samedi 19 mars 2016

Jonathan Pageau: Le riche classicisme de Père Ilie [Bobaianu]

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Père Ilie Bobaianu (Dantès) est un moine et iconographe dont l’œuvre brille d’une manière particulièrement vive par sa profonde compréhension de la forme classique des lignes et de la couleur. Utilisant un fort contrapposto, une riche et complexe draperie, ainsi que des gestes de mains élégants, son travail tire des influences comme celle de Panselinos, le meilleur des écoles à la fois Paléologienne et crétoise dans une belle synthèse traditionnelle.






 Ses icônes semblent hors du temps à bien des égards car elles incarnent beaucoup de ce que les meilleures icônes anciennes ont à offrir. Mais avec quelques secondes de recherche, on fait souvent d’une pierre deux coups, car la première impression de voir une icône ancienne est remplacée par des signes subtils de quelque chose d'autre. Son raffinement dans les poses, l'utilisation complexe de la lumière sur les vêtements et l'utilisation audacieuse des coups de pinceau calligraphique rappellent au spectateur que ce ne sont pas simplement des copies d'anciennes icônes.

















Père Ilie, à ce point connu sous le nom de Dantès, a commencé à assister aux cours de l'Académie roumaine en 1995, quelques années après la révolution roumaine. Avec d'autres étudiants, il a fait des voyages dans différents monastères, dans un premier temps juste pour le plaisir, mais à un certain moment, sa vie a commencé à changer. Il a finalement rencontré son confesseur, le regretté staretz Teofil [Paraianur] qui l'a guidé dans sa quête spirituelle et a recommandé que Dantès termine ses études d'art avant de devenir moine. Père Ilie a également eu la chance d'avoir un professeur d'art de profonde conviction religieuse, à l'académie qui a encouragé son désir de se mettre à la peinture d'icônes.

Les icônes de Père Ilie, reflètent son amour profond de Dieu qui se manifeste dans sa vie intense de prière et de jeûne, qui, selon quelqu'un qui le connaissait à l'académie, a commencé alors même qu'il apprenait à peindre des icônes à l'école. On peut percevoir comment cet engagement couplé avec une telle compréhension interne aigu de l'icône a donné naissance à ces visages puissants. Caractérisé par un calme profond, des yeux pénétrants et souvent le plus subtil des sourires, les visages des icônes de Père Ilie illustrent de la meilleure façon la manière dont les images saintes peuvent nous faire entrer dans une relation avec la personne représentée.

Le travail de Père Ilie peut être suivi sur cette page facebook qui comprend également des vidéos:

https://www.facebook.com/stefan.ionut.7330/
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

vendredi 18 mars 2016

LE JOURNAL POSTHUME DU VIEILLARD FÉODOR KOUZMITCH, DÉCÉDÉ LE 20 JANVIER 1864, EN SIBÉRIE, PRÈS DE TOMSK, DANS LE DOMAINE DU MARCHAND KHROMOFF



DU vivant même de Féodor Kouzmitch, qui parut en Sibérie en 1836, et y vécut, en différents lieux, pendant vingt-sept ans, des bruits étranges couraient sur lui. On disait qu’il n’était autre que l’empereur Alexandre Ier, qui cachait son nom et son titre. Après la mort de Féodor Kouzmitch ces bruits ne firent qu’augmenter et se répandirent de plus en plus. Non seulement le peuple croyait qu’il s’agissait en effet d’Alexandre Ier, mais même dans les hautes sphères, même dans la famille impériale, au temps du règne d’Alexandre III, on le croyait. C’était aussi l’opinion de l’historien d’Alexandre Ier, le savant Sch
Ces bruits reposaient sur les raisons suivantes : 1° Alexandre était mort d’une façon tout à fait inattendue, n’ayant eu jusqu’alors aucune maladie sérieuse. 2° Il était mort loin de tous, dans un endroit perdu, à Taganrog. 3° Quand on le mit en bière ceux qui le virent dirent qu’il était tellement changé qu’on ne pouvait le reconnaître. C’est pourquoi on lui couvrit le visage et ne le laissa voir à personne. 4° À plusieurs reprises, surtout les dernières années de sa vie, Alexandre avait dit et écrit qu’il ne désirait qu’une chose : être débarrassé de sa situation et se retirer du monde. 5° Fait peu connu, dans le procès verbal de la description du corps d’Alexandre, il est dit que des traces violacées se remarquaient sur son dos et sur ses fesses, ce qui ne pouvait être avec le corps soigné de l’empereur.
Quant aux raisons qui faisaient croire que Féodor Kouzmitch était précisément Alexandre qu’on croyait disparu, elles étaient les suivantes : 1° Par la taille, la figure, par toute sa personne, le vieillard ressemblait tellement à l’empereur que les gens (des valets de la Cour qui ont reconnu Kouzmitch comme étant Alexandre) qui avaient vu Alexandre et ses portraits étaient frappés de cette ressemblance extraordinaire : même âge, même dos voûté. 2° Kouzmitch, qui se donnait pour un vagabond ne connaissant pas ses parents, parlait les langues étrangères, et, par toutes ses manières, par son affabilité majestueuse, trahissait un homme habitué à la plus haute situation. 3° Le vieillard ne voulait jamais révéler à personne son nom et son origine, et, cependant, certaines expressions qui lui échappaient parfois décelaient un homme qui, autrefois, était placé au-dessus de tous les autres. 4° Avant sa mort il détruisit des papiers ; il n’en resta qu’un seul feuillet, portant dessiné un signe bizarre et les initiales A. P. 5° Malgré toute sa piété, le vieillard ne communia jamais. Une fois que l’archevêque qui le visitait l’exhortait à remplir ses devoirs de chrétien, le vieillard lui dit : Si, en confession, je ne disais pas la vérité sur moi, le ciel en serait étonné, et si je la disais, c’est la terre qui en serait étonnée.
Tous ces doutes, toutes ces suppositions, ont cessé d’être des doutes et sont devenus certitudes grâce au journal de Kouzmitch qu’on a retrouvé. Voici comment débute ce journal :

I

Dieu sauve mon ami inestimable Ivan Gregorievitch, pour ce refuge charmant ! Je ne suis pas digne de sa bonté et de la faveur de Dieu. Ici je suis tranquille. Moins de gens viennent chez moi et je suis seul avec mes souvenirs criminels et avec Dieu. Je tâcherai de profiter de la solitude pour décrire en détail ma vie. Elle peut être instructive pour les hommes.
Je suis né et j’ai passé quarante-sept années de ma vie parmi les tentations les plus terribles ; et non seulement je n’ai pas résisté à ces tentations mais je m’en suis grisé. J’étais séduit et je séduisais les autres. J’ai péché et j’ai forcé les autres à pécher. Mais Dieu a jeté ses regards sur moi. Toute la vilenie de ma vie, que j’ai tâché de justifier à mes propres yeux en accusant les autres, s’est enfin révélée à moi dans toute son horreur. Dieu m’a aidé à me débarrasser, non du mal, j’en suis encore plein, bien que je lutte contre lui, mais de la participation au mal. Quelles souffrances morales endurai-je, et que se passa-t-il dans mon âme quand je compris tous mes péchés, et la nécessité du rachat (non le rachat des péchés, mais le vrai rachat de mes péchés par mes souffrances), je raconterai tout cela en son lieu. Maintenant je décrirai mes actes eux-mêmes, comment je parvins à me débarrasser de ma situation en laissant comme mon cadavre le cadavre d’un soldat que j’avais torturé à mort ; puis je décrirai ma vie, du commencement même.
Ma fuite s’opéra de la façon suivante. À Taganrog je vivais dans la même folie que pendant toutes ces dernières vingt-quatre années. Moi, le plus grand des criminels, assassin de mon père, assassin de centaines de mille hommes à la guerre dont j’étais cause, moi, débauché ignoble, malfaiteur, je croyais ce qu’on disait de moi. Je me croyais le sauveur de l’Europe, le bienfaiteur de l’humanité, un homme exceptionnellement parfait, un « heureux hasard, » comme je le disais à Mme de Staël. Je me regardais comme tel. Cependant Dieu ne m’avait pas complètement abandonné, et la voix vigilante de la conscience me tourmentait sans cesse. Rien ne me paraissait bon. Tous étaient coupables. Moi seul étais bon et personne ne le comprenait. Je m’adressais à Dieu. Tantôt je priais le Dieu orthodoxe avec le Métropolite Photius ; tantôt le Dieu catholique ; tantôt le Dieu protestant avec Parrot ; tantôt le Dieu des illuminés avec Mme Krudener. Mais je ne m’adressais à Dieu que devant les hommes, afin d’être admiré d’eux. Je méprisais tous les hommes, et seule l’opinion de ces hommes que je méprisais était importante pour moi ; je ne vivais et n’agissais que pour elle. Quand j’étais seul, je me sentais terriblement mal. Avec elle avec ma femme, c’était pire encore. Bornée, menteuse, capricieuse, méchante, phtisique, toute hypocrisie. C’était elle surtout qui empoisonnait ma vie. Nous étions censés revivre notre lune de miel, et c’était un enfer, sous des apparences convenables, un enfer d’hypocrisie terrible.
Une fois je fus dégoûté encore plus que de coutume. J’avais reçu la veille une lettre d’Arakchéieff au sujet de l’assassinat de sa maîtresse. Il me décrivait sa douleur désespérée. Et, chose bizarre, sa flatterie perpétuelle, fine, non flagornerie seule mais son vrai dévouement de caniche, qui datait du vivant de mon père, quand, avec lui, à l’insu de ma grand’mère, nous lui prêtâmes serment, ce dévouement de caniche faisait que si j’aimais quelqu’un les derniers temps c’était lui, bien que le mot « aimer » ne convienne guère en parlant de ce monstre. Ce qui me liait encore à lui, c’était que non seulement il n’avait pas participé au meurtre de mon père comme plusieurs autres, qui précisément à cause de leur complicité dans mon crime m’étaient odieux, mais qu’il avait été dévoué à mon père comme à moi. D’ailleurs, de tout cela je parlerai plus loin. Je dormis mal. C’est étrange à dire, le meurtre de la belle et méchante Nastasia (elle était merveilleusement belle) provoqua en moi des désirs lubriques, et, de toute la nuit, je ne pus dormir. Le fait qu’une chambre plus loin se trouvait une femme phtisique, dégoûtante, m’irritait et augmentait mon inquiétude. Le souvenir de Marie (Narischkina) qui m’avait quitté pour son sot diplomate me tourmentait aussi. Évidemment c’est notre sort (celui de mon père et le mien) d’être jaloux des Gagarine.
Mais, de nouveau, je m’égare avec ces souvenirs. Je ne dormis pas la nuit. Le jour parut. J’écartai le rideau, mis ma robe de chambre blanche et appelai mon valet. Tout le monde dormait encore. Je pris ma tunique, un manteau de civil, un bonnet, et, passant devant la sentinelle, je sortis.
Le soleil venait de se lever sur la mer. C’était une fraîche journée d’automne. Aussitôt à l’air je me sentis mieux. Les pensées sombres s’étaient évanouies, et je me dirigeai vers la mer qui riait sous le soleil. Avant d’arriver à l’angle de la maison verte, j’entendis de la place un bruit de tambours et de flûtes. J’écoutai et compris que c’était une exécution qui avait lieu sur la place, qu’on punissait de la bastonnade un soldat. Moi qui, tant de fois, avais autorisé cette punition, je n’avais jamais vu ce spectacle. Et, chose bizarre (c’était une suggestion du diable), la pensée de la belle et sensuelle Nastasia, assassinée, et celle du corps du soldat bâtonné, se confondaient en un seul sentiment irritant. Je me rappelai les soldats du régiment de Sémenoff punis de la bastonnade et les miliciens dont des centaines avaient été frappés à mort. Soudain l’idée bizarre me vint d’aller regarder ce spectacle. Comme j’étais en civil, je pouvais le faire. Plus j’approchais, plus nettement j’entendais le bruit des tambours et des flûtes. Je ne pouvais encore distinguer clairement avec mes yeux myopes, sans lorgnette, mais je voyais déjà deux rangs de soldats et, entre eux, une haute personne, au dos blanc, qui avançait. Je me mêlai à la foule qui se tenait derrière les rangs des soldats et regardait le spectacle. Je pris la lorgnette pour examiner ce qui se passait. Un homme de haute taille, les mains nues attachées à une baïonnette, le dos nu, déjà rouge de sang, voûté, s’avançait dans l’espace laissé entre les deux rangs de soldats armés de bâtons. Cet homme, c’était moi, mon sosie : la même taille, le même dos voûté, la même tête chauve, les mêmes favoris sans moustache, les mêmes pommettes, la même bouche, les mêmes yeux bleus. Et la bouche ne souriait pas, elle s’ouvrait et grimaçait en poussant des cris à chaque coup ; et les yeux n’étaient pas tendres et caressants, mais horriblement dilatés, et tantôt se fermaient, tantôt s’ouvraient. Quand je regardai le visage de cet homme, je le reconnus. C’était Stroumenski, un soldat, ancien sous-officier de la 3e compagnie du régiment de Sémenoff, connu dans toute la garde par sa ressemblance avec moi. En plaisantant on l’appelait Alexandre II.
Je savais qu’avec d’autres soldats du régiment de Sémenoff, qui s’étaient révoltés, il avait été transféré dans une garnison, et je compris que dans la garnison, ici probablement, il avait dû commettre un crime quelconque (il s’était probablement enfui et avait été rattrapé), et que, maintenant, on l’en punissait. J’appris après qu’il en était bien ainsi.
J’étais comme fasciné en regardant marcher ce malheureux, en voyant comment on le frappait, et je sentais que quelque chose se passait en moi. Tout d’un coup je remarquai que les spectateurs qui étaient à côté de moi me regardaient, les uns s’écartant, les autres se rapprochant. Évidemment on m’avait reconnu. Voyant cela, je me détournai et rentrai hâtivement. Les tambours continuaient à battre, la flûte jouait. Ainsi la punition durait encore. Normalement j’aurais dû trouver bien ce qu’on faisait à mon sosie, ou tout au moins reconnaître que ce qui se faisait devait être. Mais je sentais que cela m’était impossible. Cependant je me rendais compte que ne pas admettre que ce qui était devait être, que c’était bien, m’entraînait à reconnaître que toute ma vie, tous mes actes, que tout cela était mauvais, et que je devais faire ce à quoi j’avais songé depuis longtemps : abandonner tout, m’en aller, disparaître.
Ce sentiment s’empara de moi. Je luttai contre lui. Tantôt je reconnaissais que cela devait être ainsi, que c’était une triste nécessité ; tantôt je reconnaissais que c’était moi qui devais être à la place de ce malheureux. Mais, chose étrange, je n’avais point pitié de lui, et, au lieu d’arrêter la punition, craignant seulement d’être reconnu, je rentrai chez moi.
Bientôt je n’entendis plus les tambours, et aussitôt rentré il me parut que j’étais délivré du sentiment qui m’avait saisi là-bas. Après avoir bu mon thé, j’écoutai le rapport de Volkonski. Ensuite, le déjeuner comme d’habitude, les relations habituelles, pénibles, fausses, avec ma femme ; ensuite Dibitch avec son rapport, qui confirmait tous les renseignements sur la société secrète. En décrivant l’histoire de ma vie, s’il plaît à Dieu, je parlerai de tout cela en détail. Maintenant je me bornerai à dire que je reçus assez tranquillement cette nouvelle. Mais cela ne dura que jusqu’à la fin du dîner. Après le dîner, je passai dans mon cabinet de travail, et, m’allongeant sur le divan, je m’endormis aussitôt. Je dormais depuis cinq minutes à peine, quand un choc secouant tout mon corps m’éveilla, et j’entendis le tambour, la flûte, le bruit des coups, les cris de Stroumenski, et je le vis lui, lui ou moi, je ne savais pas bien, je vis son visage douloureux, ses gestes désespérés, et les visages rembrunis des soldats et des officiers. Cette vision dura peu. Je bondis, boutonnai ma tunique, pris mon chapeau et mon épée, et sortis en disant que j’irais me promener.
Je savais où se trouvait l’hôpital rnilitaire, et je m’y rendis directement. Comme toujours, tous s’empressèrent. Le médecin en chef accourut, ainsi que le chef de l’état-major. J’exprimai le désir de faire le tour des salles. Dans la deuxième salle j’aperçus la tête chauve de Stroumenski. Il était couché sur le ventre, la tête appuyée sur ses mains, et gémissait plaintivement. — « Il a été puni parce qu’il a voulu s’enfuir, » me dit-on. Je dis : « Ah ! » et fis mon geste habituel d’approbation à ce que j’entendais, et passai.
Le lendemain j’envoyai demander comment allait Stroumenski. On me fit savoir qu’il avait été administré et qu’il se mourait.
C’était le jour de fête de mon frère Michel. Il y avait une revue. Sous prétexte que j’étais indisposé à la suite de mon voyage en Crimée, je n’allai pas à la messe. Dibitch vint de nouveau chez moi, et, de nouveau, me fit un rapport sur une conjuration dans la deuxième armée, en me rappelant ce que m’en avait dit le comte de Vitt encore avant mon voyage en Crimée, ainsi que le rapport du sous-officier Chervoud. C’est alors seulement, en écoutant le rapport de Dibitch, qui attribuait une si grande importance à cette conjuration, que je sentis tout d’un coup l’importance et la puissance de la transformation qui s’était opérée en moi. Ils ourdissent un complot pour changer la forme du gouvernement, pour introduire une constitution, ce que j’ai voulu faire il y a vingt ans. J’ai institué et supprimé la constitution en Europe, et à qui cela a-t-il profité ? Et, principalement, qui suis-je pour le faire ? En général, toute la vie extérieure, toute l’organisation des affaires, toute participation dans ces affaires, – et moi à combien ai-je participé, combien de vies des peuples d’Europe ai-je organisées, — tout cela est peu important, inutile, et tout cela ne me regarde pas. J’ai compris tout d’un coup que cela n’était point mon affaire. Mon affaire c’est moi, c’est mon âme. Toutes mes intentions antérieures d’abdication qui n’étaient alors que de la pose, le désir d’étonner ou d’attrister les hommes, de leur montrer la noblesse de mon âme, ces intentions reparaissaient maintenant, mais cette fois avec une entière sincérité ; il ne s’agissait plus maintenant des autres, mais de moi-même, de mon âme, comme si tout ce cercle brillant de ma vie passée n’avait été décrit que pour me ramener à ce désir juvénile, provoqué par le repentir, de renoncer à tout, et cela sans vanité, sans aucunement songer à la gloire humaine, mais pour moi, pour Dieu.
Autrefois ces aspirations étaient vagues, maintenant c’était l’impossibilité de continuer à vivre comme je vivais. Mais comment ? Non pour étonner les hommes, non pour être glorifié ; au contraire, il fallait s’en aller de façon que personne n’en sût rien, et souffrir. Cette pensée me causa tant de joie, me remplit d’un tel enthousiasme, que je me mis aussitôt à chercher le moyen de mettre à exécution ce projet ; et j’y employai toutes les ressources de mon esprit, toute la ruse qui m’était propre.
Et, chose extraordinaire, mon projet se trouva beaucoup plus facile à exécuter que je ne me l’étais imaginé. Mon plan était le suivant : feindre d’être malade, mourant, et, après avoir convaincu et acheté le médecin, mettre à ma place Stroumenski mourant, et moi-même m’en aller, m’en-fuir, cacher à tous mon identité.
Alors que je faisais tout pour que mon plan se réalisât, le 9, comme exprès, je fus pris de fièvre. Je restai au lit près d’une semaine, pendant laquelle je me fortifiais de plus en plus dans ma résolution et l’examinais. Le 16, je me levai. Je me sentais bien portant. Ce jour, comme à l’ordinaire, je me rasai, et, tout plongé dans mes réflexions, je me fis par mégarde une forte coupure près du menton. Je perdais beaucoup de sang ; je m’évanouis et tombai. On accourut ; on me releva. Je compris aussitôt que cela pouvait m’être utile pour réaliser mon projet, et, quoique je me sentisse très bien, je feignis d’être très faible, je me mis au lit et donnai l’ordre de faire venir l’aide du Dr Villiers. Villiers lui-même n’aurait pas consenti à cette substitution ; mais j’avais l’espoir d’acheter ce jeune homme. Je lui fis connaître ma résolution et le plan que j’avais formé pour la mettre â exécution ; puis, je lui promis quatre-vingt mille roubles s’il faisait ce que j’exigerais de lui. Mon plan était le suivant : Stroumenski, comme je l’avais appris le matin, était mourant et devait trépasser vers la nuit. Je me mis au lit, et, feignant d’être irrité contre tous, je n’admis personne auprès de moi, sauf le médecin acheté. La même nuit, le docteur devait amener, dans une baignoire, le corps de Stroumenski, le mettre à ma place et annoncer ma mort soudaine. Chose étonnante, tout arriva comme nous l’avions projeté, et le 7 novembre j’étais libre.
Le corps de Stroumenski fut enseveli avec les plus grands honneurs. Mon frère Nicolas monta sur le trône, en envoyant au bagne les conjurés. Plus tard, en Sibérie, j’ai revu quelques-uns d’entre eux. Quant à moi, j’ai supporté des souffrances minimes en comparaison de mes crimes, et j’ai eu de grandes joies que je ne méritais pas, et dont je parlerai en temps et lieu.
Maintenant je suis un vieillard de soixante-douze ans, qui a déjà un pied dans la tombe, mais, ayant compris la vanité de toute ma vie passée et l’importance de ma vie présente, vécue en chemineau, je tâcherai de raconter l’histoire de ma vie ancienne. 
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jeudi 17 mars 2016

Sur le chemin d'un Saint: Père Arsène [Arsène Boca]




Au monastère de Prislop en Roumanie situé près de l'ancienne Dacie dans un paysage exceptionnel, une croix de bois s’élève sur une tombe recouverte de fleurs en floraison permanente. L'homme enterré là, est un miracle inconnu : Père Arsène [Arsène Boca], un des plus grands luminaires de l'Orthodoxie, considéré comme un saint par toutes les âmes heureuses qui ont eu la chance de le rencontrer au cours de leur vie. Fort, inébranlable dans la foi, il a passé par les déserts "rouges" de l'athéisme et par les terreurs des prisons communistes sans dévier du droit chemin qu'il suivait avec beaucoup de chrétiens. Adoré par les gens pour ses sermons et ses miracles, redouté par les autorités de l'époque en raison de sa forte influence, le Père Arsène est mort en martyr; mais la traînée de lumière qu’il nous a laissée brille encore parmi nous, même dans nos jours.




Père Arsène [Boca] est venu dans ce monde dans un petit village dans les montagnes des Carpates. Né le 29 septembre 1910 à Vata de Sus (Roumanie), il était le seul enfant d'une famille aisée. Il termina l'école secondaire de Brad, où il se distingua par sa pensée et son intuition profondes. Il entra au séminaire de théologie de Sibiu, termina les études à Ceranauti, actuellement en Moldavie; Il se révéla détenteur d’un grand talent artistique et en conséquence il fut envoyé à Bucarest pour un second diplôme en beaux-arts.


Un de ses tableaux

Après avoir obtenu son diplôme des Beaux-Arts, il assista aux cours  du professeur Rainer à la Faculté de Médicine. Il fut aussi à Sibiu, l’élève du Père Dumitru Staniloae. 

Quand il a fini ses trois ans d’étude, il fut envoyé par Sa Sainteté le Métropolite Balan au Mont Athos dans un skite roumain (un très petit monastère avec quelques moines) pour y obtenir certains textes de la Philocalie en grec et en roumain. Plus tard, il participera avec le Père Dumitru à la traduction de la Philocalie roumaine. Il dessinera aussi la couverture pour cette édition.

Son court séjour à l’Athos lui apporta les premières expériences spirituelles. Là, il a observa le jeûne pendant des périodes allant jusqu'à quarante jours, comme il le rappellera plus tard à quelques chrétiens (remarque: dans son cas, le jeûne signifiait probablement ne rien manger du tout ou seulement un peu de pain, et boire de l'eau).
Au Mont Athos, il fera l'expérience de visions et de consolations divines.

En 1940, il est ordonné diacre et tonsuré. En 1942, il est nommé staretz du monastère de Brâncoveanu.

En 1945, et en 1948, il fut emprisonné par les communistes. Après deux mois, le Métropolite Balan le transféra, pour le protéger, comme staretz au monastère Prislop. Il fut à nouveau arrêté à plusieurs reprises pendant les années cinquante. Accusé de malversations (fausses bien sûr), il fut exilé à Bucarest. Il survécut en faisant des peintures d’églises.

En proie aux tracasseries de la Securitate (la gestapo communiste), il partit au monastère de Sinaïa.

Il y naquit au Ciel le 28 novembre 1898. Sa glorification par l'Eglise roumaine est prévue.





Beaucoup de gens venaient d'endroits lointains, même à pied, juste pour rencontrer le Père Arsène.

Les personnes qui désiraient la Sainte Communion étaient amenées par le Père Arsène à un lieu sur la montagne. Là, il les gardait pendant 7 jours et nuits à ne manger que du pain et du miel. Pendant tout ce temps, ils priaient ensemble et écoutaient des sermons. Celui qui ne jeûnait pas et mangeait autre chose, comme de la viande… était invité à quitter les lieux. Dans la matinée, le père Arsène venaient dans les cellules où les chrétiens dormaient ensemble comme des frères et il choisissait seulement ceux qu'il croyait étre prêts pour la confession et le partage de la Sainte Cène.
 


Pendant la guerre, beaucoup de gens venaient au Père Arsène, en particulier les jeunes hommes qui avaient dû partir pour la guerre. Il disait à certains d'entre eux: "Ton âme se promène le long d'un chemin différent, va vers elle." Il estimait que leurs âmes n’étaient pas dans l'Église; pour eux le pèlerinage était une formalité. Pour d'autres, il disait, "oui, viens". Il les invitait dans l'Église à écouter la Sainte Liturgie. Il donnait la Sainte-Croix à baiser, mais pas à tous. A certains il faisait l’onction de myrrhe avec joie, à d'autres, il ne le faisait pas. Une fois où quelqu'un lui demanda : "Père, pourquoi ne donnes-tu la Sainte Croix qu’à certaines personnes?" Il répondit: "Mon enfant, ceux à qui je donne la Croix à baiser ne rentreront pas chez eux. Vous reviendrez et nous nous rencontrerons à nouveau. " Et ceux qu'il mentionnait ne sont jamais revenus, sauf ceux qui ne baisaient pas la Croix.

... Beaucoup de gens aimaient Père Arsène [Boca] parce qu'il se souciait véritablement que du côté spirituel de l'être humain. Il demandait aux gens de retourner à Dieu et de vivre une vie consacrée au Christ. Même avant la 2ème Guerre mondiale, il était suspect pour le régime communiste (athée), car beaucoup de gens faisaient appel à lui pour des conseils. Le Secret Service de sécurité le soupçonnait de conspiration, comme catalyseur principal du mouvement contre le communisme.

Pendant les périodes restrictives du communisme (le christianisme devint illégal) Père Arsène poursuivit sa mission de père spirituel. A cette époque, les miracles étaient nécessaires pour échapper aux persécutions communistes autoritaires qui frappaient férocement contre tout ce qui ne correspondait pas à l'idéologie communiste étroite; et le Père Arsène était un homme du Saint-Esprit qui fit beaucoup de miracles. Après 1989, en face du monastère de Sambata de Sus, une croix fut érigée pour tous ceux qui sont morts en combattant dans la résistance anticommuniste dans les montagnes de Fagaras. Le premier nom sur la croix est celui de Père Arsène [Boca], même s’il n'a jamais conseillé à quiconque de prendre les armes et de combattre, et s’il n'a jamais touché une arme. Cependant, il insuffla courage et la foi à ceux qui choisirent de se battre. On dit que beaucoup de gens ont été aidés par ses prières, quand ils ont été persécutés par la sécurité.

De l'eau de la pierre


La cellule de Père Arsène

Père Arsène avait une cellule dans les montagnes au-dessus du monastère de Sambata où il se retirait pour le jeûne et la prière en solitude. On dit que l'espace et le chemin vers la cellule ont été sanctifiés et Père Arsène n’en parlait jamais, et il y amenait seulement quelques personnes qu'il considérait comme purs de cœur. En haut, à la cellule il n'y avait pas d'eau, que de petits ruisseaux formés au cours du printemps, à partir de la neige. Un jour, ceux qui faisaient l'escalade avec le Père Arsène lui dirent: "Père, nous avons vraiment soif, et nous avons épuisé l'eau que nous avions apporté avec nous." Père Arsène, les  regardant pensivement, prit une petite tige du sol et  commença à prier. Ensuite, il leur demanda avec compassion: Voulez-vous boire de l'eau? " "Oui, nous le voulons!".Il a ensuite frappé une pierre ,et l'eau a commencé à sortir d'une pierre du ruisseau; et même aujopurd’hui, l'eau s’écoule de ce rocher; pas beaucoup, mais des gouttes d'eau permanentes.

En 1948, le monastère de Prislop, redevint  possession de l'Eglise chrétienne orthodoxe. Père Arsène fut envoyé au monastère de Prislop et, en un court laps de temps, il apporta la vie au monastère. Aujourd'hui encore, après tant d'années, nous pouvons voir la façon dont les fleurs ont été organisées par le Père Arsène [Boca], ou comment chaque pierre a été placée avec soin dans l'endroit où il pensait qu'elle serait adaptée.
En peu de temps les gens entendirent parler de la grâce du Père Arsène [Boca], et ils l'ont envahi en grand nombre pour recevoir  consolation et de guérison spirituelle. Père Arsène avait du temps pour tout le monde et ne rejetait jamais personne. Les higoumènes du monastère nous ont dit: "Il se mettait au niveau de tout le monde et leur parlaient dans une langue qu'ils comprenaient personnellement. D'une part, il vous  captivait et vous séduisait, et d'autre part, il scrutait votre conscience. Il décrivait votre propre état spirituel; vous expliquait où vous étiez, qui vous en étiez et ce que vous pouviez devenir.
Il vous connaissait si bien. "
Il fut capturé par la sécurité de Prislop en 1958, et contraint aux travaux forcés dans le camp de travail de Dobrogée [ou Dobroudja]où il passera le reste de deux ans.

Le Saint enchaîné:
Même s’il fut mis en prison et envoyé au camp de travail du canal du Danube, le Père Arsène [Boca] ne fut jamais condamné, tout simplement parce que la sécurité ne put jamais le trouver fautif. A en juger par les allégations, nous nous demandons si le Père Arsène n’accepta pas sa peine pour être en mesure de réconforter et d'aider les âmes de ceux en prison. L'une des personnes proches de Père Arsène [Boca] nous a dit:

"En Dobrogée, au camp de travail du Danube, où Père Arsène fut envoyé pour la deuxième fois, c’était très dur. Ils avaient une certaine quantité de terre à extraire à la pelle, les travailleurs étaient épuisés, car ils avaient une très mauvaise nourriture, donc ils n’avaient pas de force. Père Arsène leur disait: "Mes bons enfants, nous allons y arriver", et on ne sait pas comment ils faisaient pour avoir fini leur tâche imposée et comment ils ont survécu.

La nuit Père Arsène disparaissait, personne ne savait comment. Les gardes commencèrent  à parler entre eux: "Il y en a un qui disparaît pendant la nuit!" Une fois, quand le père retournait à sa cellule, il dit à l'un des gardiens, "N’aie pas peur, personne ne pourra te nuire". Aujourd'hui, c’était comme ça, le lendemain de même, à la longue, le gardien dit au reste des gardes: " Soit je deviens fou, soit j’ai des visions, il y a un homme ici qui disparaît."

Une nuit, les gardes sont allés le voir, car il avait l'habitude de faire sa sainte liturgie, seul, la nuit. Ils le virent en dehors de la prison, remuer les lèvres, priant. Ils voulaient l'arrêter, mais ils n'osèrent pas. La grande porte de la cellule de prison avec de lourdes  serrures, s’ouvrait devant lui sans que personne ne les touche, à la fois dans la nuit quand il sortait et le matin quand il revenait. En ce temps, le Père Arsène créait  également les croquis de ses plans pour la construction du sanctuaire du monastère de Prislop...

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
et 
d'autres sources
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Un portrait de Père Arsène pleure! 
VIDEOS




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Tombe de Père Arsène
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mercredi 16 mars 2016

Dr. Constantin Cavarnos: Photios Kontoglou/ INEBRANLABLE FIDÉLITÉ À LA SAINTE TRADITION (6 et fin)

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-Kontoglou nous rappelle de "rester fidèle à la tradition."
-Oui, parce que la Tradition unit tout dans une belle relation organique significative avec tout le reste.
-Elle nous donne la vie.
-Elle nous donne la vie et résout des problèmes inutiles et des soucis inutiles qui sont créés par la "modernisation" et l'œcuménisme.
-Kontoglou prévoyait ces choses il y a trente ans, et même plus tôt, et vous les avez vues en écrivant vos soixante livres au cours des quatre dernières décennies. Sommes-nous à présent dans un endroit où nous avons, peut-être, progressé encore plus bas sur cette pente que du temps de Kontoglou?
-Bien sûr.
-Il semble presque que nous sommes vaincus par ces innovations, qui pleuvent comme un orage terrible sur l'Eglise. Où allons-nous commencer ; où la paroisse et le prêtre vont-ils commencer la tâche de réparer avant que tout le vêtement ne tombe en morceaux? Comment procédons-nous sur la voie de la restoration ?
-Je dirais qu'il y a différentes choses avec les quelles on doit se battre. Une des premières choses à voir est que la plupart de ce qui est endommagé, ces innovations, est le résultat de l'ignorance. C'est à l'origine de toutes ces choses.
Nous avons donc à écrire des livres instructifs, des articles et des lettres, comme Kontoglou l’a fait. Kontoglou a écrit d'innombrables lettres. J'ai quatre de ses lettres. Ceux qui possèdent les connaissances et la compréhension nécessaires doivent écrire et enseigner, afin d'éclairer les gens, pour guérir la maladie de l'ignorance.
Des librairies bien équipées devraient être organisées dans toutes les paroisses et tous les monastères. En outre, il devrait y avoir des conférences édifiantes dans les paroisses, offertes de temps en temps, surtout pendant la saison d'automne, et pendant le Grand Carême.
-C'est un long processus.
-Effectivement. C’est un processus qui prend du temps et doit être fait en continu par autant de personnes que possible. L'autre triste facteur est l’indifférence. Ainsi, le sentiment religieux des personnes doit être réchauffé. La froideur, qui est propice à la mort de la foi, doit être bannie. De bons écrits, de bons sermons, et une conversation personnelle avec les gens sont des moyens pour ce faire.
L’indifférence est enracinée dans l'ignorance. Les gens sont indifférents à quelque chose qu'ils ne connaissent pas, qu’ils ne comprennent pas. L’indifférence vient souvent parce que l'on ne comprend pas les doctrines de l'Eglise, les canons, ou l'importance de pratiques telles que le jeûne et la prière de Jésus.
-L’ignorance, par conséquent, conduit-elle à une perversion de la foi?
-Oui. La foi en vient à être considérée comme semblable à la magie. Le christianisme n’est pas magique. Il est une relation divino-humaine impliquant la prière de notre part, la prière sincère de chrétiens croyants et d'autres pratiques spirituelles également, avant que nous puissions espérer qu’une réponse vienne de Dieu. À tort, les gens pensent qu'ils peuvent obtenir des avantages divins sans en payer le prix spirituel.
-Alors, pour recevoir un bénéfice de la sainte Orthodoxie, on doit travailler dur pour se vider, et permettre à l'Orthodoxie, à la tradition et à l'Esprit de Dieu de venir en nous; il faut avoir la foi?
-C'est la fondation. La foi, dans le sens d'épouser sans réserve de véritables doctrines et de véritables pratiques, c’est la fondation.
En conclusion, permettez-moi de vous demander: il semble encore que cela représente un grand défi pour les orthodoxes zélés d'être connectés à la Tradition des saints Pères qui donne la vie. Ces personnes sont vivantes et éveillées à la sainte Tradition, mais elles pourraient être dans un endroit de l'Orthodoxie américaine où cette tradition n’est pas facilement accessible. Que disons-nous à quelqu'un dans cette situation?
-Une personne doit avoir du zèle et constamment rechercher un lieu-une paroisse dans le « monde» ou un monastère, où il y a un christianisme orthodoxe traditionnel authentique. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit: «Demandez, et il vous sera donné; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. »
Version Française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Pravoslavie.ru

mardi 15 mars 2016

Dr. Constantin Cavarnos: Photios Kontoglou/ INEBRANLABLE FIDÉLITÉ À LA SAINTE TRADITION (5)



(Constantin Cavarnos...) J'étudie aussi les Pères de l’Eglise et j’écris sur eux, en particulier sur les auteurs ascétiques tels que saint Jean Climaque, saint Syméon le Nouveau Théologien, et les Pères de la Philocalie. 
Nous devons continuer à les étudier, à écrire à leur sujet, et à vivre selon leurs enseignements. Il y a une autre chose qui doit être mentionnée. Kontoglou aimait  beaucoup les moines. Il croyait à la vie monastique orthodoxe contemplative (hésychaste) traditionnelle, et non à celle de l'activiste, à la manière catholique romaine. Dans un de ses ouvrages, il dit que nous devons réaliser que là où il n'y avait pas de monastères, la spiritualité s’est tarie, et que partout où il y a de la vie monastique et des monastères authentiques avec une tradition de piété profonde, l'Orthodoxie fleurit.

-Et à ce propos... Aujourd'hui, dans l'orthodoxie, nous avons beaucoup de discussions, et une controverse qui n’est pas moindre, à propos de l'apparence des prêtres et des moines en Occident. Il y a ceux qui disent que c’est quelque chose pour le vieux continent. En Amérique, nous faisons les choses différemment, parce que l'endroit où nous sommes, et la situation dictent que nous devons nous habiller différemment, et que les choses extérieures ne sont pas si importantes que cela. Que disait Kontoglou à ce sujet?

-Kontoglou a écrit des articles spéciaux sur le rasson [soutane] pour le prêtre. Il serait d'accord pour dire que le rasson seul ne fait pas le prêtre [l’habit ne fait pas le moine !]. Mais il est l'une des choses, avec d'autres, qui font un prêtre ou un moine. Kontoglou disait le rasson est un élément essentiel. Il est un symbole de l'Orthodoxie. La barbe est aussi un élément essentiel de l'apparence d'un ecclésiastique ou d’un moine. Ces choses, il les a beaucoup soulignées, et il a donné des raisons de tradition et de bon sens, pour que cette apparence extérieure du prêtre ou du moine, doive continuer à identifier le prêtre ou le moine comme véritablement orthodoxes.

-Alors, serait-il correct de mentionner que Photios dirait que ces choses font partie intégrante de l'Orthodoxie, sont l'expression de l'Orthodoxie. Elles ne sont pas des traits détachés, mais sont unies avec l'image et les symboles de l'Orthodoxie. Ainsi, abandonner ces choses est en quelque sorte minimiser l'Orthodoxie.

-C’est juste. Il y a quelques années à peine, un prêtre de l'archidiocèse grec dans ce pays avait une barbe. Mais maintenant, ce qui est arrivé est que les jeunes prêtres ont de la barbe, le plus souvent taillée, mais encore de la barbe. A côté d'eux est un vieux prêtre, un prêtre aux cheveux blancs, complètement rasé. Raser la barbe ne peut se justifier en disant que nous vivons en Amérique, et que la barbe est inappropriée. Au contraire, c’est tout à fait acceptable maintenant. 
Kontoglou était très résolument pour qu'un prêtre ait la barbe et le rasson de son identité, de la même façon qu’un policier a son uniforme de police spécifique, quand il sort dans les rues. En le voyant, vous savez qu'il est policier.

-Kontoglou faisait-il jamais une distinction entre la Tradition avec un grand « T » et la tradition avec un petit « t » ? Une telle vision précise qu'il y a des traditions dans le domaine du dogme, de la doctrine et de la spiritualité qui sont absolument non négociables, mais qu’il y a des petites traditions comme la barbe et le rasson qui sont négociables. Vous n'êtes pas obligé de les avoir, mais vous pouvez les avoir. A-t-il jamais fait de telles distinctions?

-Il n'a pas fait une telle distinction. Il croyait que des choses innombrables organiquement liées font l'Orthodoxie, et lui donnent son identité. Tout est organiquement lié. A propos des arts de l'Église, par exemple, il disait que l'iconographie s'adresse à notre sens de la vue, tandis que la musique s’adresse elle, à notre sens de l'ouïe, mais toutes deux cherchent à exprimer la même essence, la foi orthodoxe. L'architecture a sa propre tradition, particulièrement reconnaissable dans la coupole, dans l’arc en plein cintre, et par les surfaces qui sont utilisées pour les peintures murales, que d'autres types d'architecture, comme le gothique, ne fournissent pas. 
L'architecture de l'Eglise orthodoxe est un élément très important de la totalité; en d'autres termes, tous ces arts sont organiquement liés entre eux, mais en utilisant différents médias. L'iconographie, l’hymnodie, la musique et l'architecture de la tradition byzantine essaient de transmettre la même chose. Elles ont le même point d'origine: elles sourdent toutes de la foi orthodoxe et sont utilisées pour communiquer la foi orthodoxe et la rendre saisissable pour le croyant par les sens. Ainsi, vous pouvez voir l'unité organique des beaux-arts de l'Orthodoxie. 
Vous pouvez également la voir dans l'apparition du prêtre, du moine, dans la forme des prières et dans la Liturgie. Toutes ces choses sont organiquement liées les unes aux autres. Si vous dites que l'iconographie traditionnelle n’est pas indispensable, ou que la musique traditionnelle est secondaire et peut être remplacée par des orgues ou des violons, tout en conservant l'Orthodoxie, c’est faux! 
Lorsque vous éliminez ces choses, que reste-t-il? Bientôt vous allez commencer à atténuer les dogmes en raison du minimalisme ou du relativisme. Les Grecs ont un mot pour cela: "ξεφτισμα [xephtisma/ « effilochage »], vos pantalons sont déchirés en un seul endroit, vous laissez passer, puis la déchirure se propage. Si vous ne rafistolez pas à temps, elle se propage de plus en plus, et l'ensemble du vêtement tombe alors en morceaux. Donc, vous devez réparer. 

Si vous ne prenez pas le temps de réparer tout type de rupture de la Tradition, alors tout commence à se désagréger. Et voilà ce qui est arrivé à une grande partie du monde orthodoxe. Il tombe en morceaux de cette manière, en disant: Ceci n'a pas d'importance, ce n'est pas essentiel, c'est sans importance, c’est une convention, et ainsi de suite…

Version Française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Pravoslavie.ru