"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 5 septembre 2016

Un monde sans Arche de Noé

Source/ Revue "MILOSERDIE" : Texte de Xenia Krivocheine, traduit par notre amie Laurence Guillon

Du plus loin que je me rappelle, nous avons toujours eu des chiens, des chats et autres animaux à la maison. Dans les années soixante, l’intelligentsia russe se tournait vers la campagne, nous n’étions pas une exception, et nous élevions là bas des lapins, des poules, et la vache Dotcha. 

Les lapins, nous ne pouvions pas les égorger, et ils se reproduisaient sans pitié, nous devions les distribuer aux voisins ; les poules pondaient des œufs et parfois se retrouvaient dans la soupe, pas sans larmes du côté de ma mère, cependant, et la vache, qui répondait au doux nom de Dotcha et avait de très beaux yeux bruns, nous donnait beaucoup de lait. 

J’appris à la traire et même à faucher l’herbe. Et à Paris aussi, nous avons toujours vécu avec des chats et des chiens, pour nous occuper de tout ce petit monde, nous dûmes augmenter les dépenses auprès du vétérinaire et de l’assurance médicale. Cette assurance fut notre salut, car notre chien se révéla une créature souffreteuse. Il vécut 17 ans, mais il était constamment malade : opérations, prophylaxie, piqûres, vitamines, médicaments… des dépenses incommensurables ! 


On me disait souvent : « Fais-le donc piquer, il te coûte sûrement une fortune, presque autant que l’entretien d’une voiture ! » 

Mais comme nous n’avons jamais eu de voiture, je préférais dépenser de l’argent pour notre petit chien. Quand il était malade, alors tout mon être souffrait pour lui, et quand c’était moi qui l’était, alors il venait sur mon lit, se serrait contre moi de tout son long, comme s’il absorbait mon mal. Et je me mis alors à me demander de plus en plus souvent pourquoi les animaux tombent malades et meurent comme les gens, ils n’ont pourtant commis aucun péché, au contraire d’Adam et Eve ? 

Je voulais vraiment trouver la juste réponse et pas seulement la réponse toute faite, mais celle d’un homme expérimenté, orthodoxe, avec une culture théologique. Et voilà qu’un jour je partageai mes pensées avec monseigneur Basile (Krivochéine), moine et homme de prière qui avait vécu 22 ans au mont Athos. 

Il me dit : « L’Esprit du Seigneur nous appelle à aimer tout ce qui vit, à le garder et à ne pas lui nuire, l’animal aussi bien que la fleur, et à ne pas même piétiner la mauvaise herbe . Avoir de la compassion pour toute créature. Sur la Sainte Montagne, nous avions beaucoup d’animaux, et ils ont accompagné la fraternité monastique depuis la nuit des temps. L’Athos, dans sa nature intacte, a conservé une grande variété d’oiseaux, de rares espèces de papillons, il y avait aussi des loups et des renards, et des chats innombrables. Les moines les respectaient beaucoup, car ils exterminaient presque tous les serpents et les souris. Et pour moi, qui avais travaillé de longues années en bibliothèque, c’était un vrai cadeau. Les livres étaient sauvés des rongeurs ! On ne les considérait pas chez nous comme des animaux domestiques et ils vivaient librement. Je sais que saint Silouane de l’Athos préconisait, pour ce qui concerne les relations de l’homme avec le monde des animaux et des plantes, une attitude respectueuse. » 

Sans doute cette conversation avec l’archevêque Basile Krivochéine fut pour moi une bouffée d’air pur. 

Et je songeai que si les ascètes de la sainte montagne avaient tant de considération pour l’âme de nos frères cadets, alors Dieu Lui-même nous ordonnait de suivre leur exemple. Et un peu plus tard, en lisant le livre « Connaissance de soi » de Nicolas Berdiaev, je tombai sur ces lignes : « Je ressentais souvent une compassion brûlante, poignante, quand je regardais les animaux dans les yeux. Il est des expressions de souffrance, dans les yeux des animaux, qui sont insoutenables. A travers un tel regard, toute la misère du monde se déverse dans notre âme. »


Dans le livre de souvenirs bien connu de Nina Krivochéine « Quatre tiers d’une vie », elle raconte comment elle dût se séparer de son cher bouledogue Motia, avant de s’enfuir de Petrograd, à travers la glace du golfe de Finlande, en 1919. Elle ne pouvait l’emmener avec elle, et le petit chien était si affamé qu’il avait commencé à manger les courroies des valises. Elle dût le faire piquer, et le chien, comprenant ce que la situation avait de sans issue, pleurait physiquement, versant de grosses larmes… Nina Alexeïevna ne voulut plus jamais avoir de chien. 

Cela m’est si compréhensible, car je me suis heurtée de nombreuses fois à la maladie et à la mort de créatures à quatre pattes qui m’étaient chères. Je pense que ceux qui ont vécu cela comprennent qu’on ne peut, deux jours plus tard, aller dans un magasin acheter, comme un nouveau « jouet », le remplaçant de notre vieil ami. 

Notre vie et notre âme sont liées à nos frères cadets, aussi bien en ce monde que dans l’autre. 

Combien nous leur donnons de sentiments et de caresses. La confirmation de cela, ce sont les paroles du chant religieux : que chaque souffle célèbre le Seigneur ! L’Eglise se souvient du commandement donné par Dieu : « Régnez sur les poissons de la mer, et sur les bêtes sauvages, et sur les oiseaux du ciel, et sur toute sorte de bétail… (Genèse 1, 28) » Voici pourquoi les monastères donnaient un éclatant exemple de miséricorde à l’égard des animaux, où on les élevait, où ils servaient non seulement à embellir les lieux mais à consoler les gens. Beaucoup de saints ont, d’une façon ou d’une autre, lié leur vie aux animaux : saint Côme soignait non seulement dans les villes, mais dans le désert les animaux privés de parole, car toutes les créatures qui souffraient de quelque maladie, le suivaient. Saint Antoine le Grand (251-356), l’un des premiers ermites du désert qui avaient jeté les bases du monachisme, est considéré comme le protecteur des animaux. Il vivait en Egypte, et était connu pour converser avec les animaux et les oiseaux… On peut aussi ajouter qu’on voit des animaux représentés sur de nombreuses icônes. Sur celles de Flor et Laur, des chevaux, à côté de Modeste de Jérusalem, un chien. Et sur l’icône contemporaine de saint Nectaire d’Optino, un chat. 

Nous autres, citadins très pressés de vivre, nous prenons avec nous souvent un compagnon à quatre pattes pour plusieurs raisons : par solitude, pour nous servir de jouet, à nous-mêmes ou à nos enfants, et le chien, dans un but utilitaire, pour protéger nos biens. Mais voilà qu’ensuite… il a rempli son office, il a vieilli, il est tombé malade, on en a assez… Et sans aucune pitié, on peut le faire piquer et en acheter un jeune et en bonne santé. La plupart du temps, en une telle situation, il n’est pas question d’états d’âme. 

Le chien n’est déjà plus un collaborateur à part égale, un ami de l’homme, mais un combattant des » forces d’intervention ». Il faut pourtant rappeler que dans les Alpes suisses, au XIII-XIV° siècles, fut attribué aux moines de l’ordre de saint Augustin, une race spéciale de chiens destinés à sauver les gens perdus dans les montagnes enneigées. Débonnaires, énormes, ces chiens blancs et roux rendirent des services inestimables, dans ces siècles reculés, quand il n’y avait ni hélicoptères, ni secours organisés et pas non plus de skis. Les Saint-Bernards cherchaient les gens dans la neige, creusaient pour libérer des avalanches les voyageurs égarés. Et là, ils sont avec nous à égalité. 


En occident, il existe une loi réprimant la cruauté envers les animaux, qui fonctionne pleinement si nécessaire. 

De nombreuses associations et la « Ligue des droits et de la défense des animaux » veillent de près à ce que les bêtes vivent dignement. En outre, entre dans leurs attributions l’inspection des laboratoires, où l’on pratique des expériences sur les animaux. Il est clair que les scientifiques ne peuvent se passer d’expérimenter différents vaccins ou des médicaments de pointe sur les rats, les singes, les cochons… mais la Ligue entre immédiatement en scène pour voir à quel point les scientifiques ont poussé les « tourments » auxquels sont soumis les « lapins de laboratoire ». Tout à fait récemment, à l’Université de l’état d’Oklahoma, on a bloqué un projet d’expérimentation du vaccin sur les singes. La cause de ce blocage en était la souffrance éprouvée par les animaux qu’on avait contaminés par l’anthrax. Pour mener ces expériences sur les singes, on construisit même un vivarium spécial à l’Université. 

En France, le jour de la fête de Kourban-baïram, beaucoup de musulmans font des sacrifices rituels. Il fut un temps où cela se passait dans les appartements, sur les balcons, et cela se transporta ensuite dans les cours. Les hurlements des animaux se propagent loin. Les voisins commencèrent à protester, la Ligue et les parlementaires à s’occuper de l’affaire. La célèbre protectrice des animaux, Brigitte Bardot, exprima son inquiétude devant l’égorgement rituel des moutons dans les villes, car le processus en paraît ouvertement choquant : les pauvres bêtes crient à fendre l’âme, le sang coule, on se lave de sang à la vue de tous, ce qui traumatise les représentants des autres confessions vivant alentour. 

A Paris, en ce qui concerne les chats et les chiens abandonnés, les choses se déroulent de la manière suivante : on les attrape (mais sans les destiner ni à la fabrication du savon ni à celle des chapkas), on les vaccine contre la rage, on les stérilise le plus souvent, et on les remet à des refuges. Il y a beaucoup de cimetières pour animaux, dont l’un se trouve près de Paris, à Asnières. C’est un endroit particulier où, comme dans les « nôtres », on trouve des pierres tombales, de touchantes épitaphes, des fleurs, des photographies et des cadeaux…

Dans la prise de conscience de la mission divine de la nature, de l’homme et du monde animal, l’Italie peut servir d’exemple à beaucoup. Le 17 janvier de chaque année, « Jour des éleveurs d’animaux », se rassemblent des milliers de gens sur la place Saint-Pierre de Rome. Le protecteur des animaux est en effet l’abbé Antoine, l’un des premiers pères du désert du christianisme naissant, qui vécut en Egypte de 251 à 356. Il mourut à l’âge de 106 ans, et était connu pour ses conversations avec les animaux et les oiseaux, il était entouré d’anges et se défendait contre les attaques du démon.  

Dans toute l’Europe, sur la seule base de l’enthousiasme, sans contraintes de la part du gouvernement ou de l’Eglise, des organisations de jeunes travaillent activement à la conservation du milieu environnant. On trouve parmi eux des groupes scouts laïques et religieux. Au début du printemps, ils plantent des arbres dans les régions de France qu’ont ravagées les incendies, l’été, ils nettoient les plages et les cours d’eau. Il convient d’ajouter à cela que ces jeunes écologistes enthousiastes aident aussi les vieillards isolés. Leur devise est : « Miséricorde sans frontières. »  
C’est seulement en jetant un regard sur les siècles passés, que nous pouvons réaliser non seulement la déification mais, n’ayons pas peur du mot, l’anthropisation des animaux, leur influence directe sur notre vie et notre destin. C’est saint Côme, qui soignait non seulement dans les villes, mais dans le désert les animaux privés de parole, car toutes les créatures qui souffraient de quelque chose allaient le suivant.  


Le monde, fondé par Dieu dans l’harmonie, est aujourd’hui au bord de la catastrophe écologique. 

Il serait bon que nous, chrétiens, prêtant l’oreille aux cris et aux gémissements des animaux, nous fissions preuve de miséricorde à l’égard de nos frères cadets, sauvés par Noé dans son arche. 

Le sixième jour de la Création : « Et le Seigneur Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; créons-lui une aide qui lui correspondra. Le Seigneur Dieu modela avec de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel et les amena à l’homme, pour voir comment il allait les appeler, et pour que chaque âme vivante répondît au nom qu’il allait lui donner. Et l’homme donna un nom à tout le bétail et aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages ». (Genèse 2 :20). 

Souvenons-nous de l’arche de Noé et des paroles qu’adressa Dieu à ce dernier sur « les oiseaux et toutes les bêtes de la terre », du prophète biblique Jonas, qui passa trois jours et trois nuits dans les entrailles d’une baleine et, en conséquence, se mit à déborder de longues louanges à Dieu. Celui-ci, en fin de compte, désirait seulement instruire son prophète, et la baleine en était le bon messager, l’instrument d’éducation. Après qu’elle l’eût relâché, Jonas s’en alla à Ninive, où il prophétisa la destruction prochaine de la ville : « Encore 40 jours et Ninive sera détruite » ! Ces simples paroles eurent des conséquences remarquables : les habitants se mirent tout de suite à croire en Dieu, décidèrent de jeûner, revêtirent des cilices, le roi y compris, qui édicta le grand carême non seulement pour les gens mais pour le bétail : « Que ni les gens, ni le bétail, ni les bœufs, ni les moutons ne mangent rien, n’aillent pas à la pâture, ne boivent pas d’eau, et que tous soient couverts de cilices, les gens comme les animaux, et crient fort vers Dieu et que chacun se détourne de ses voies mauvaises et de la violence de ses mains » (Jonas. 3 :7) 

Toute la mythologie, des contes et des bylines, est remplie de personnages du monde animal : oiseaux, bêtes sauvages, ceux qui rampent et ceux qui nagent, ils ont tous leur caractère et parlent notre langue. N’est-ce pas étrange ? Le plus vraisemblable est que l’épopée n’est pas sortie du néant et pour cette raison, on peut supposer qu’elle repose sur des textes de l’ancien testament, des vies de saints et des paraboles chrétiennes. Dans la symbolique des premiers chrétiens, on représentait les apôtres sous la forme de 12 brebis, entourant l’Agneau de Dieu, et n’est-il pas étrange que ce soient précisément des animaux qui soient devenus les symboles des quatre évangélistes ? L’aigle correspond à Jean le Théologien ; le taureau à Luc, le lion à Marc et l’Ange à Mathieu. La tradition de l’écriture trouva des prolongements plus lointains. Le Moyen âge regorge de superbes récits. 


Ces derniers temps, dans le monde entier, se déroulent de nombreuses recherches sur le cerveau des animaux. 

En France, le docteur es sciences Elizabeth de Fontenay, spécialiste de Denis Diderot, a écrit déjà plusieurs livres sur la ressemblance des animaux et des hommes et sur la responsabilité des uns envers les autres. Beaucoup de savants occidentaux s’occupent sérieusement des interactions entre le cerveau humain et le monde animal et végétal. Dans ce complexe intervient tout un bouquet d’émotions ressenties par l’homme devant le monde extérieur : la tendresse, les caresses, la couleur, les odeurs, le toucher, l’éducation et enfin la guérison. Les savants ont déjà prouvé l’influence bénéfique des dauphins et des chevaux sur les enfants atteints de maladies psychiques graves, des chiens et des chats sur les personnes âgées isolées. 

On ne s’étonnera pas que, dans la sainte Russie, il ait été interdit de consommer des pigeons et des chevaux ! On peut en trouver l’explication directe dans les Ecritures.  


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