"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 7 avril 2014

Bernard Le Caro: Les lettres spirituelles de Théophane le Reclus/ Podcast




Podcast ICI




Père Barnabas (Powell): Le corps n'est-il pas saint après la mort?





Tout est possible à Amsterdam. Un article de The Economist décrit récemment comment les morgues néerlandaises sont les pionnières d'un nouveau domaine dans les énergies alternatives, qui donne un nouveau sens à l'expression "puissance du peuple"*. 

Puisque la crémation des cadavres implique tellement d'énergie, les fours crématoires sont reliés aux réseaux d'électricité municipaux de crainte que cette précieuse ressource ne se perde. Certaines personnes meurent littéralement pour devenir des ressources [énergétiques] bon marché et renouvelables. Il y a juste un "hic". Les émissions de déchets issus du processus ne sont pas tout à fait assez vertes pour les sensibilités écologiques néerlandaises, aussi davantage de recherche est nécessaire pour développer une technologie véritablement propre à partir des cadavres. Cela peut sembler un scénario extrême, mais nous ne sommes pas loin d'en arriver à accepter une pratique autrefois considérée comme anathème.

J'ai entendu des raisons non éclairées s'opposer à la crémation, comme l'idée que Dieu ne sera pas en mesure de rassembler les cendres dispersées à la Résurrection. De telles absurdités remettent non seulement la puissance de Dieu en question, mais elles portent également atteinte à la mémoire des personnes tuées dans des incendies accidentels, ou lors des horreurs de la guerre.

Depuis que l'Eglise catholique a cessé d'interdire l'incinération en 1963, l'Eglise orthodoxe (avec le judaïsme orthodoxe) a du expliquer sa propre opposition non seulement au grand public, mais à ses propres fidèles aussi. L'insistance orthodoxe sur l'enterrement est fondée sur le respect du corps humain comme œuvre de Dieu. Le récit biblique de notre création à l'image de Dieu ne s'applique pas seulement à nos facultés rationnelles, mais aussi à notre être physique. La bonté du monde créé, et du corps, est prouvée lorsque le Christ se fait chair pour le racheter.

La notion d'une divinité incarnée était anathème pour les païens gréco-romains (ainsi que les Gnostiques et autres "dualistes" à la fois anciens et modernes), qui croyaient toutes les choses matérielles étaient intrinsèquement corrompues et illusoires, et que seul l'immatériel avait une valeur rédemptrice. Ils pratiquaient l'incinération comme un moyen de libérer la bonne âme du mauvais corps. La crémation signifiait détruire prison matérielle de l'âme, ce qui lui permetrait de s'échapper.

Au début, Chrétiens et Juifs, d'autre part, vénéraient les corps des défunts comme reflétant encore la sainteté de Dieu. Pour ceux qui célébraient la mort, l'ensevelissement et la résurrection du Christ, la crémation est devenue impensable. Ils traitaient leurs morts comme le Christ, les oignants d'épices parfumées, les enveloppant dans des linceuls et les déposant dans la terre. Les lieux des morts, les catacombes devinrent les lieux de rassemblement pour le culte.

Quand ils ont commencé à souffrir la persécution, les chrétiens emportaient les corps de leurs martyrs, baisant leurs os et faisant éventuellement des pèlerinages à leurs tombeaux. Les bâtiments de l'église sont apparus, les sanctuaires des martyrs y ont été incorporés en plaçant leurs os dans les pierres d'autel, pratique orthodoxe jusques à ce jour.

Peu de choses semblent plus macabres pour les esprits éclairés que de baiser les os des morts. Inversement, peu de choses auraient semblé plus anathème pour les premiers chrétiens que de brûler un corps, écrasant ses os et dispersant ses cendres ou les gardant dans un bocal.

La crémation, hors la loi comme profanation païenne par un édit impérial au cinquième siècle, est en train de devenir la méthode préférée d'élimination des corps, même parmi les chrétiens. Bien que n'étant pas délibérée, des rejetons de l'ancien dualisme imprègnent la mort moderne. J'ai eu une fois à informer une femme qui avait déjà les cendres de son mari dans une boîte que je ne pouvais pas l'enterrer. Elle ne pensait pas qu'un enterrement était nécessaire de toute façon, car il était déjà à la fête dans le ciel! Son âme était "lui", tandis que son corps était devenu négligeable.

Comme un de mes instructeurs du séminaire le dit en plaisantant un jour, "Nous vivons comme des hédonistes et mourons comme des platoniciens." Nous vivons comme si notre corps est l'essence même de notre être, mais tout à coup il ne devient rien quand nous mourons. Ce n'est pas mon intention d'offenser ceux qui ont eu des proches incinérés, mais de provoquer une réflexion approfondie de la façon dont nous voulons être traités quand nous mourons. Chaque méthode implique une croyance sur la signification du corps, soit c'est une icône divine, ou tout simplement une coquille vide.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

* Jeu de mot: power signifie puissance, pouvoir, mais aussi force motrice, dans le sens de puissance productrice d'énergie 

Haïjin Pravoslave (CCCXXVIII)


Nos amis défunts
Vivent sous l'Autre Soleil
Dans la plénitude

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

dimanche 6 avril 2014

Archevêque Tikhon du Sud de Sakhaline et des îles Kouriles: Elle s'efforçait de vivre une vie différente pour le salut, et dans la solitude


Bishop Tikhon and Mother Liudmila on the day of her tonsure as a nun
L'archevêque Tikhon et Mère Ludmila 
le jour de sa tonsure comme moniale

Quarante jours se sont écoulés depuis que la moniale Ludmila (Pryachnikova) et Vladimir Zaporojets ont été abattus dans la cathédrale du Sud de Sakhaline. On connaît peu le martyr Vladimir qui mendiait sur ​​le porche de la cathédrale du Sud de Sakhaline. Mais tout le monde connaissait et aimait la moniale Ludmila, qui accomplissait son obédience au comptoir des cierges. Aujourd'hui, le guide spirituel de Mère Ludmila, l'archevêque Tikhon du Sud de Sakhaline et des îles Kouriles, se souvient : 


Vladyka, depuis combien de temps connaissiez-vous Mère Ludmila? 

Je connaissais Mère Ludmila depuis de nombreuses années; elle était l'assistante la plus proche de l'higoumène (Père supérieur) Philarète, qui servait dans la ville de Tomari dans notre diocèse. La Mère était son bras droit et son soutien. Notre connaissance, qui était de caractère très agréable, a duré 10 ans. 

Père Philarète nous a dit que vous avez suggéré à la Mère qu'elle devienne moniale. Pourquoi? Qu'avez-vous vu en elle?

Tout d'abord, j'ai vu qu'elle était une femme digne, la mère d'un moine; J'ai vu son esprit de prière profonde. Je voyais en elle, d'abord et avant tout, une personne qui cherchait le salut, la solitude, la vie monastique, pour une vie différente. Et pour cette raison, j'ai proposé qu'elle devienne moniale. En fait, selon l'heureuse expression de l'un des ascètes [podvizhniki (1)] de notre temps , "le monachisme n'est pas une récompense, mais un moyen de repentance." 

Pourquoi le Seigneur a-t-il préparé la Mère en particulier, pour cet exploit spirituel [podvig]? (2) 

Oui, la cathédrale était pleine de clergé pendant le service, mais à la veille de ces événements, il y avait peu de gens dans la cathédrale. Vraiment, le Seigneur choisit pour son salut ceux qui ont déjà été préparés pour le Royaume des Cieux. La Mère, apparemment, était déjà mûre pour les demeures célestes, de sorte que le Seigneur l'a choisie. 



Archbishop Tikhon (Dorovskэkh) of South Sakhalin and the Kurils
Archevêque Tikhon (Dorovskэkh) 
du Sud de Sakhaline et des îles Kouriles 

Quelle est la signification spirituelle de cet événement, la leçon pour nous tous ? Qu'est-ce que le Seigneur dit à chacun d'entre nous qui se tenait, même à une certaine distance, en témoin de l'exploit spirituel [podvig] de Mère Liudmila et de Vladimir ? 

Je crois que le Seigneur prépare pour nous tous, en premier lieu, l'espoir du salut de notre âme, et donne à chacun de nous sa croix, afin que, la portant dignement, nous soyons en mesure de sauver notre trésor le plus précieux, notre âme. Et l'Orthodoxie est persécutée dans ce monde, notre foi est soumise à la moquerie. Lorsque le démon n'était pas en mesure de réfuter certaines choses, ces choses ont été raillées. Rappelez-vous l'histoire, remémorez-vous la période soviétique. Les croyants passaient pour des ignorants. 
Je me souviens d'un tel épisode de la vie de l'académicien Pavlov (3). Il était assis là, vieillard déjà sage de son expérience de la vie, et vient un jeune soldat de l'Armée rouge, qui ne savait probablement même pas lire, et il demanda à Ivan Petrovich, " Alors , papy, tu crois en Dieu?" Pavlov répondit: "Oui, fils!" " Oh!", poursuivit le soldat de l'Armée rouge, "Tu(4) n'es que ténèbres et ignorance, ignorance!" 

Alors là, même les universitaires se sont avérés être des ignorants. 

Bien sûr, il est facile de ridiculiser, de ridiculiser l'institution de la famille, comme ils le font maintenant, l'institution du mariage, l'établissement de relations entre l'homme et la femme, l'institution de l'éducation des enfants, la maternité, ou les principes moraux de la société. 

Tant que l'Orthodoxie condamne le mensonge de ce monde, notre religion sera l'objet de moquerie, de ricanement, de persécution et de violence de toutes sortes. 

Ce qui s'est passé le jour [de la fête] des nouveaux martyrs et confesseurs de Russie est, bien sûr, un acte important de néo-paganisme des forces sataniques, dans le but de nous effrayer, dans le but d'identifier leur position sans équivoque, de montrer, disent-ils, qu'ils ont le droit de juger et de disposer des vies humaines

Ceci, bien sûr, est faux. Je suis convaincu que nos gens orthodoxes sur Sakhaline n'ont pas été poussés par cela, sachant qu'un démon se tient derrière cet acte - un démon dont le but est de nous désunir. Car aucune des directives politiques, des visions du monde, ou des opinions religieuses ne peut nous séparer - c'est le péché qui nous sépare. 

Ce péché , qui est entré dans les médias, déverse constamment ses ordures, des choses pourries, et toute sorte de propagande en faveur de la luxure sur nous et sur nos jeunes. Parfois, les gens cèdent à ces stratagèmes. Dans ce cas, une personne devient dans une plus grande mesure la victime, et non l'auteur des actes qui ont été accomplis. 



Mother Liudmila prays to the right of Archbishop Tikhon. Photograph taken a few hours before her murder.

Mère Ludmila prie à droite de l'archevêque Tikhon.
la photo a été prise quelques heures avant son assassinat


Bien sûr, je suis très désolé, comme un être humain devrait l'être, pour la personne qui a commis ce crime dans notre cathédrale, le 9 février, parce qu'il a condamné son âme à la souffrance éternelle, et il ne s'est pas repenti même jusqu'à maintenant - c'est ce qui est si terrible. Il pense qu'il a fait une sorte de "bonne" chose. Mais bien sûr, c'est l'illusion, ce qui conduira à la perdition de son âme s'il ne se repent pas. 

Ceux qui professent des cultes néo-païens, des cultes sataniques, des cultes de satisfaction des sens, d'hédonisme - de jouissance de la vie - ces gens sont condamnés à une certaine dégradation morale. 

Nous avons tous besoin de nous réveiller, de revenir à nous-mêmes et de penser: comment vivons-nous? Pour quelle raison vivons-nous sur cette terre? Afin de prouver quelque chose à quelqu'un, ou bien, au contraire, afin de marcher par le chemin prédestiné par le Seigneur par la voie du salut de notre âme, par la voie de la paix, par le moyen d'acquérir l'amour dans notre coeurs? 

Rappelons-nous ceux qui étaient dans les camps, les martyrs et confesseurs de Russie, dont nous avons célébré la mémoire le 9 février. Ils étaient dans les prisons, en exil, tout autour d'eux c'était l'enfer, mais dans leur âme était le Paradis. 

Que Dieu daigne nous accorder d'imiter la façon dont ils vivaient, d'imiter leur accueil dans la joie de tous ceux qui se tournaient vers eux. 

La leçon est simple: il s'agit d'un appel à mettre nos âmes en bon ordre. 


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


Notes:

(1) Un "combattant spirituel," celui qui entreprend un exploit difficile pour l'amour du Seigneur: se réfère généralement à des moines. 

(2) podvig - lutte, exploit spirituel/ascétique, quelque chose de difficile à entreprendre pour la cause du Seigneur, par exemple le jeûne, les veilles, etc.

(3) utilisé en russe comme un titre, un membre d'une académie majeure; ou un universitaire, un intellectuel. Pavlov a dirigé le département de physiologie à l'Académie médicale militaire. C'est la même Pavlov renommé du "chien de Pavlov," qui a remporté le prix Nobel pour son travail. 

(4) Le mot russe ty (ты) est utilisé ici - indiquant la familiarité et le manque de respect envers l'homme qui était plus âgé que lui.

Naissance au Ciel de Michel


Notre starosta* Michel [Balestra] est né au Ciel hier après-midi. Homme de grande foi, il a supporté avec courage beaucoup d'épreuves dans sa vie, et il est parti rejoindre la patrie céleste où l'attendent ses parents et tous nos défunts de la paroisse russe de Vevey: l'hypodiacre Victor, Vladyka Ambroise et tant d'autres… 
Au comptoir des cierges, avec sa présence discrète mais efficace, il était le premier à accueillir les paroissiens de l'église Sainte-Barbara de Vevey. Nous aurions aimé encore fêter cette Pâques qui arrive avec lui, mais malgré notre tristesse et la peine que nous avons, nous savons bien qu'il participera à la Pâques Lumineuse du Christ, dans la pleine Lumière du Royaume, et que nous ne serons pas séparés de lui dans cet Amour ineffable qu'il a rencontré maintenant.

Mémoire éternelle! Mémoire éternelle! Mémoire éternelle!


* [marguilier]

Haïjin Pravoslave (CCCXXVII)


Tu es au désert
Et tu laisses le silence
Te parler du Christ

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

samedi 5 avril 2014

Etre confesseur en Christ





Le jour où vous êtes  d'une certaine façon dans la peine, que ce soit dans le corps ou dans l'esprit, pour l'amour de tout homme, qu'il soit bon ou mauvais, considérez-vous comme un martyr ce jour-là, et comme quelqu'un qui souffre pour l'amour du Christ et qui mérite le nom de confesseur. Car souvenez-vous que le Christ est mort pour les pécheurs, et non pour les justes. Voyez à quel point c'est une grande chose que de se soucier des hommes méchants et de faire du bien aux pécheurs, plus encore qu'aux justes!

Saint Isaac le Syrien, 

Exposé du métropolite Hilarion de Volokolamsk à l’université de Fribourg



Bishop Hilarion.jpg


Au cours d’un séminaire qu’il animait le 24 mars 2014 à la faculté de théologie de l’université de Fribourg (Suisse), le métropolite Hilarion a tenu une conférence dans laquelle il proposait des commentaires théologiques au document adopté par le Saint Synode de l’Église orthodoxe russe intitulé : « Position du Patriarcat de Moscou sur la question de la primauté dans l’Église universelle ».
  1. Le thème de la primauté dans l’Église universelle est un des problèmes clés de l’ecclésiologie chrétienne, au même titre que les thèmes de la conciliarité (sobornost’) et de l’unité de l’Église. Dans l’histoire de la réflexion théologique sur la primauté, le thème du primat du pape, formulé par l’Église catholique romaine, a longtemps dominé. La doctrine orthodoxe de la primauté dépendait donc fortement de cette discussion et se présentait principalement sous la forme d’une polémique anti-papiste. Au XX siècle, la situation a changé : des tentatives de développement positif, et non plus polémique de la question de la primauté dans l’Église se sont fait jour dans la théologie orthodoxe. Ces tentatives ont engendré un débat théologique sur la primauté dans le milieu orthodoxe. A l’heure actuelle, le thème de la primauté est l’une des principales questions dans le processus préparatoire panorthodoxe préconciliaire. Il est au cœur des échanges théologiques orthodoxes-catholiques.

La dernière synaxe des Primats des Églises orthodoxes locales, qui s’est déroulée à Istanbul du 6 au 9 mars a démontré l’importance pratique des thèmes de la primauté et de la conciliarité au niveau panorthodoxe. Les chefs des Églises orthodoxes locales ont décidé en commun de convoquer le Concile panorthodoxe pour 2016, si aucune circonstance imprévue ne vient l’empêcher. Il est capital d’ajouter que les décisions prises pendant le Concile panorthodoxe le seront suivant le principe du consensus. Ainsi, aucune Église ne se trouvera en minorité et aucune décision qui ne conviendrait pas, ne serait-ce qu’à une seule des Églises locales, ne pourra être prise.

Le Concile sera présidé par le premier entre égaux, le Patriarche de Constantinople. Il sera dans le même temps entouré des Primats des Églises orthodoxes locales de façon que l’image rendue par le Concile panorthodoxe ne rappelle pas celle d’un concile catholique où le Pape préside, tandis que les évêques siègent dans la salle. La primauté du Patriarche de Constantinople au Concile sera le reflet de la doctrine orthodoxe sur l’Église : les Églises orthodoxes locales sont présidées par des primats égaux en dignité, patriarches, métropolites ou archevêques.

  1. En quoi la dernière synaxe a-t-elle été importante pour la discussion sur la primauté dans l’Église ? Elle a établi un certain consensus théologique formulé durant les années de la préparation du Concile panorthodoxe. Ce consensus consiste dans la reconnaissance de l’importance pour l’Église de la primauté au niveau universel. Cependant, la question des formes et du contenu de cette primauté, perçue différemment suivant les traditions locales, restent à discuter. La question du rapport entre primauté et conciliarité reste également à définir.

Si ces thèmes sont discutables, c’est parce qu’il n’existe pas aujourd’hui de modèle ecclésiologique permettant de formuler ces questions de façon à contenter toutes les Églises orthodoxes locales. La polémique soulevée dans la pensée théologique orthodoxe le démontre clairement.

A la différence de la triadologie et de la christologie, la doctrine de l’Église n’est pas un domaine de la Tradition ecclésiale à avoir reçu en concile une définition terminologique et dogmatique normative. Aujourd’hui, l’ecclésiologie fait l’objet d’études théologiques. Les théologiens proposent des approches et des modèles différents, dont les méthodologies s’accordent mal. Ils polémiquent, et aucune unité n’a pour le moment été atteinte. Ceci concerne des concepts ecclésiologiques différents, mais liés entre eux comme la primauté et la conciliarité.

Un dialogue sur le rapport entre primauté et conciliarité se poursuit dans le cadre de la Commission internationale mixte sur le dialogue théologique entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique romaine. Cependant, ces derniers temps, une des différentes approches possibles de la question du rapport entre primauté et conciliarité a commencé à prendre le pas sur les autres. Il s’agit des idées théologiques du métropolite Jean Zizoulias de Pergame. La contribution personnelle du métropolite Jean au développement de la théologie orthodoxe est considérable, et son ecclésiologie mérite indubitablement d’être étudiée. Mais la domination d’un point de vue au détriment des autres, porte atteinte au dialogue théologique lui-même, dans la mesure où il ferme l’espace à toute discussion.

L’Église orthodoxe russe, en tant que membre de ce dialogue grâce aux efforts de la Commission synodale biblique et théologique, a élaboré le document intitulé « La Position du Patriarcat de Moscou sur la question de la primauté dans l’Église universelle ». Ce document propose un point de vue théologique des questions discutées dans le contexte du dialogue théologique orthodoxe-catholique. Le document a été adopté par le Saint Synode de l’Église orthodoxe russe pendant ses réunions des 25-26 décembre 2013. La rédaction d’un tel document souligne l’importance du dialogue théologique orthodoxe-catholique pour l’Église orthodoxe russe, et celle des questions qu’il aborde.

  1. Que propose donc l’Église orthodoxe russe dans son document sur la primauté ? Je m’arrêterai à quelques-unes des positions clés, selon moi, de ce document qui pourrait avantageusement contribuer à l’avancée du dialogue sur la primauté, tant dans le cadre de la Commission mixte, qu’au-delà.

Avant tout, j’aimerais souligner que le document précise le consensus auquel sont parvenues les Églises orthodoxes locales sur l’importance de la primauté au niveau universel. Le document ne se contente pas de ne pas nier la primauté au niveau universel, il dit qu’à l’heure actuelle cette primauté « appartient au Patriarche de Constantinople en tant que premier entre égaux des Primats des Églises orthodoxes locales » (paragraphe 2.3). Le document dit aussi que « le contenu de fond de cette primauté est défini par le consensus des Églises orthodoxes locales, exprimé partiellement lors des conférences panorthodoxes préparatoires au saint et grand Concile de l’Église orthodoxe » (5). C’est ce qu’a démontré, notamment, la synaxe d’Istanbul.

Le document commence par affirmer que « dans la sainte Église du Christ, la primauté appartient en tout à son chef, notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ, Fils de Dieu et Fils de l’Homme » (1). Toutes les autres formes de primauté dans l’Église qui accomplit « son cheminement historique en ce monde, sont secondaires par rapport à la primauté éternelle du Christ comme chef de l’Église » (1).

La primauté telle qu’elle s’est historiquement constituée dans l’Église, est examinée dans le document à trois niveaux d’organisation ecclésiale : le diocèse, l’Église orthodoxe locale et l’Église universelle. Cette structure est empruntée au document de la Commission mixte « Conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l’Église », plus connu sous le nom de document de Ravenne[1], qui décrit également trois niveaux d’organisation ecclésiale. Ce document n’a pas été ratifié par l’Église orthodoxe russe pour la partie sur la primauté dans l’Église universelle. « La position du Patriarcat de Moscou » explique pourquoi cette partie du document de Ravenne a parue inacceptable à l’Église orthodoxe russe.

En comparant les deux documents, on peut découvrir une différence. Dans le document de Ravenne, la primauté dans l’Église est envisagée aux niveaux local, régional et universel. A notre avis, cette partition ne correspond pas tout à fait aux principes de l’organisation ecclésiale en vigueur dans l’Église orthodoxe contemporaine. Le principe de primauté régionale s’applique au système des métropoles antiques. Cependant, l’Église orthodoxe actuelle est organisée autrement : elle comprend le territoire canonique d’une Église locale autocéphale (que, suivant la logique de son organisation interne, on peut considérer comme l’héritière de la métropole antique), et une diaspora, où fonctionnent des paroisses et des diocèses situées dans la juridiction d’Églises locales autocéphales.

La primauté au niveau régional décrite dans le document de Ravenne s’applique aux Églises locales autocéphales uniquement dans le cadre de leur territoire canonique. Cependant, à l’égard de la diaspora, l’introduction du niveau régional fausse la réalisation réelle de la primauté sur ces territoires. Pour chaque unité ecclésiale de la diaspora (diocèse, paroisse), le primat est celui de l’Église autocéphale locale à laquelle appartient cette unité ecclésiale, et non l’évêque de l’Église locale autocéphale étant le premier sur les dyptiques dans cette région concrète de la diaspora.

Dans le document de l’Église russe, la primauté n’est pas envisagée au niveau régional, mais au niveau de l’Église locale autocéphale, ce qui correspond mieux à l’organisation actuelle de l’Église orthodoxe.

L’affirmation théologique centrale du document est que « À différents niveaux de l’être ecclésial, la primauté qui s’est constituée historiquement, a une nature distincte et des sources distinctes » (2).

a)      Au niveau du diocèse, la primauté appartient à l’évêque. Elle tire sa source de « la succession apostolique transmise par l’ordination » (2.1) dont le rite comprend l’élection, l’imposition des mains et la réception par l’Église. En tant que successeur des apôtres, l’évêque institué à ce ministère par la consécration épiscopale célèbre l’Eucharistie et préside l’assemblée ecclésiale.
En célébrant l’Eucharistie, il manifeste l’image du Christ « représentant, d’une part, l’Église des fidèles devant la face de Dieu le Père et transmettant aux fidèles, d’autre part, la bénédiction divine, leur donnant les nourriture et boisson spirituelles véritables du mystère eucharistique » (2.1). L’évêque, en personne ou par ceux auxquels il a donné sa bénédiction, reçoit les nouveaux membres dans l’Église par les sacrements du baptême et de la chrismation. Dans son diocèse, il est l’ordonnateur des ministères ecclésiaux du fait du charisme d’autorité qui lui a été communiqué par la consécration épiscopale. La primauté de l’évêque dans le diocèse est sacramentelle par nature.
b)      Au niveau de l’Église locale autocéphale, la primauté appartient « à l’évêque, élu en qualité de Président de l’Église locale par son assemblée des évêques » (2.2). La source de la primauté est ici l’acte de son élection par l’assemblée de l’Église autocéphale. Le Primat exerce son ministère de primauté conformément aux traditions canoniques communes exprimée dans le 34e canon apostolique (2.2).

Les pouvoirs du Primat de l’Église locale autocéphale sont définis par le Concile et fixés dans les Statuts. Il ne dirige pas l’Église autocéphale de façon individuelle, mais en collaboration avec les autres évêques (2.2). La primauté du primat de l’Église autocéphale est conciliaire par nature.

c)       Au niveau universel, « la primauté est définie conformément à la tradition des saints diptyques et revêt un caractère honorifique » (2.3). La source de la primauté est la tradition de l’Église, fixée dans les saints diptyques et reconnue par toute les Églises locales autocéphales (2.3), c’est-à-dire un consensus panorthodoxe sur le primat, appuyé sur la tradition des diptyques.

La tradition des diptyques remonte aux canons des conciles (3e canon du II Concile œcuménique ; 28ecanon du IV Concile œcuménique, 36e canon du VI Concile). Mais les canons ne font que fixer le consensus sur la primauté d’honneur qui existait dans l’Église au moment de leur adoption. Dans ces canons, la primauté appartient à l’Église de Rome, la seconde place accordée à l’Église de Constantinople tient au fait que ce siège se trouvait dans la capitale de l’Empire (« la ville de l’empereur et du synclète » dit le 28e canon du IV Concile).
Après la rupture avec l’Église de Rome, la primauté n’a pas été transmise à la chaire de Constantinople automatiquement, dans la mesure où les règles canoniques n’avaient pas envisagé cette procédure, mais il y avait un consensus panorthodoxe sur le fait que dans cette situation nouvelle, la primauté appartenait à Constantinople. Après la chute de l’Empire byzantin, ce consensus a perduré, bien que Constantinople eût cessé d’être la ville de l’empereur orthodoxe (et donc les raisons invoquées par le 28e canon n’existaient plus). Aujourd’hui, il n’y a pas de consensus panorthodoxe sur la question des diptyques, mais il y en a un sur les cinq premiers sièges : Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem et Moscou.

A la différence du primat d’une Église autocéphale, le premier hiérarque œcuménique, le premier en dignité, n’est pas élu en tant que tel par un Concile panorthodoxe et pour cette raison ne dirige pas l’Église universelle, dans la mesure où il n’a pas été revêtu de semblables pleins-pouvoirs par l’épiscopat.

La primauté ayant une nature et des sources différentes suivant les niveaux d’organisation ecclésiale, « les fonctions du primat à différents niveaux ne sont pas identiques et ne peuvent être transférées d’un niveau à l’autre » (3).

« Le transfert des fonctions du ministère primatial depuis le niveau épiscopal au niveau universel, signifie en fait la reconnaissance d’un type particulier de ministère, celui d’un « pontife universel », disposant d’une autorité didactique et administrative dans toute l’Église universelle » (3) La reconnaissance d’une autorité semblable annule l’égalité sacramentelle de l’épiscopat et amène l’apparition de la juridiction d’un primat universelle, dont ne parlent ni les saints canons, ni la tradition patristique. La conséquence en est une dépréciation de l’autocéphalie des Églises locales.

« À son tour, l’extension de la primauté qui est propre au primat d’une Église locale autocéphale (selon le 34è canon apostolique), au niveau universel attribuerait au primat dans l’Église universelle des pouvoirs spéciaux sans recourir à l’accord à ce sujet des Églises locales orthodoxes. Un tel transfert du concept de la primauté depuis le niveau local jusqu’au niveau universel nécessiterait également le transfert de la procédure y relative de l’élection de l’évêque préséant au niveau universel, ce qui impliquerait alors la violation du droit de l’Église locale autocéphale primatiale, selon lequel elle peut élire son primat. » Le primat universel devrait alors être élu entre tous les membres de l’épiscopat de l’Église orthodoxe par un Concile panorthodoxe.

  1. La position exposée dans le document du Patriarcat de Moscou sur la différence de nature et de sources de la primauté aux différents niveaux de l’organisation ecclésiale a été critiquée. Le métropolite Elpidophore de Prousse notamment, dans son article « Primus sine paribus » a écrit que le document de Moscou faisait de la primauté « quelque chose d’extérieur et donc d’étranger à la personne du premier hiérarque. » Il propose, au contraire, de considérer que tout institut ecclésial « est toujours hypostasié dans une personne » et que la source de la primauté aux trois niveaux d’organisation ecclésiale est le premier hiérarque lui-même.

La théologie du métropolite Elpidophore s’appuie sur l’approche ecclésiologique personnaliste du métropolite Jean (Zizoulias). Je n’examinerai pas le contenu strictement théologique de l’article du métropolite Elpidophore, et me contenterai de remarquer qu’il va beaucoup plus loin que le métropolite Jean. Selon l’ecclésiologie du métropolite Jean, seule une église locale peut être « hypostasiée » dans la personne, dans la mesure où cette « hypostasion » est liée à l’Eucharistie, toujours célébrée dans un lieu donné. Le ministère de l’évêque, suivant Zizoulias, a une double source : eschatologique (en tant qu’alter Christus) et historique, dans la succession apostolique (en tant qu’alter apostolus). On ne peut donc dire ici que le premier hiérarque soit la source de sa primauté.

Dans l’article du métropolite, un hiérarque orthodoxe affirme pour la première fois que le Patriarche œcuménique n’est pas le primus inter pares, mais le « primus sine paribus », autrement dit qu’il s’élève au-dessus de tous les Primats des Églises orthodoxes locales, de la même façon que le pape de Rome. Le problème ici ne tient pas tant à ce que cette ecclésiologie est mauvaise en soi, qu’à ce qu’elle ne correspond pas à la Tradition bimillénaire de l’Église orientale : elle contredit en particulier la polémique contre le papisme romain qu’ont menée durant des siècles les théologiens orthodoxes.

Certes, dans le contexte du dialogue orthodoxe-catholique, une tentative de rapprochement des modèles ecclésiologiques occidental et oriental peut se justifier. Mais si cela doit impliquer le rejet d’une partie de sa propre tradition, l’adaptation artificielle d’un modèle à l’autre, l’Église orthodoxe doit élever la voix pour défendre sa conception ecclésiologique. Pour l’instant, seule l’Église orthodoxe russe l’a fait, mais je suis certain qu’au moment de la convocation de l’assemblée plénière de la Commission mixte pour le dialogue orthodoxe-catholique, prévue pour septembre 2014, le consensus autour de la position exprimée dans le document de l’Église russe sera beaucoup plus large qu’il peut sembler aujourd’hui. Je prévois que la réunion de septembre de la Commission mixte ne se terminera pas par la signature du document sur la primauté sur lequel la commission travaille depuis plusieurs années, dans la mesure où ce document (actuellement sous embargo) s’écarte assez radicalement de la position orthodoxe.

J’aimerais souligner encore une fois que l’Église russe non seulement ne met pas en doute la primauté du Patriarche œcuménique dans la famille des Églises orthodoxes locales, mais lui accorde aussi une grande importance, ce qui s’exprime notamment dans notre volonté de participer de façon constructive à la préparation du Concile panorthodoxe. Mais nous sommes convaincus de ce que ce Concile doit manifester au monde le modèle orthodoxe d’organisation ecclésiale. C’est pourquoi nous insistons sur le fait que le président du Concile, le Patriarche œcuménique, « premier entre égaux », doit siéger entouré de ses confrères, les Primats des Églises orthodoxes locales, et non pas séparément sur un trône spécialement préparé.

Je reviens à l’idée énoncée au début de mon exposé : aujourd’hui l’ecclésiologie fait l’objet d’études théologiques. Des modèles et des approches méthodologiques différents coexistent sur la doctrine de l’Église. Et aucun d’entre eux ne peut pour l’instant prétendre à l’universalité. C’est pourquoi nous poursuivons le dialogue théologique. Dans cette situation, il faut tenir compte d’approches différentes et aspirer à réaliser une synthèse théologique sur la base de leur analyse et d’une réflexion.

En publiant sa position sur la primauté, l’Église orthodoxe russe a déclaré son attachement à une discussion publique. Nous espérons que notre document sur la primauté ouvrira une nouvelle page du dialogue théologique dans lequel il y a place pour une critique responsable et constructive, mais d’où doit être exclue toute confrontation inutile et dangereuse.

Eglise orthodoxe russe
[1] Les conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l’Église. Document de la Commission internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe. Ravenne, 2007.

Saint Jean de Cronstadt


Haïjin Pravoslave (CCCXXVI)


La fraternité
C'est l'adoption reconnue
Des hommes en Dieu

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

vendredi 4 avril 2014

Les nouveaux martyrs des Sakalines


The walls of the cathedral. February 9, 2014
Sous les murs de la cathédrale/ 9 février 2014

Le dimanche 9 février, l'Eglise orthodoxe russe a célébré la mémoire des saints nouveaux martyrs et confesseurs de Russie, ceux qui ont trouvé la mort au cours de la période soviétique aux mains des athées, ou plus exactement des anti-théistes, des gens qui "sont en guerre contre Dieu." 

Tandis que les chrétiens orthodoxes, non seulement en Russie, mais dans le monde entier participaient à des offices et chantaient les louanges de ces justes d'un passé relativement récent, ils ne se doutaient pas que deux autres Russes orthodoxes en Extrême-Orient russe allaient mourir ce jour-là, d'une manière qui ne peut être appelé que martyre. 

Qui étaient ces deux martyrs, et qu'est-ce qui a motivé le jeune homme que tout le monde décrit comme un garçon russe ordinaire, impossible à distinguer de toute autre personne dans l'église, jusqu'à ce qu'il ouvre le feu sur les fidèles assemblés là ? 

Youjno-Sakhalinsk



Youjno-Sakhalinsk, ou Sakhalinsk du Sud, est la plus grande ville sur l'île de Sakhaline en Extrême-Orient russe. Le climat est très froid en hiver, avec des étés modérés et brumeux. Peuplée à l'origine par des prisonniers russes pendant l'époque tsariste, elle a été perdue au Japon après la guerre russo-japonaise de 1905, avec la partie sud de l'île. La défaite du Japon dans la Seconde Guerre mondiale l'a forcé à céder à nouveau le territoire à l'Union soviétique, et bien que la question de la propriété ait de nouveau surgi depuis l'effondrement de l' URSS, le territoire fait toujours partie de la Fédération de Russie. 

Il est riche en ressources naturelles, à savoir le pétrole et le gaz, mais bien que cela ait apporté la croissance économique, la majorité de la population est pauvre, et la région autour de la ville a le plus haut taux de criminalité juvénile de toute la Russie. 

L'Eglise orthodoxe russe est dans cette région, à l'origine habitée par les peuples autochtones d'Extrême-Orient, depuis la fin du 19ème siècle, quand l'Empire russe a commencé à y envoyer des missionnaires. 
Sakhaline était l'endroit où les prisonniers étaient envoyés, et les églises furent construites dans les villes et villages qui ont résulté de cette présence. Youjno-Sakhalinsk a également commencé son existence en tant que colonie de prisonniers en 1882, appelée Vladimirovka à l'époque.

La période soviétique a vu toutes les églises de Sakhaline détruites ou utilisées à d'autres fins profanes. Avec la chute du régime soviétique, l'Eglise orthodoxe russe a de nouveau commencé son travail de missionnaire sur l'île, à la fois pour les peuples autochtones, et pour la population russe. La première église construite au cours de cette période a été consacrée à sainte Xénia de Pétersbourg en 1989, et en 1990, le Métropolite Pitirim de Volokolamsk a consacré la fondation de la cathédrale de la Résurrection du Christ à Youjno- Sakhalinsk. 

La construction a été achevée et la cathédrale a été ouverte en 1995. Depuis, une dizaine d'églises ont été construites sur l'île, avec des écoles du dimanche et des centres d'éducation religieuse. 

Parce que la population russe de Sakhalinsk est largement transitoire, il n'était pas facile d'y faire revivre la vie orthodoxe. Vladyka Daniel (Dorokhov), maintenant Métropolite d'Arkhangelsk, a été envoyé à Sakhaline depuis la Laure de la Sainte Trinité-Saint Serge lorsque le nouveau diocèse de Sakhaline et des îles Kouriles fut formé, et la plupart des travaux eut lieu pendant son temps en tant qu'évêque de ce diocèse. En un temps relativement court, cependant, beaucoup a été fait pour établir la vie de l'église à Sakhaline. 

Bien que les gens de Sakhaline soient pour la plupart bien disposés envers l'Eglise orthodoxe, et que ses programmes sur l'île n'aient apporté que du bon, il y a certaines personnes qui n'aiment pas le fait que les gens se tournent vers Dieu. L'Ennemi de l'humanité est particulièrement mécontent de la construction d'églises et de l'éducation religieuse de ces gens presque oubliés. Cela a été exprimé avant même l'attaque du 9 février. 
En Août 2012, par exemple, les satanistes ont vandalisé la cathédrale et l'église dédiée à Saint-Innocent de Moscou, illuminateur de l'Alaska et du Kamtchatka. Pendant la nuit, ils ont profané les églises avec des phrases et des symboles sataniques. 

Bishop Tikhon of Yuzhno-Sakhalinsk and Kuril
Evêque Tikhon de Youjno-Sakalinsk et des Kouriles

L'évêque Tikhon de Youjno-Sakhalinsk et des Kouriles a commenté cet incident qui a secoué l'île alors. 
J'ai reçu les nouvelles de ce vandalisme avec douleur - douleur pour la maladie spirituelle et morale présente dans notre société. Ces actes blasphématoires témoignent de ce que, malheureusement, des attaques sont faites à nos valeurs morales et spirituelles fondamentales; [c'est] une attaque contre tout ce qui nous défendons. Bien sûr, je suis désolé pour ces personnes, et je suis triste de ce qu'ils font. Je suis convaincu qu'ils ne savent pas ce qu'ils font. Que Dieu accorde qu'ils reviennent à la raison, et comprennent qu'ils ne peuvent pas faire tanguer le bateau dans lequel tous les peuples du monde sont assis. 

Le recteur de l'église, l'archiprêtre Victor Gorbach, a déclaré: 
Nous avons déjà vécu une guerre contre les églises. Au début du XXe siècle, notre peuple s'est détruit avec des slogans semblables à ceux-ci. Je suis triste pour ces gens. Après tout, on ne se moque pas de Dieu, et ils se détruisent. Dans l'Écriture sainte, il y a ces paroles: Si un homme pèche contre un autre homme, Dieu le jugera, mais s'il pèche contre l'Éternel, qui priera pour lui? (1 Samuel 2:25) Si les gens peuvent donner un sens à cela, et faire une évaluation correcte de ce qui s'est passé, notre société aura un avenir. 
Il y a eu d'autres attaques de vandalisme par les satanistes contre des églises sur Sakhaline depuis, mais cette haine satanique de l'Eglise orthodoxe est devenue particulièrement évidente ​​le dimanche de saints nouveaux martyrs et confesseurs de Russie, le 9 février 2014 quand un jeune homme du nom de Stepan Komarov, un néo-païen, est entré dans la cathédrale de la Résurrection du Christ à Youjno-Sakhalinsk et a commencé à tirer sur les gens. 

C'était un jour plein de grâce, beaucoup de personnes avaient assisté à la Liturgie ce matin-là pour recevoir la Communion et féliciter l'évêque Tikhon pour son élévation au rang épiscopal. Ils avaient servi un pannikhide pour les personnes tuées par les communistes pendant les années de persécution contre l'Eglise. 

Heureusement, la plupart des gens avaient déjà quitté l'église quand Komarov est entré. C'était comme lors des années révolutionnaire, quand les gens faisaient irruption dans les églises avec des fusils. On tira sur les icônes, et une balle frappa même l'autel dans le sanctuaire. C'est ainsi que la moniale Hilariona, qui sert également à la cathédrale, a décrit la scène. 
Six personnes furent grièvement blessées, et un certain nombre d'autres ont subi des blessures mineures. Cependant, tous ceux qui furent hospitalisés en sont sortis depuis. Il semble que l'ampleur de l'attaque ait été prise par deux personnes: la moniale Ludmila (Pryachnikova), et un homme nommé Vladimir Zaporojets. 

La moniale Hilariona, qui connaissait bien Mère Ludmila, décrit l'événement (1): "Matouchka se tenait derrière le comptoir de vente des cierges, et c'est là qu'elle est tombée. Je ne sais pas si elle a eu la possibilité de fuir quand la fusillade a commencé. La seule chose que je puis dire, c'est qu'elle a été l'une des premières à recevoir un coup: le comptoir des cierges se trouve à droite, juste que vous entrez dans la cathédrale. 
Je ne sais pas si elle a eu l'occasion d'échapper à son destin. Mais même si ce fut le cas, quand un homme fait irruption dans l'église avec un fusil, quelle est la première pensée d'une moniale? Sauver les gens. 
Sur le territoire de notre cathédrale il y a un centre éducatif-spirituel. Il y a une porte d'entrée là-bas, et l'écclésiarque de notre cathédrale et son assistant se trouvaient être là à l'époque. 
Dès qu'ils ont entendu les coups de feu, ils ont couru directement à la cathédrale. Un des novices, Alexis, a commencé à retirer les blessés, et ils étaient nombreux. Ceux qui n'avaient été que légèrement blessés ont été amenés en autobus au centre de traumatologie, mais ceux qui ne pouvaient pas marcher sans aide (ils étaient pour la plupart blessés aux jambes) ont été amenés rapidement dans l'église inférieure. Cet homme a sorti de nombreuses personnes au risque de sa propre mort. Il a fait beaucoup. 
Je suis arrivée lorsque le tireur avait été déjà arrêté. Vladyka était dans le bâtiment de l'administration diocésaine situé à quelque distance de la cathédrale, et n'a donc pas entendu les coups de feu… 

La moniale Ludmila

Nun Liudmila (Pryashnikova)
Moniale Ludmila

On a tiré sur le visage de la moniale Mère Ludmila (Pryachnikova). Ce fait témoigne de son courage et de son intrépidité face à ce danger soudain, car les experts légistes ont noté dans leur étonnement plus tard, la réponse instinctive est d'essayer de lever les mains pour se couvrir le visage, mais Mère Ludmila ne l'a pas fait. 
La moniale Hilariona décrit son caractère: "Matouchka était un exemple pour tous. On rencontre rarement une telle personne, magnanime, chaleureuse et aimante comme elle. Elle montrait son christianisme par son mode de vie. 
Nous n'avons pas beaucoup de moniales ici, mais Matouchka était l'une des meilleures. La lumière du Christ qu'elle portait en elle-même ne peut pas être décrite par des mots…
Je n'ai probablement jamais rencontré une telle personne, aussi gentille et aussi aimable dans ma vie. Elle était unique. La chose la plus incroyable pour moi, c'est ce parallèle: comme moniale, elle a quitté ce monde le jour des nouveaux martyrs et confesseurs de l'Église russe, et elle fut tonsurée dans la mantia en l'honneur de la nouvelle martyre Ludmila Petrova(2). Ceci est un fait très important. Je crois qu'elle est au Paradis - la scène du martyre et son mode de vie ne laissent aucun doute à cet égard…" 
Le Seigneur a probablement choisi la meilleure des moniales. Ceci est mon opinion subjective. Elle avait la qualité rare de ne jamais entrer en conflit avec personne. Je ne me souviens pas d'un seul exemple de dispute avec quiconque, pour essayer de prendre le dessus, ou d'essayer de se faire une place pour elle-même sous le soleil… Une telle chose n'a jamais été. Elle portait son obéissance pacifique, avec humilité et amour, et avec une telle dignité qu'elle était un exemple pour tous. C'était une vraie chrétienne. 

Vladimir Zaporojets 
L'autre personne tuée ce jour-là était Vladimir Zaporojets. On sait peu de choses de la vie de ce second héros. Les autres jours, les paroissiens le voyaient debout à l'extérieur de l'église comme beaucoup de gens de la rue qui demandent souvent l'aumône. Il était apparemment sans-abri, mais en fait, sa mère vit non loin de la cathédrale, et on ne sait pas pourquoi il ne vivait pas avec elle. 
Quand il a entendu les coups de feu, Vladimir a couru dans la cathédrale. Il a commencé à supplier le tireur d'arrêter, debout  face à lui. Pour cela, il a reçu quatre blessures par balle, d'abord dans les pieds, et enfin une blessure fatale au corps et à la tête. Comme l'ont dit des témoins oculaires, il a sauvé quatre personnes. Il a volontairement pris les balles à leur place, et on pourrait certainement dire que Vladimir Zaporojets a donné sa vie pour le bien des autres. 

Stepan Komarov 


Stepan Komarov


Le meurtrier, Stepan Komarov, est né en 1989, et il a été employé par une entreprise de sécurité. Il était un soi-disant "néo-païen", avec la haine de l'Eglise orthodoxe. Quand il est entré dans l'église, personne ne l'a remarqué même jusqu'à ce qu'il commence à tirer. 
L'auteur Serge Khoudiev (3) décrit cette personne et ce qui l'a conduit à cet acte: Le motif du tueur était suffisamment transparent: haine envers le christianisme et les chrétiens. Ses victimes ont été tuées (ou blessées), non pas parce qu'elles se trouvaient tout simplement  là, et non pas parce qu'elles l'avaient personnellement offensé, mais parce qu'elles étaient chrétiennes orthodoxes. 
Nous connaissons, et nous nous souvenons des Nouveaux Martyrs; nous savons que même maintenant, dans de nombreux pays du monde, les gens sont cruellement persécutés pour leur foi en Christ. Mais de nos jours en Russie, nous avons pris l'habitude de penser que l'Eglise est l'endroit le plus sûr sur terre. Les gens y viennent prier Dieu et c'est précisément ce qui a mis en colère Stepan Komarov au point d'assassiner. 
Komarov a apparemment été attiré par le néo-paganisme... Maintenant, on le dit soit athée, soit néo-païen, et il est vraiment difficile de donner un sens à sa vision du monde. Il semblerait qu'un homme qui est prêt à commettre un tel crime doit avoir une certaine pensée réfléchie et des motifs de souffrance [pour agir ainsi]. Il doit avoir une sorte de vision du monde, une certaine profondeur, une vue sur le monde mais corrompue; certaines profondeurs sataniques impérieuses. 

Cependant, il semble qu'il n'y ait pas de profondeur, c'est juste le vide… 

Sa page de réseau social contenait principalement des blagues vulgaires, des liens vers des sites d'athéisme scientifique, et des sites de néo-paganisme.

Le mépris pour les gens et l'incapacité de respecter qui que ce soit... Et en arrière-plan, la haine de l'Église. Non pas parce que l'homme avait des idéaux ou des convictions, que l'Église en quelque sorte entravait, mais tout simplement par haine… 

Oui, Stepan Komarov a agi seul, personne ne lui a donné un ordre. Les organisations anti-chrétiennes qui luttent contre l'Eglise d'une manière réfléchie et systématiquement, ont certainement existé; par exemple, le parti bolchevique ou la SS. Il en est même certaines qui existent aujourd'hui. Mais nous voyons la guerre contre l'Église non pas simplement comme l'action de certaines organisations de défense, mais comme un combat spirituel, sur ce qui est écrit dans les évangiles: "Car nous ne luttons pas contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes des ténèbres de ce monde, contre les esprits du mal dans les lieux célestes (Ephésiens 6:12 )." 
Il y a une conspiration mondiale contre l'Église, et il y a les états-majors d'où les commandes sont donnés, mais ces états-majors ne sont pas faits de personnes. Ils sont faits d'esprits mauvais. 
Nous sommes habitués au mot "esprit," ou "spirituel" comme signifiant quelque chose,  comme le gaz, à moitié réel, comme un nuage de brouillard qui pourrait se développer en une minute. Mais c'est une terrible erreur, le monde spirituel n'est pas moins réel que la matière, et il a un effet très réel sur ce qui se passe dans le monde. 
Les destins du monde, des pays, des peuples et des individus sont d'abord décidés à ce niveau spirituel. En dernière analyse, toutes les guerres et conflits dans le monde n'ont de sens que dans la mesure où ils sont pris en compte dans le processus de cette Grande Guerre: "Ils l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et par la parole de leur témoignage; et ils n'ont pas aimé leur vie jusqu'à craindre la mort" (Apoc. 12:11)… 

Ceux qui gagnent cette guerre ne sont pas ceux qui tuent, mais ceux qui gardent leur foi en Dieu jusques à la fin. Et sur ​​la tombe de la moniale Ludmila, et sur ​​la tombe de Vladimir résonne invisible le chœur triomphant: "Ils l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et par la parole de leur témoignage ; et ils n'ont pas aimé leur vie jusqu'à craindre la mort." 

L'histoire de nouveaux martyrs de Russie n'est pas terminée. Nous ne le savons pas, peut-être cela ne fait-il que commencer. Mais la mort sacrificielle de Mère Ludmila et celle de Vladimir, le jour même où l'Eglise orthodoxe russe dans le monde entier a célébré la mémoire des nouveaux martyrs et confesseurs de Russie, est un signe clair qu'il y a encore de telles personnes parmi nous. 


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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NOTES:


(2) La nouvelle martyre Ludmila Petrova (26 février 1879- 27 septembre 1937) est né à Rostov, et a travaillé toute sa vie comme professeur d'artisanat. Le 15 novembre, elle a été arrêtée et accusée d'être "membre d'un groupe d'Église monarchiste anti-communiste" qui a organisé des collectes pour les objectifs du groupe. Elle a été condamnée à trois ans d'exil. En 1936, elle a de nouveau été arrêtée et accusée d'avoir eu une correspondance avec le Métropolite Joseph (Petrovy) et de lui avoir envoyé de l'aide. Elle a été condamnée à trois ans d'exil au Kazakhstan, où elle a été détenue dans un camp de prisonniers. Au Kazakhstan, elle a de nouveau été arrêtée pour activité contre-révolutionnaire, ce qu'elle a nié. Le 28 août 1937, elle a été condamnée à mort, et le 27 Septembre 1937, Ludmila Petrov a été exécutée près de la ville de Chimkent.