"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 18 juin 2012

Jean-Claude LARCHET:Recension: PATRICE MAHIEU, « PAUL VI ET LES ORTHODOXES »


Paul VI et les orthodoxes

Patrice Mahieu, « Paul VI et les orthodoxes ». Préface du métropolite Emmanuel Adamakis, Paris, Éditions du Cerf, 2012, 304 pages, collection « Orthodoxie ».
Un nouveau volume vient de paraître aux éditions du Cerf dans la collection « Orthodoxie », co-dirigée par l’archiprêtre Jivko Panev et le père Hyacinthe Destivelle, o.p. L’auteur, spécialiste du pape Paul VI (1963-1978), présente les positions et l’activité de celui-ci  en vue de retrouver l’unité perdue entre catholiques et orthodoxes, une activité conjointe avec celles du patriarche Athénagoras Ier et de son successeur le patriarche Dimitrios Ier. Cette étude, qui a pour objet l’histoire des relations œcuméniques entre les deux Églises à l’époque de son apogée, présente successivement et dans le détail :
1) L’évolution des relations catholiques-orthodoxes sous Pie XII et Jean XXIII et les principaux protagonistes.
2) La période du concile Vatican II coïncidant avec le pontificat de Paul VI.
3) Le nouveau climat qui s’est établi (1965-1967).
4) L’Église catholique et l’Église orthodoxe : Église-sœurs jusqu’à quel point ? (1967-1972).
5) Paul VI et Dimitrios Ier : les nouvelles formes du dialogue (1972-1978).
Du côté orthodoxe, l’activité œcuménique fut principalement développée par le patriarcat de Constantinople; l’Église russe fut moins active, et n’occupe donc dans ce livre qu’une place réduite, malgré l’engagement fort du métropolite Nicodème de Léningrad (qui consacra sa thèse de doctorat au pape Jean XXIII et mourut dans le bureau du pape Jean-Paul Ier) et le fait que celui-ci et quelques autres métropolites de renom n'hésitaient pas, dans les années soixante-dix, à donner la communion à des prêtres catholiques, comme le signalent dans leurs mémoires tant Mgr Basile Krivochéine que le théologien catholique Hans Küng.
Le livre comporte quelques informations inédites. L’une d’elle concerne la « commission secrète » dont les travaux se sont tenus à Chambésy puis à Zurich en avril et juin 1970 (p. 194-200). Constituée du côté orthodoxe par le métropolite Damaskinos et Jean Zizioulas, elle émit un avis favorable pour une concélébration eucharistique entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras. Le passage à l’acte ne se fit cependant pas car des deux côtés on craignit que le patriarche fût immédiatement désavoué, voire déposé, ce qui aurait été plus nuisible que profitable à la cause de l'union des Églises.
Le bel enthousiasme dont fait preuve l’auteur de ce livre en se référant au passé contraste avec la lassitude et la fatigue qui accompagnent aujourd’hui le mouvement œcuménique. Ce livre a surtout un intérêt historique, puisque la mesure la plus spectaculaire de l’époque relatée – la levée des anathèmes – est restée sans effet concret ; que les années qui ont accompagné et suivi la chute du communisme ont donné lieu, de la part de l’Église romaine, à un développement du prosélytisme et de l’uniatisme qui a été et reste une source de tensions ; et que plusieurs des avancées réalisées à l’époque ont été dénoncées par le pape Benoît XVI qui, d’une manière générale, a ramené l’Église catholique-romaine à ses positions ecclésiologiques et dogmatiques de la fin du XIXe siècle. À propos de l’expression « Églises-sœurs » sur laquelle l’auteur s’étend longuement pour montrer (p. 158-166) comment elle avait fini par s’imposer dans les années soixante-dix (et que les accords passés à Balamand en 1993 avaient confirmée), une note du Vatican publiée en 2000 précisait notamment : « Il doit toujours rester clair que l’Eglise universelle, une, sainte, catholique et apostolique [sous-entendu l’Église catholique-romaine], n’est pas la sœur, mais la mère de toutes les Églises particulières ». Une autre note publiée en 2007 recadrait le sens d’une expression du concile Vatican II (subsistit in) en précisant que l’unique Église du Christ ne subsiste que dans l’Église catholique-romaine. Une autre note encore, publiée la même année, portant sur l’évangélisation, invitait les catholiques à témoigner de leur foi auprès des chrétiens non-catholiques et à leur « offrir la plénitude des moyens de salut »
Du côté orthodoxe, des positions analogues furent prises. En 2000, le concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe promulgait une « Déclaration sur les Principes fonda­mentaux régissant les relations de l’Église ortho­­doxe russe envers l’hétérodoxie » dans laquelle il af­firmait: « L’Église orthodoxe est la véritable Église du Christ, fondée par notre Sei­gneur et Sauveur Lui-même, l’Église que l’Esprit Saint a établie et qu’Il remplit […]. Elle est l’Église Une, Sainte, Universelle et Apos­to­lique, gardienne et dispensatrice des Sacrements saints dans le monde entier, “colonne et fondement de la vérité” (1 Tm 3, 15). Elle porte en plénitude la responsabilité de diffuser la Vérité de l’Évangile du Christ, de même que la plénitude du pouvoir de témoigner de la « foi, transmise aux saints une fois pour toutes » (Jude 3). » Et plus loin: « L’Église orthodoxe est la véritable Église, dans laquelle sont con­ser­­vées inaltérées la Sainte Tradition et la plénitude de la grâce salvatrice de Dieu. Elle a conservé dans leur totalité et dans toute leur pureté l’héritage des Apôtres et des saints Pères. Elle reconnaît l’iden­tité de sa doctrine, de sa structure liturgique et de sa pratique avec la prédication apostolique et la Tradition de l’Église Ancienne. L’Orthodoxie n’est pas un “attribut national et culturel” de l’Église d’Orient. L’Orthodoxie est une qualité interne de l’Église, la conser­vation de la vérité doctrinale, de la structure liturgique et hié­rar­chique et des principes de vie spirituelle, demeurés sans inter­ruption ni changement dans l’Église depuis les temps aposto­liques ». Et en 2007, le métropolite (futur patriarche de Moscou) Kirill déclarait à pro­pos du document du Vatican « Subsistit in » : « L’Église ortho­­doxe est l’héri­tière de plein droit, selon la ligne aposto­lique, de l’Église Une et an­cienne. C’est pourquoi nous rappor­tons avec plein droit à l’Église orthodoxe tout ce qui a été for­mulé dans le document catholique ». Le patriarche œcuménique Bartholomée, n’hésitait pas de son côté à affirmer, dans l’église du Protaton à Karyès (Mont-Athos), le 21 août 2008: « C’est l’Église ortho­doxe qui est la seule Église une, catholique et apostolique ».
L’événement récent constitué par le simulacre de baptême que se sont mutuellement donné à Trêves l’évêque catholique de Speyer et le métropolite du patriarcat de Constantinople Augustinos est un témoignage public du fait que les deux Églises ne reconnaissent pas mutuellement la validité du sacrement du baptême qu’elles confèrent respectivement, contrairement à ce qui a souvent été affirmé par ces deux Églises, et manifeste un recul par rapport à des prises de positions œcuméniques communes passées, comme le BEM, qui fut souvent cité comme référence, mais n’a en vérité jamais constitué un accord engageant les Églises orthodoxes.
Jean-Claude Larchet / orthodoxie.com

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