"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

jeudi 31 janvier 2019

Matfey Shaheen: L'HISTOIRE POLITIQUE SECRÈTE DU PATRIARCAT ŒCUMENIQUE (28 janvier 2019)



Le Président Truman considérait le Patriarcat œcuménique comme "vital pour la politique étrangère américaine".
(Matfey Shaheen)

Il fut un temps où le Patriarcat de Constantinople était dans la fleur de l'âge... sa gloire passée s’est estompée pour n’être qu’un pâle souvenir, et ce crime schismatique dont il s'est fait le champion en Ukraine, est devenu l'un des plus grands problèmes de l'Orthodoxie au XXIe siècle.

Depuis que le Patriarcat œcuménique a envahi le territoire de l'Église orthodoxe ukrainienne, partie autonome et autochtone de l'Église russe, beaucoup se sont interrogés :
Est-ce la montée d'une forme particulière de "papisme oriental", ou le Patriarcat œcuménique n'est-il pas vraiment souverain dans ses actions, mais sous l'influence de puissances politiques étrangères, dont les Etats-Unis ?

Cet article n'est pas écrit pour examiner les questions spirituelles ou canoniques des erreurs de Constantinople, comme cela a déjà été fait par des experts dans le monde orthodoxe.
Cet article a pour but de démontrer la captivité politique du Patriarcat œcuménique aux puissances étrangères à travers l'histoire, en particulier aux Etats-Unis. Nous examinerons comment Constantinople a pu faire l'objet d'un chantage pour que cette crise cache un scandale de détournement de fonds de plusieurs millions de dollars dans leur GOARCH [Greek Orthodox Archidiocese/ Archidiocèse Orthodoxe Grec d’Amérique], leur principale source de financement et leur bouée de sauvetage économique.

Nous examinerons en particulier un article très choquant d'une source patriarcale pro-œcuménique, qui déclare, entre autres choses :

"Le Président Truman a souvent souligné les convictions pro-américaines du Patriarche Athénagoras et l'importance et l'influence du Patriarcat œcuménique, ainsi que de la communauté orthodoxe grecque aux Etats-Unis, comme des éléments essentiels des objectifs de la politique étrangère américaine " [1].

Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pour comprendre les origines de cette crise de l'Église ukrainienne et la tendance libérale et apparemment anti-russe à Constantinople, nous devons regarder l'histoire. Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire de l'Orthodoxie en Ukraine, je recommande vivement cette merveilleuse série [Voir http://orthochristian.com/116251.html.] en langue anglaise.
Pour simplifier, la Rus’ Kievienne était l'ancêtre de la Russie moderne, de l'Ukraine et de la Biélorussie. Elle fut divisée par la conquête mongole et polono-lituanienne en parties orientale (Russie) et occidentale (Ukraine et Biélorussie). En Orient, l'Eglise de la Rus' était plus libre, parce que les Mongols non-chrétiens s'intéressaient moins aux détails complexes de l'Orthodoxie que les Polonais catholiques, les Lituaniens, et plus tard les Autrichiens qui allaient gouverner l'Occident.

Le premier pivot occidental de Constantinople
Au milieu du XVe siècle, deux événements catastrophiques se sont produits pour le Patriarcat de Constantinople, qui parvinrent à détruire son indépendance politique et détruisirent presque son indépendance religieuse.

Le premier fut l'Union de Florence, dans laquelle les hiérarques de Constantinople, espérant sauver la ville de la destruction ottomane, signèrent une union avec l'Eglise catholique romaine, acceptant de reconnaître la primauté du pape.

Ce fut un événement cataclysmique, car ce fut, à bien des égards, le début de l'orientation libérale et politico-occidentale du Patriarcat de Constantinople.
Le choix de Constantinople était à l'opposé de celui du saint russe Alexandre Nevsky, Grand Prince de Vladimir et de Kiev qui, en somme, préférait être un sujet politique pour les Tatars que spirituel pour les Catholiques. Constantinople pensait utiliser la puissance politico-militaire de l'Occident déchu pour se sauver et sauver la vraie foi, mais en faisant cela, il a déjà tout perdu ! Il a oublié la leçon d'Alexandre Nevsky, qui disait : "Dieu ne se trouve pas dans le pouvoir, mais dans la vérité !" Telle a toujours été la position de l'Église russe, comme l'a dit le Patriarche Cyrille de Moscou dans son sermon sur saint Marc d'Éphèse, opposé à l'Union de Florence :

"Il ne peut y avoir d'union sous la menace du schisme !"[2]

C'est ainsi qu'à cette époque, l'Église de Russie orientale de Moscou et le Grand Prince Basile furent horrifiés par l'idée d'union avec la Rome schismatique, et déclarèrent l'autocéphalie de Constantinople. L'Eglise russe s'est élevée à l'autocéphalie pour fuir les erreurs hérétiques et schismatiques de Constantinople !

La chute de Constantinople
Constantinople, évitant de justesse l'union avec Rome (grâce en grande partie à saint Marc d'Ephèse) tomba en 1453. Les jours de Constantinople en tant que ville impériale et Eglise prirent fin, elle était alors désespérée pour survivre, et parfois, prête à se vendre.

La métropole de Kiev
"Les prêtres catholiques traversent l'Ukraine dans des charrettes tirées par de simples chrétiens orthodoxes ! C'est ce qui se passe en Ukraine, pendant que vous êtes assis ici à festoyer, sans avoir ni yeux ni oreilles sur ce qui se passe dans le monde !" ~ Taras Boulba, N.V. Gogol [3].

Les catholiques polono-lituaniens ne permettaient pas à leurs sujets de l'Église de la Rus' occidentale - la métropole de Kiev - de s'unir à l'Église de la Rus' orientale à Moscou, de sorte que Kiev dut se tourner vers Constantinople.

Constantinople appauvri, cependant, était en mode de survie, et plus préoccupée par l'obtien d'un soutien matériel, que par les questions spirituelles complexes de la métropole de Kiev.
Par exemple, peu avant l'Union de Brest, le patriarche Jérémie II de Constantinople visita la Rus' occidentale ; à cette époque, certains clercs qui allaient devenir schismatiques se comportaient comme les seigneurs de guerre violents de Borgia et craignaient d'être destitués quand ils l'entendirent arriver. [4] Mais ces seigneurs de guerre n'avaient rien à craindre, car il s'avère que Jérémie, en route pour Moscou, mendiait notamment, pour obtenir l’aumône de la riche Eglise Russe libre. Quand il retourna à Kiev, il semblait aussi plus préoccupé par la collecte d'argent que par les énormes problèmes auxquels l'Eglise était confrontée.

Pourtant, certaines hiérarques de la rive droite de l'Ukraine furent intégrées dans la noblesse polonaise, et craignant d'être destitués pour leurs divers crimes, ils s’ouvrirent à l'idée de l'Union de Brest avec Rome. Les dirigeants polonais, bien sûr, ont favorisèrent politiquement ceux qui rejoignirent l'Union, car elle divisait les peuples de la Rus, leurs rivaux.

Cet accaparement de terres à des fins politiques semble similaire à ce que Constantinople fait aujourd'hui en Ukraine. Ils [le patriarche et les hiérarques de Constantinople] sont moins préoccupés par la légalisation des schismatiques qui soutiennent l'Union, qui ont des tendances nazies alarmantes, et peut-être plus intéressés par la collecte d'argent auprès de ces 20 métochies que le président ukrainien leur a promis.

C'est pendant la période désastreuse de leur gestion de la métropole de Kiev que l'Union émergea, et par leur gouvernance apathique et anémique, ils ne firent rien pour l'empêcher.
Ironiquement, l'un des plus grands partisans du Mouvement Uniate dans les siècles précédents était Grégoire ("le Bulgare"), qui fut  brièvement installé comme métropolite de Kiev par l'ancien patriarche Grégoire de Constantinople... qui lui-même devint uniate!

Les gens qui seront finalement appelés Ukrainiens se soulevèrent sous les ordres du cosaque Hetman Bogdan Khmelnitsky et  joignirent l'Ukraine avec la Russie en 1654. La métropole de Kiev suivit peu après, quittant Constantinople et rejoignant le Patriarcat de Moscou. Depuis les années 1680 jusqu'à aujourd'hui, Constantinople n'a jamais indiqué une seule fois qu'il sentait que l'Ukraine était son territoire, et même pendant la très petite période [par rapport à toute son histoire] où l'Ukraine était sous Constantinople, le Phanar ne s'intéressait guère à ses affaires spirituelles internes, s'impliquant seulement quand cela lui convenait politiquement ou financièrement.

Les peuples des Rus’, baptisés en 988 comme un seul peuple, furent divisés par les années 1360, et réunis par les années 1680, après être restés ensemble jusqu'en 1991.

   
Une fois unis, presque tous ces troubles fondirent comme la rosée au soleil. L'Académie théologique de Kiev-Moghila, fondée dans la Laure des Grottes de Kiev par le saint hiérarque Pierre Moghila, fut saluée par Pierre le Grand, et devint le prototype de tous les séminaires orthodoxes. Les évêques « petits russes » (c'est-à-dire ukrainiens), favorisés par Pierre le Grand, occupèrent pratiquement le trône primatial de l'Église russe exclusivement entre 1700 et 1757.

D'une manière générale, il n'y eut pas de conflits qui ébranlèrent  l'Église de la Rus' jusqu'au XXe siècle.

Le Mystère du XXe siècle
"Le Mystère du XXe siècle". Artiste : Ilya Glazunov. Glazunov.ru.

Peut-être qu'aucune autre époque de l'histoire de l'humanité n'a jamais autant ruiné et changé le cours de la civilisation que le XXe siècle. C'est aussi à cette époque que le Patriarcat œcuménique a fait son pivot le plus fort en Occident, tant sur le plan théologique, en ce qui concerne l'œcuménisme et la question du calendrier, que sur le plan politique.
La Première Guerre mondiale a balayé l'esprit de la vieille Europe - d'anciens empires fondés sur l'idée de "chrétienté" ou d'une certaine forme de foi - et nous avons assisté en Europe à la montée d'un nationalisme froid et profane.

Ceux qui pensent que le christianisme ou la religion sont la source de la guerre n'ont qu'à se tourner vers le XXe siècle, lorsque les pires atrocités de l'histoire humaine ont été commises par des puissances brutales et sans Dieu.

La pseudo-religion n'a été utilisée que comme un outil pour les objectifs politiques, et comme nous l'avons vu dans l'Ukraine moderne, parmi certains schismatiques, avec leurs peintures murales nazies, parfois leur politique devient leur religion.

Après l'assassinat démoniaque de la sainte famille Romanov, une guerre a été lancée contre le Sainte Rus', et l'Eglise russe a commencé son podvig [exploit ascétique/spirituel]de confession, parmi les plus grands de l'histoire. Le métropolite de Kiev et de Galice fut emmené à l'extérieur de la Laure des Grottes de Kiev et abattu, le patriarche Tikhon de Moscou fut emprisonné, d'innombrables millions de personnes souffrirent durant la guerre civile... et où était Constantinople ?

Constantinople soutenait activement les bolcheviks....

Le Schisme Rénovationniste [i.e. l'église vivante]
Un fait peu connu par beaucoup, c'est que pendant que le saint Patriarche Tikhon de Moscou était en prison, et que l'Eglise en Russie était brutalement persécutée, les bolcheviks créèrent une église schismatique.

Constantinople reconnut en fait ce schisme comme légitime, appelant saint Tikhon à démissionner, le calomniant, tandis que son Église canonique était persécutée, et des croyants furent même exécutés pour avoir refusé de soutenir "l'église rénovationniste ou église vivante]".

Cette situation ressemble fortement à celle des schismatiques ukrainiens modernes, avec le soutien du Phanar.

Aujourd'hui, Saint Tikhon est commémoré universellement comme un saint, très populaire en Amérique aussi, ayant consacré saint Raphaël de Brooklyn - Syrien qui se considérait comme ayant une " âme russe " - comme le premier hiérarque en terre américaine.


Patriarche Tikhon.
Saint Tikhon est un saint... et les rénovationnistes... Où sont-ils ? Ils sont passés comme les schismatiques précédents comme un mauvais souvenir, il n'en reste plus rien.

Donc, cela nous laisse avec une question. Pourquoi Constantinople ferait-il cela et pourquoi soutiendrait-il à nouveau les schismatiques en Ukraine ? La réponse est peut-être plus politique qu'on ne le pense.

Le chaos de l'entre-deux-guerres et l'échange de population
La Première Guerre mondiale a mis fin non seulement aux empires austro-hongrois et russe, mais aussi à l'Empire ottoman. Un grand échange de population eut  lieu entre la république turque laïque nouvellement formée et la Grèce, ce qui fit perdre au Patriarcat œcuménique presque tout son troupeau [5].

La Turquie n'est plus à la tête d'un empire multiethnique, dans lequel le patriarche œcuménique pourrait servir de figure pour unir les sujets chrétiens autour d'elle ; la Turquie ne s'intéresse désormais qu'à la construction de la nation turque.

Cela amène le Patriarcat œcuménique à son état actuel, comme l'a fait remarquer le journaliste Kirill Alexandrov, " le Phanar devait de toute urgence chercher une raison d'être pour sa propre existence... C'est alors qu'apparaissent les premières prétentions à régner sur le monde orthodoxe tout entier... [6]

Profitant de la chute de l'Empire russe et de la persécution de l'Église russe, Constantinople empiéta sur le territoire du Patriarcat de Moscou comme un corbeau noir sur le corps d'un cosaque encore vivant. [7]

Tout commença vers les années 1920, alors que l'Eglise russe était sans défense dans l'arène du martyre, nous avons vu la montée de ce " papisme oriental ". Tout au long du gâchis du XXe siècle, presque toutes les "tendances libérales" de l'Orthodoxie ont été promues par Constantinople, par exemple, le passage scandaleux au nouveau calendrier et l'œcuménisme, surtout avec l'Église catholique.


N'oublions pas que c'est le Patriarche Athénagoras de Constantinople qui a rencontré le Pape pour la première fois et qui "leva" les anathèmes contre Rome. Et c'est ce qui nous amène peut-être à l'aspect le plus important de tout cela, dans cette analyse de la politique du Phanar - ses relations avec le gouvernement américain, en particulier, à commencer par le Patriarche Athénagoras et le Président Truman.

Le Patriarcat œcuménique et le gouvernement américain


Photo : Orthodox History

Le Patriarche Athénagoras et le Président Truman
Il y a un article très intéressant sur un blog du GOARCH [Greek Orthodox Archidiocese/ Archidiocèse Orthodoxe Grec d’Amérique], qui expose essentiellement dans leurs propres mots les relations entre la diaspora grecque, le Patriarcat œcuménique et les plus hauts échelons de la puissance occidentale sous la forme du président et du gouvernement américain.

L'article de M. Alexandros K. Kyrou décrit en détail les relations étroites, et peut-être même la collusion du Patriarcat œcuménique avec le gouvernement américain dans l'arène politique. Regardez les premières phrases :

Il n'y a pas si longtemps, les présidents américains ont compris que le soutien actif et la défense du Patriarcat œcuménique de Constantinople par Washington était non seulement conforme au principe de la liberté religieuse, mais aussi une ressource mondiale importante pour mettre en lumière et communiquer les valeurs américaines dans les deux domaines des relations internationales et de la diplomatie des grandes puissances. L'histoire entourant cette vision officielle du Patriarcat en tant que partenaire unique pour mettre l'accent sur les idées démocratiques à l'étranger et pour promouvoir les objectifs humanitaires dans le monde entier a cependant largement échappé à la conscience publique tout en étant constamment érodée par la mémoire institutionnelle de l'élite de la politique étrangère du pays.

Des documents récemment déclassifiés du département d'État révèlent une histoire fascinante, un récit alternatif, de l'intérêt des Américains pour le Patriarcat œcuménique de Constantinople et de leur engagement avec lui pendant la période peut-être la plus critique de la politique étrangère américaine. [8]

Au premier abord, cela peut sembler anodin, après tout, qui n'est pas d'accord avec la liberté religieuse ou l'humanitarisme ; mais quand on sait que Truman a été la première et la seule personne à utiliser des armes nucléaires sur d'autres êtres humains, et que les grandes puissances se préoccupent rarement  plus de... enfin.... de pouvoir, on commence à voir ces belles paroles comme des euphémismes.

Demandez aux chrétiens du Moyen-Orient, ou d'ailleurs de Serbie, comment la "promotion de la démocratie" occidentale les a aidés, quand elle a pris la forme de "bombardements massifs pour la paix mondiale". Ce ne sont là que des excuses de guerre, des prétextes pour justifier des jeux politiques.

En ce qui concerne le Patriarcat qui "met l'accent sur les idées démocratiques", on peut se demander où en est le christianisme, alors que pendant la plus grande partie de l'histoire, le christianisme est allé de pair avec la monarchie, les monarques étant oints par Dieu et installés pour régner par Lui depuis les temps bibliques.

Dans le texte de l’office du Triomphe de l'Orthodoxie, [9] il y a même un anathème [10] contre "ceux qui ne croient pas que les monarques orthodoxes sont mis sur le trône (oints) par Dieu".

Il ne s'agit pas d'argumenter pour ou contre le monarchisme, mais il suffit de dire, que pour la plus grande partie de l'histoire, l'Église a béni et soutenu la monarchie.

Depuis quand "mettre l'accent sur les idées démocratiques", est-elle une mission d'un Patriarcat orthodoxe ? Pourquoi ne pas plutôt "préserver la plénitude de l'Orthodoxie", ou "chercher d'abord le Royaume des Cieux" ? Soutenir le schisme n'est pas une bonne façon d'y parvenir....

Pourquoi tout cet intérêt pour les idéologies et les objectifs politiques ? Cela semble dangereusement proche de la théologie de la libération adoptée par l'Église catholique dans les années 1960, qui signifiait essentiellement que l'Église se concentrait davantage sur la fixation de la condition humaine sur une terre (déchue) que sur la réalisation du Royaume des Cieux.

L'article explique ensuite comment le président Truman a enrôlé le Patriarcat œcuménique parce qu'il considérait la religion comme un outil puissant pour saper la foi dans le système soviétique et pour provoquer à terme sa chute.

Encore une fois, un mot clé ici est outil ; la religion devait être utilisée comme un outil. Il voyait le Phanar comme un allié utile, un pion, dans sa propre bataille terrestre contre l'Union soviétique - non pas pour le salut des âmes, mais pour la victoire de ses propres objectifs politiques.

Le "collationnement pan-religieux" de Truman, qui inclurait aussi le Vatican, avait un objectif clé : placer un citoyen américain sur le trône de Constantinople - le patriarche Athénagoras (Spyrou) - celui-là même qui "lèverait les anathèmes" contre Rome... Tout cet œcuménisme commence à avoir une origine et un but clairs maintenant. Comme c'était le cas avec l'Union florentine auparavant, c'était une fois de plus que Constantinople pensait pouvoir se sauver en faisant de la politique avec l'Occident.

Le Patriarche Athénagoras était auparavant l'archevêque grec d'Amérique du Nord et du Sud.

Athénagoras s'adapta confortablement à la vie en Amérique et semble même avoir tenté de s'enrôler dans l'armée américaine [11], ce qui est un choix un peu étrange pour un hiérarque orthodoxe.

La "Vache sacrée" de Truman - Truman a-t-il propagé l'idée de la primauté de Constantinople ?
Truman était tellement investi dans la mise sur le trône d'un Américain qu'il a non seulement envoyé Athénagoras à Istanbul avec sa "bénédiction", mais il l'a littéralement envoyé à Istanbul dans son propre avion présidentiel, "La Vache Sacrée " [12“. Le Dr Kyrou affirme qu'il ne s'agissait pas simplement d'un geste de respect, mais de ce qu'il a appelé "une action mesurée" d'un président qui "considérait Athénagoras et le patriarcat comme des partenaires influents et essentiels dans la promotion des intérêts internationaux des Etats-Unis".

L'article du Dr Kyrou affirme même que l'élection d'Athénagoras comme Patriarche œcuménique a non seulement reçu le soutien de Truman, mais aussi, selon de nouvelles preuves, la " participation possible de l'administration Truman " [13]. D'autres articles notent l'influence et l'ingérence des États-Unis dans les affaires du Patriarcat œcuménique, notamment l'élection d’Athénagoras. [14]

L'article de Kyrou admet directement que cela signifiait que Truman considérait le Patriarcat œcuménique comme un atout précieux en conflit direct avec l'Eglise russe pour le bien politique de l'Occident. L'article dit ce qui suit :

"Truman]... a délibérément souligné le statut œcuménique du Patriarcat de Constantinople - en tant que premier Siège patriarcal entre égaux, jouissant d'une égide spirituelle sur toutes les Eglises orthodoxes - comme un moyen de déjouer les efforts politiques de Moscou pour projeter l'Eglise de Russie comme rivale mondiale de Constantinople..."

Les puissances occidentales craignaient apparemment que la Russie n'exerce une influence sur le Moyen-Orient, y compris la Turquie, par l'intermédiaire des populations orthodoxes qui y vivent. Historiquement, l'Occident considérait l'Empire ottoman comme un garde fou contre la Russie.

Prenons la guerre de Crimée au XIXe siècle, lorsque la France et l'Angleterre craignaient que la Russie ne s'empare des Ottomans qui torturaient les chrétiens orthodoxes pendant des siècles, et que le Moyen-Orient ne renaisse sous la protection russe.

Qu'a alors fait l'Occident ? Il a soutenu l'Empire ottoman dans une guerre sur le sol russe, tuant des Russes chrétiens pour soutenir un Empire musulman. Une fois de plus, l'Occident voit l’Istanbul islamique comme un garde fou contre la Russie chrétienne.

Athénagoras rencontra ensuite le pape et leva les anathèmes contre lui, et il semble qu'à partir de ce moment, le patriarcat œcuménique restera fermement lié non seulement à la diaspora et au gouvernement américains, mais à l'œcuménisme pro-Vatican.


Photo : Le Pappas Post.
L'occupation occidentale du Patriarcat œcuménique
Dans le monde d'aujourd'hui, il est indéniable que la majorité du financement et de la population du patriarcat œcuménique provient des holdings nord-américains lucratifs. Pour toutes ces raisons, de nombreux articles affirment que le patriarche œcuménique est essentiellement un pion pour ces puissants intérêts et ces "sponsors". Qui sont donc les parrains du Patriarcat œcuménique ?

L'examen d'un seul d'entre eux permet de se faire une idée très claire de la situation : Michael Huffington, le fondateur du célèbre Huffington Post. En bref, Michael Huffington est un magnat des médias ouvertement bisexuel [15], qui soutient le mariage homosexuel, ainsi que l'œcuménisme et plus particulièrement l'union avec l'Église catholique, via sa fondation dans une université jésuite [16].


Michael Huffington, ouvertement homosexuel (troisième à partir de la gauche) avec les hiérarques grecs Méthode et l’archevêque primat Demetrios, ainsi que le cardinal catholique Sean O'Malley  à l’'anniversaire de l'intronisation de Méthode.
Photo : boston.goarch.org.

Autre figure puissante associée à cela, John Podesta, fidèle serviteur de la famille Clinton, qui peut s'identifier comme catholique [17], mais dont la mère était grecque orthodoxe. [18] En général, la relation du Patriarcat oecuménique avec le gouvernement américain et le mouvement œcuménique a toujours été comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.


Un exemple frappant est celui de Geoffrey Pyatt, ancien ambassadeur des États-Unis en Ukraine, qui s'est tenu aux côtés de Victoria Nuland sur le Maidan, soutenant les ultra-nationalistes ukrainiens violents qui, après un voyage au Mont Athos, a écrit sur Twitter [19] :
"J'ai eu l'honneur de rencontrer le métropolite Hiérothée de Nafpaktos à Vatopaidi. Nous avons eu une importante discussion sur l'Orthodoxie dans le monde et sur le soutien des États-Unis au Patriarcat œcuménique."

N'oublions pas que Pyatt a été ambassadeur des États-Unis pendant le coup d'État de Maidan, qui a été négocié par les Etats-Unis [20].

Victoria Nuland à Maidan. Photo : Sputnik international.

Au cas où quelqu'un aurait besoin d'un rappel, c'est le coup d'état de Maidan qui a transformé Kiev et l'Ukraine d'un endroit européen normal et heureux à... enfin.... ceci....
La Place Maidan (place de l'indépendance) avant 
et après le coup d'Etat soutenu par l'Occident. Photo : Twitter. 
  
Il s'agit essentiellement du microcosme de ceux qui financent et soutiennent le patriarcat œcuménique (c'est-à-dire de ceux dont ils dépendent totalement pour leur survie même), et dans cette optique, il n'est pas difficile de savoir quels sont les programmes qu'ils soutiennent en secret, et pourquoi.

Un scandale de détournement de fonds à New York a-t-il déclenché tout ce conflit ?
C'est un secret de polichinelle qu'il y a eu un scandale massif, concernant la disparition apparente de sommes d'argent massives, environ 10 millions de dollars [21] sur les 37 recueillis pour la construction d'une cathédrale grecque à New York.

Michael Huffington a même demandé la démission de l'archevêque Demetrios pour tout cela.

La réponse de l'archevêque Demetrios a été incroyable ; il a dit que les donateurs "n'ont pas le droit de demander où est passé l'argent, tout comme il ne leur demande pas comment ils obtenu leur argent". Tout cela semble indiquer à quel point les cyniques et les politiciens se comportent dans la hiérarchie du GOARCH et dans le Patriarcat œcuménique.

Dans cet excellent article de James George Jatras, ancien diplomate américain, en juillet dernier, le département d'État américain a pris conscience de la mystérieuse disparition de ces fonds.

Alors que les autorités enquêtent actuellement sur la situation, il est allégué, et tout à fait plausible, qu'une personne des plus hauts échelons du pouvoir américain a donné au Patriarcat œcuménique un accord secret dans cette affaire scandaleuse : "Nous allons laisser votre principale source de revenus en sécurité, mais vous devez en retour créer une crise pour l'Église russe en soutenant les schismatiques ukrainiens".

Comme pour tout cela, il faut lire entre les lignes et relier les points, mais en regardant l'histoire de la captivité de Constantinople aux caprices politiques des puissances étrangères, et en particulier ses relations avec les États-Unis au XXe siècle, ce n'est pas seulement possible, mais plausible.

Le Père Séraphim Gan a noté qu'il semble que Constantinople n'est pas libre dans ses actions, mais sous l'influence de puissances non chrétiennes.

Le Métropolite Jonas,  hiérarque de l’ERHF et ancien Primat de l'Eglise Orthodoxe en Amérique (OCA) a écrit dans cet article étonnant  (légèrement édité pour le contexte] :

"C'est ainsi que le département d'État et les agences américaines soutiennent un charlatan déshonoré et légitimement défroqué qui est dguisé [en Patriarche] [Philarète], et qui manipule lui-même le pathétique[président ukrainien] Porochenko, pour sa propre ambition. Ils ont fait chanter le Patriarche œcuménique âgé [Bartholomée] au sujet de la disparition des fonds de l'archidiocèse [gréco-américain] américain, et l'ont ensuite soudoyé. Pour se justifier, il a fait valoir une interprétation de sa propre juridiction qui est rejetée par le reste des Églises orthodoxes."

Conclusion : 
Constantinople est devenu un outil pour la politique occidentale

Une simple image historique devient évidente :
°Constantinople était une ville de grands patriarches, mais aussi de grands hérétiques comme Nestor lui-même.
°Peu avant la chute de Constantinople, ils ont failli s'unir à Rome.

°Après la chute de 1453, le Patriarcat est complètement à la merci des Turcs.

°Après la première guerre mondiale, Constantinople perdit presque tout son troupeau ; à cette époque, il provoqua le conflit du calendrier et soutint le schisme bolchevique rénovationniste. Une tendance libérale est apparue au XXe siècle.

°Dans les années 1950, Athénagoras, puissant allié du président américain Truman, devient patriarche. Athénagoras devint le premier Patriarche à rencontrer le pape. Athénagoras conduisit le Patriarcat œcuménique à jouer un rôle majeur dans la promotion de la politique étrangère américaine dans les pays orthodoxes et contre Moscou.

°En 1971, le séminaire de Halki fut fermé ; l'avenir du Patriarcat est remis en question.

°En 2018, le Patriarche de Constantinople a rencontré et prié avec le Pape à de nombreuses reprises, et a rompu la tradition en permettant aux prêtres de se remarier. Le Patriarcat est dans son état le plus faible et le plus réduit à ce jour.

°En juillet 2018, le gouvernement américain aurait exercé des pressions sur le patriarcat par l'intermédiaire de sa principale source de financement dans le cadre du scandale GOARCH [i.e de l'archidiocèse grec d'Amérique].

°En septembre 2018, Constantinople envahit le territoire canonique de l'UOC [Eglise orthodoxe ukrainienne canonique] et du Patriarcat de Moscou.

Notez la tendance : plus Constantinople se rapprochait des puissances politiques étrangères, par exemple, l'Empire ottoman ou les Etats-Unis, plus sa pratique s'éloignait de l'Orthodoxie. Plus Constantinople s'affaiblit au cours de l'histoire, plus elle penche fortement vers l'influence occidentale.

Constantinople est devenu un outil pour les puissances occidentales, qui a très probablement commencé ce gâchis en Ukraine à leur demande. Il suffit de regarder la façon illogique dont ce mouvement d'autocéphalie a été planifié. Le patriarche Bartholomée n'est pas un homme inintelligent ; même s'il est aveuglé par les illusions papales, il devait savoir que cela ne marcherait pas.

Déjà, jusqu'à présent, aucune Église locale n'a soutenu Constantinople ou les schismatiques, de nombreuses Églises et hiérarques se sont prononcés contre les actions de Constantinople. L'un des évêques anglophones les plus célèbres, le métropolite Kallistos (Ware), évêque du Patriarcat œcuménique lui-même, a déclaré :

"Avec tout le respect que je dois à mon Patriarche, je dois dire que je suis d'accord avec l'opinion exprimée par le Patriarcat de Moscou que l'Ukraine appartient à l'Eglise russe."

Constantinople, qui, quelques mois auparavant soutenait l'Eglise canonique [d’Ukraine], a alors fait un virage total de 180 degrés, et commencé à propager la grandeur papale, envahissant le territoire canonique du plus grand patriarcat orthodoxe du monde, et déclarant qu'il peut accorder et révoquer l'autocéphalie.

C'était comme si tout cela était planifié par des gens qui ne comprennent même pas comment l'Eglise orthodoxe fonctionne, ou ce qu'il y a dans les pouvoirs des Patriarches œcuméniques, mais qui souhaitent simplement créer des problèmes pour l'Orthodoxie et la Russie en particulier....

Il semble qu'en étant occupé et à la merci des puissances politiques étrangères, il est impossible pour Constantinople de prendre des décisions pour le bien du reste du monde orthodoxe. Bien que l'orthodoxie n'ait pas de figure papale suprême - seul le Christ est à la tête de l'Église - s'il doit y avoir un premier parmi des égaux -, il devrait peut-être habiter dans une puissance orthodoxe assez forte pour préserver sa propre souveraineté.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après
********

NOTES :
1 https://blogs.goarch.org/blog/-/blogs/truman-athenagoras-and-world-orthodoxy-an-historical-alternative-to-current-us-relations-with-constantinople-part-two


3 Légèrement adapté du roman "Taras Boulba" de Nikols Gogol, chapitre 4.



6 Ibid.

7 Ibid.


9 Le premier dimanche du Grand Carême.

10 Помышляющим, яко возводятся православнии православнии Государи престолы на на о о о не по особливому помазании о них Божию благоволению благоволению благоволению при изливаются измену на царство тако тако дарования Духа к не не не и Святаго великого прохождению сего и против на них не измену ; и тако дерзающим дерзающим бунт бунт бунт бунт и измену : анафема.
À ceux qui pensent que les Souverains orthodoxes sont élevés sur le trône non par une bienveillance particulière de Dieu à leur égard et que les dons de l’Esprit Saint ne se répandent pas sur eux lors de leur onction pour leur règne, dans le but de l’accomplissement de cette grande vocation ; et ainsi osent se révolter contre eux et les trahir : anathème !














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Métropolite Chrysostome de Sarajevo (Eglise serbe): Le Phanar a déchiré la tunique de l'unité de l'Eglise.


"Le Patriarche de Constantinople et son Synode, comme s'ils étaient sur une scène théâtrale, jouèrent avec le Mystère de l'Eglise et son unité", dit le message du Métropolite. "Ils ont attaqué non seulement l'Église des martyrs en Ukraine, mais ils ont frappé toute l'Église du Christ, sa sainteté, sa catholicité, son apostolat et son unité. 

Ils ont trahi le Christ, déchiré le chiton de l'unité de l'Eglise orthodoxe pour qu'à partir des haillons du schisme, engendrés par ses ennemis, ils puissent élaborer un modèle schismatique sectaire qu'ils ont appelé "l'Eglise."

mercredi 30 janvier 2019

Le saint "Ancien" d'Alaska



Cet Ancien de la tribu orthodoxe des Aléoutes était connu comme  " chaman " local qui guérissait les maladies et indiquait aux pêcheurs où trouver de grosses prises, tout comme le chaman l'avait fait dans l'Arctique depuis des temps immémoriaux. 

Saint Innocent d'Alaska arriva à l'île d'Akun le 12 juin 1828 (Calendrier des Pères.) lors d'un voyage d'Unalaska à l'île d'Unimak, à quelque 400 milles à l'est. C'était presque quatre ans après son arrivée en Alaska. 

Saint Innocent fut surpris de constater que les gens de l'île l'attendaient sur le rivage, vêtus de leurs plus beaux habits. Les insulaires le saluèrent par son nom, avant même qu'il ne se présente à eux. 

Quand il leur demanda pourquoi ils l'attendaient et comment ils connaissaient son nom, on lui a répondu que leur chaman les avait informés de sa venue. Saint Innocent trouva cela étrange, mais alors qu'il se rendait à son travail sur l'île, il oublia l'incident. Cependant, au fur et à mesure que les jours avançaient, il se rendit compte que l'un des vieillards de l'île, qui s'était diligemment rendu aux offices, s'était préparé et avait reçu la Sainte Communion, était mécontent de lui. Saint Innocent, désireux d'éviter tout malentendu, demanda à rencontrer l'homme, connu sous le nom d'Ivan Smirennikov.

La réunion eut lieu, et Smirennikov exprima son mécontentement parce que saint Innocent n'avait pas demandé pourquoi les insulaires l'avaient traité de chaman, même si le titre le gênait. 

Il s'avère que Smirennikov avait été baptisé par le hiéromoine Macaire, et après le départ de celui-ci, il a dit à Saint Innocent, qu'il avait été continuellement visité presque quotidiennement pendant trente ans par deux figures lumineuses, qui lui enseignèrent  les voies de la foi. Lui, à son tour,  partagea cela avec le reste du village. Ces figures lui disaient aussi parfois ce qui allait se passer, ce qui expliquait que les habitants de l'île savaient que saint Innocent allait arriver et que son nom serait mentionné. 

Saint Innocent fut d'abord curieux de rencontrer ces deux figures là, et il demanda à Smirennikov s'il pouvait les rencontrer aussi, et tandis que Smirennikov alla demander si c'était permis, saint Innocent réfléchit, raisonnant qu'il était impossible que les démons passent trente ans à enseigner à quelqu'un  les questions de la foi. De plus, il se considérait indigne de venir en présence de ces esprits, et Smirennikov lui avait suffisamment démontré pour lui seul qu'il n'avait pas besoin de rencontrer ces esprits pour croire.

Avant de quitter Akun, saint Innocent écrivit toutes ces choses et les  fit attester par écrit par Smirennikov et par son traducteur, un homme du nom d'Ivan Pankov. En outre, il ordonna aux habitants de l'île d'Akun de ne plus traiter Smirennikov de chaman. Il envoya ensuite  une copie de ses expériences et du témoignage de Smirennikov à son évêque, Vladyka Michel (Byroudov) d'Irkoutsk. 

Une réponse fut finalement reçue, donnant la bénédiction à saint Innocent pour aller rencontrer les esprits, s'ils apparaissaient encore à Ivan Smirennikov lors de la prochaine visite de saint Innocent à Akun. 

Malheureusement, lorsque saint Innocent revint à Akun, l'Ancien Smirennikov était né au Ciel, et les Anges d'Akun n'apparurent à personne d'autre.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

Laurence Guillon: Yarilo


Auteur :
Editeur :
Genre :
Date de parution :
ISBN :
Total pages :
Prix :
12/12/2018
9782312063997
550
31 €

Résumé du livre
Deux enfants martyrs se rencontrent, le tsar Ivan le Terrible, veuf inconsolable cruel, fascinant et blessé, et le tout jeune guerrier Fédia Basmanov, dont l'âme instinctive et païenne fut saccagée par son père. Compagnons de débauche nostalgiques de la pureté, ils deviennent les proies d'un égrégore politique fatal, dans lequel l'un s'enfonce sans retour, tandis que l'autre, marié de force à une jeune fille touchante et simple, amorce une difficile et dangereuse rédemption.

Premier chapitre
Première partie
Fédia

I
« Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il se soumettra à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Si donc la lumière qui est en vous n’est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres mêmes ? »
Cet extrait de l’évangile de Mathieu ne laissait pas en repos le boïar Féodor Stépanovitch Kolytchov depuis qu’il l’avait entendu à l’église, quelques temps auparavant. Il l’avait entendu et lu de nombreuses fois dans sa vie, car il avait toujours été pieux, et sa famille aussi. Mais il lui semblait que soudain, ces mots s’étaient mis à le concerner profondément et personnellement, lui, Kolytchov, comme si, par la voix du prêtre psalmodiant la lecture dominicale, une présence invisible s’était adressée à lui en particulier, en désignant son cœur d’un doigt brûlant pour qu’il n’y eût pas d’équivoque.
Kolytchov avait servi jusqu’ici le grand prince de Moscou Vassili Ivanovitch, sur les champs de bataille et au parlement de la Douma, puis son héritier, le petit prince Ivan Vassiliévitch, orphelin depuis peu : sa mère venait d’être empoisonnée, quelques années après que la mort du grand-prince en eût fait la régente du royaume moscovite. Le garçon, pour lequel Kolytchov avait une affection inquiète, se retrouvait seul avec son frère sourd-muet, à la merci d’une oligarchie de boïars rapaces qui s’entredéchiraient et ne songeaient qu’à leurs intérêts particuliers. Mais lui, Kolytchov, servait avec désintéressement et honneur un souverain légitime, quel était donc ce maître qui l’empêchait de se consacrer à Dieu et faisait de sa lumière intérieure des ténèbres ? Sans doute cela concernait-il, dans l’absolu, toute espèce de maître terrestre qui le retenait de s’engager dans une autre armée et un autre combat.
Féodor Kolytchov, en dépit d’un visage agréable et d’une noble apparence, avait atteint l’âge de trente ans sans se marier, trompant dans les risques et les rigueurs d’une sévère existence guerrière son hésitation à s’engager dans une vie familiale. Il ne pouvait concevoir autre chose, entre époux, que cette sorte d’amour total qui fait de ces deux moitiés complémentaires une seule entité, et savait que c’était là un miracle assez rare, et qui le soumettrait, s’il avait la chance de trouver celle avec qui cela fût possible, à l’angoisse permanente de perdre sa compagne. L’attachement charnel et sentimental à une créature si facilement mortelle, contrainte d’enfanter dans la douleur le fruit de leurs noces, fruit lui-même exposé à une mort inéluctable à plus ou moins long terme et qu’il fallait cependant aimer, protéger et élever, c’était là un déterminisme cruel, une sorte de malédiction à laquelle il redoutait de se soumettre. C’était participer à l’état déchu du monde, à sa perpétuation, au lieu de consacrer toute son énergie à sa rédemption et à sa transfiguration future.

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