne puis que vous remercier chaleureusement pour votre aide. En ce qui me concerne, je vais tâcher d'expliquer au Chef du Guépéou qu'il a été injuste à votre égard.
Oh ne vous faites donc pas de souci pour moi, s'écria d'une manière très vive l'infirmier, et ne me défendez pas. J'ai dû supporter des tourments bien plus difficiles sans être coupable le moins du monde, et je remercie seulement Dieu pour cela. Souvenez-vous de ce que disait Saint Jean Chrysostome: "Gloire à Dieu en toutes choses!"
Etes-vous donc chrétien ? lui demandai-je étonné.
Oui, je suis Juif et Orthodoxe , répondit-il en souriant joyeusement.
Je lui serrai la main en silence, puis je lui dis: eh bien au revoir. Merci. Nous parlerons demain. Priez pour moi.
Soyez calme , me dit l'infirmier d'un ton très assuré,priez constamment votre ange gardien pendant tout le temps de l'interrogatoire. Que Dieu vous garde, docteur!
Je sortis. En chemin, je priai le Seigneur, Sa Très-Pure Mère, Saint Nicolas le Thaumaturge et plus spécialement mon Ange Gardien, suivant en cela le bon conseil d'Alexandre.
Entrant dans le bureau du Chef, j'adressai mentalement et pour la dernière fois une prière à mon Ange Gardien, lui demandant: défends-moi, éclaire-moi!
Le Chef m'accueillit en silence avec un air sévère. D'un doigt il montra une chaise. Je m'assis.
Dis-moi, quand as-tu fait la tournée des malades hier, et pourquoi est-ce que ton aide, l'infirmier Juif n'a commencé à travailler qu'à midi?
Mentalement, sans paroles, je demandai l'aide de mon Ange Gardien. Essayant de rester calme, d'une voix posée et égale, sans hâte, je lui racontai tout en détail. Je lui dis que par ordre du Chef de la Division Sanitaire, je devais venir aux baraquements à 8 heures. Découvrant que l'infirmier, après avoir ouvert une nouvelle section, avoir reçu 300 patients et préparé tout ce dont j'avais besoin, avait travaillé sans interruption toute une journée et toute une nuit, je l'avais envoyé se reposer pendant quelques heures pendant que moi-même, je me chargeai de faire la tournée des patients. Ma tournée dura de 8 heures à 3 heures du matin. Et en fait, le dernier groupe de patients du grenier, je ne pus l'examiner qu'entre 2 et 3heures du matin. L'infirmier après son labeur ininterrompu de 24 heures, et après n'avoir dormi que 3 ou 4 heures, revint travailler à midi et travaillait actuellement depuis 24 heures sans interruption, et ce pour la seconde fois.
Alors de quoi se plaignent ces porcs! dit le Chef en m'interrompant, dîtes à ces propres à rien que je vais les mettre au cachot!
Ce n'est pas de leur faute répondis-je, après tout, ils ne savent rien de nos conditions de travail . Ils vous ont dit la vérité , l'infirmier est venu dans le grenier à midi et le docteur a fait sa tournée à deux heures du matin.
Bien, dit-il, se grattant la tête et en bâillant, bien, pars!
Sortant de l'interrogatoire, j'allai immédiatement vers les baraquements. J'y trouvai le Chef de la Division Sanitaire, un médecin qui après avoir accompli sa peine pour crime (avortement qui causa la mort), resta au camp comme "employé libre"
Le Chef de la Division Sanitaire hurlait après l'infirmier parce que quelque chose n'allait pas.
Quelle honte d'arriver si tard au travail! cria-t-il vers moi cette fois.
Je lui expliquai ce qui s'était passé et il partit.
Pourquoi est-il si en colère après vous? demandai-je à Alexandre.
A cause de l'odeur ici. Je lui ai expliqué que 90% des patients avaient des blessures pleines de pus. Alors il a hurlé: silence! et alors vous êtes entré.
Allez dormir! lui dis-je , et revenez à six heures du soir.
Longtemps, je voulus mieux connaître Alexandre et avoir une conversation à coeur ouvert avec lui, mais comme nous étions très occupés et épuisés, cela ne nous fut pas possible.
Un jour cependant, pour la Fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu, prenant prétexte d'une inspection dans un endroit éloigné, je parvins à m'arranger pour que l'on nous y envoie ensemble.
Tôt le matin, j'allai avec lui du Monastère de Solovki le long de la route de Saint Sabbas, jusqu'à une forêt de pins que nous atteignîmes après avoir fait plusieurs kilomètres et après avoir quitté la route. C'était un jour d'automne merveilleux, clair et chaud, comme il en est peu à Solovki. Dans les rayons de soleil, les bouleaux brillaient en d'immenses taches d'or dans la forêt de pins.
Ce paysage extraordinaire mettait une touche de douce componction à la Fête de la Mère de Dieu. Pénétrant dans l'épaisseur de la forêt, je pus m'asseoir avec Alexandre sur des souches d'arbres et je lui demandai de me parler de lui. Voici ce qu'il me dit...
Il était le fils d'un marchand du marché de Saint Alexandre à St Pétersbourg, il avait perdu très tôt ses parents et avait commencé à vivre seul. Etudiant en seconde année de médecine, il s'était lié d'amitié avec un géologue, Juif et partisan de Tolstoï, qui l'attira avec les fables de Tolstoï et l'enseignement de ses zélotes.
Alexandre fut grandement impressionné, non par les oeuvres théologiques de Tolstoï, mais par ses contes et ses histoires: "Dieu est là ou est l'Amour", "De quoi vivent les hommes", etc... Une année plustard, étant alors étudiant en troisième année, il fit la connaissance d'un vieux médecin qui connaissait Tolstoï personnellement. Ce médecin, chrétien orthodoxe fervent , expliqua à Alexandre l'essence de la secte de Tolstoï et lui révéla "l'immense trésor de l'Église Orthodoxe". Une année plus tard, Alexandre fut baptisé et devint chrétien orthodoxe.
Après mon baptême, raconta Alexandre, je ne pus considérer avec indifférence les Juifs pieux. Par contre les Juifs athées, comme le sont la plupart d'entre eux maintenant, ne n'intéressaient pas beaucoup. Or ces Juifs qui croyaient en Dieu, commencèrent à m'apparaître simplement comme de malheureuses personnes dans l'erreur à qui j'étais moralement obligé d'apporter le Christ. Je leur demandai pourquoi ils n'étaient pas chrétiens. Pourquoi n'aimaient-ils pas le Christ?
Ces disputes et cette mission du" Juif nouvellement converti" furent vite connus et Alexandre fut arrêté.
Dans l'un des camps, continua Alexandre, je travaillai à des tâches particulièrement pénibles comme bûcheron et le Chef était une véritable bête. Le matin et le soir, avant et après le travail, il faisait aligner les prisonniers et leur ordonnait de chanter "les prières du matin et du soir": le matin l'Internationale et le soir une chanson soviétique dans laquelle étaient ces paroles." nous mourrons tous comme un seul homme pour le pouvoir soviétique..." Tout le monde chantait, moi je ne pouvais pas le faire, je demeurais silencieux. Passant dans les rangs, le Chef remarqua que j'étais silencieux et commença à me frapper au visage... Alors je me mis d'une manière inattendue, même pour moi-même, à chanter en regardant les cieux, "Notre Père qui es aux Cieux..."
La bête qu'était le Chef, possédé par la méchanceté, me jeta au sol et me battit à coups de talons, jusqu'à ce que je sois inconscient.
Après ma libération du camp, je fus mis en "exil libre" dans la ville de Vyatka.
Bien, et qu'avez-vous fait à Vyatka?lui demandai-je.
Quand j'arrivai à Vyatka, ville totalement inconnu pour moi, d'abord je demandai où était l'église ( A cette époque toutes les églises n'avaient pas encore été fermées). Quand j'entrai dans l'église, je demandai s'il n'y avait pas là une icône de Saint Tryphon de Vyatka et quand sa fête était célébrée. Ils me montrèrent une icône du Saint et me dirent que sa fête allait être célébrée le lendemain, 8 octobre. Mon coeur bondit d'allégresse en moi de ce que Saint Tryphon m'avait amené dans sa ville pour sa fête. Tombant à genoux devant l'icône du Saint, je lui dis que je n'avais à Vyatka d'autre ami que lui et que je ne pouvais demander d'aide à personne d'autre. Je lui demandai de faire que je puisse organiser ma vie et trouver du travail à Vyatka.
Après la prière, mon coeur était empli de simplicité, d'aise et de joie calme, signe sûr que ma prière avait été entendue. Sortant de l'église après l'agrypnie, je marchai lentement le long de la rue principale tenant sous mon bras mon petit balluchon avec toutes mes affaires.
Eh bien, mon cher, est-ce que tu viens de sortir de l'hôpital? entendis-je soudain : c'était la voix agréable d'une femme qui s'adressait à moi. Devant moi cette dame s'était arrêtée, elle était potelée et portait un foulard blanc propre sur la tête; elle était modestement mais proprement et correctement vêtue et elle me regardait avec des yeux clairs et bienveillants.
Non Matouchka, répondis-je, je ne viens pas de l'hôpital, je viens de prison, j'ai été libéré du camp de concentration et envoyé à Vyatka.
Pour quels crimes as-tu mérité punition, pour vol, brigandage, meurtre? Non, répondis-je, pour le foi en Dieu,et parce que Juif je suis devenu chrétien. Une conversation établit des liens entre nous. Elle m'invita chez elle. Dans sa chambre tout était propre et ordonné et tout le coin au dessus du lit était rempli d'icônes devant lesquelles trois lampes de couleurs différentes brillaient.
Demain nous fêtons la mémoire de Saint Tryphon de Vyatka, défenseur et protecteur de notre ville, fit cette femme, et elle me montra une petite icône du Saint. Je tombai à genoux et memit à pleurer de joie et de gratitude. Et ainsi, je pus vivre chez cette pieuse veuve et deux jours plus tard, je trouvai du travail comme chauffeur de camion. Je vécus ainsi paisiblement, gloire en soit rendue à Dieu, pendant six mois et au printemps, je fus arrêté à nouveau et cette fois condamné à dix ans et je vins sur cette île sainte de Solovki. Maintenant ce sont Saint Zossime et Saint Sabbas qui m'aident de leurs prières.
Silencieusement, je continuai à marcher dans les profondeurs de la forêt avec Alexandre... Et soudain, d'une manière tout à fait inattendue, nous arrivâmes devant une vieille chapelle de pierre à moitié délabrée, dont les portes et les fenêtres étaient fermées par des planches clouées en travers. Les planches étaient vieilles et furent enlevées avec peu d'effort. Nous entrâmes dans la chapelle et nous vîmes sur le mur une grande icône ancienne de la Mère de Dieu de Smolensk. La peinture sur l'icône était écaillée et le seul visage de la Mère de Dieu était encore clairement visible- en fait ses yeux seuls étaient intacts!
Alexandre tomba soudain à genoux devant cette icône , élevant très haut ses deux mains et à voix haute, il se mit à chanter " Il estdigne en Vérité..." Il chanta la prière jusques à la fin. Quelque chose bloquait ma gorge, je ne pouvais pas chanter avec ma voix, mais mon âme toute entière chantait et se réjouissait en regardant ces yeux: les doux yeux de la Mère de Dieu et les yeux pleins de contrition d'Alexandre.
Un mois après cette promenade, Alexandre fut arrêté et envoyé Dieu sait où. L'arrestation d'un prisonnier signifiait généralement qu'il finirait devant le peloton d'exécution. ( En fait, un autre détenu, le Professeur S.V. Grotov qui était à Solovki à ce moment-là, et qui connaissait Alexandre Jacobson comme lui opposant au "Sergianisme", atteste qu'il fut fusillé en 1930.)
Presque quarante ans ont passé depuis lors et devant moi apparaît souvent avec une clarté inoubliable, la merveilleuse vision de ce Confesseur de la foi, Juif et Orthodoxe, devant le regard de la Mère de Dieu.
Et j'entends sa voix joyeuse résonnant avec une foi inébranlable et un désir ardent et profond de glorifier Celle Qui est " Plus Vénérable que les Chérubim..."
Saint Nouveau Martyr du Christ ALEXANDRE, prie pour nous!
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après Yvan M. ANDREYEV,
New Martyrs & Confessors of Russia
traduit en Anglais
par le Hiéromoine de Bienheureuse Mémoire
Seraphim ROSE de la Fraternité de Saint Germain D'Alaska,
à Platina en Californie, USA
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