"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 2 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (IX)



Il est impossible de vivre en paix avec Dieu sans un repentir continuel.
Saint Théophane le Reclus

Il est fréquent dans une certaine frange de l’Orthodoxie, de critiquer les moines de la Sainte Montagne et de déclarer leur ascèse actuelle incompatible avec l’époque "moderne" dans laquelle nous vivons. Beaucoup aimeraient que l’Athos se mette au goût du jour, et devienne plus accessible aux temps actuels, c’est-à-dire à leur vacuité relativiste. Serait-il encore la Sainte Montagne si par une aberration quelconque il cessait d’être une île de prière et de louange perpétuelle dans le no-God’s land du monde actuel ? La réduction à l’échelle de la modernité est toujours nivellement par le bas. 
Notre époque aimerait bien avoir les fruits de l’ascèse sans ascèse aucune. Mais le Christ nous a demandé de prendre notre croix et de Le suivre. L’avons-nous oublié ? S’il ne faut pas rechercher l’épreuve du creuset de Dieu pour elle-même, et se bâtir une ascèse qui soit purement rituelle, détachée de son but, il ne faut pas non plus nier que si nous voulons suivre les traces du saint moine athonite, à la suite du Christ, nous devrions au moins expérimenter dans notre vie, les enseignements qu’il nous a transmis. Par une saine et sainte imitation, à notre mesure (car si notre vocation est de devenir saints comme notre Père Céleste, nous ne pouvons prétendre à cause de la nature perverse de notre génération, atteindre infailliblement la stature universelle du saint staretz) nous cheminerons dans la certitude, notre voie ascétique étant étayée par la prière et l’exemple de saint Silouane et la grâce de Dieu palliera notre peu de foi. Sa miséricorde pardonnera nos chutes successives.
Trop souvent, la spiritualité paraît à beaucoup de gens affaire de doctes spécialistes et d’érudits qui sont la plupart du temps de splendides théoriciens ‘non-pratiquants’. Le Christ n’est pas venu pour créer une caste d’intellectuels, mais pour nous donner la Vie en abondance. 
Certains pieux fidèles orthodoxe s’imaginent aussi que l’ascèse est réservée aux seuls moines et qu’elle leur est accessible à eux, laïcs, seulement quand ils séjournent — et qui le fait régulièrement ? — dans les monastères. Cela est totalement faux. Lieu propice à la Vie où la recherche du Royaume est privilégiée, le monastère, nous permettra un temps de "déposer tous les soucis du monde" ( Hymne des Chérubim, Divine Liturgie de saint Jean Chrysostome) et d’aller à l’essentiel dans une atmosphère de prière et d’ascèse que nous ferons nôtres alors avec moines et moniales.
Au monastère, nous apprendrons, à notre mesure, ce que le saint staretz a appris. Les moines ont beaucoup à nous transmettre de la Tradition chrétienne et de la simple nature humaine transfigurée. Le monachisme est en lui-même formateur, pour ceux qui le vivent et pour ceux qui l’admirent avec respect. Il suffit de lire les Pères pour se rendre compte de ce qu’ils avaient une connaissance très grande de la psychologie des hommes. Leur analyse de l’âme humaine est toujours actuelle, et les remèdes qu’ils donnent à nos maladies spirituelles sont toujours valides, et le seront aux siècles des siècles. 
Les moines et les moniales sont en marche vers l’Essentiel. Nous leur ressemblons, à la différence près qu’ils ont élagué en eux, par l’ascèse continue, la plupart des vieilles branches mortes qui nous empêchent de donner des fruits en abondance.
Ainsi, nous avons un grand combat à mener, contre l’agression perpétuelle de nos yeux et de nos oreilles par les violences des images, des sons et des perversions subtiles d’un monde idolâtrant le bruit, le sexe, et l’argent. Ce que notre société marchande essaie de promouvoir pour nous asservir, nous pouvons dans les monastères nous en affranchir.
Découvrir dans un monastère, avec d’autres pèlerins en partance pour le Royaume, le divin remède de la Prière de Jésus contre l’assaut répété des pensées grâce au staretz Silouane est une bénédiction. Mais peut-être les remèdes de l’Eglise sont-ils trop simples ? Qui veut de nos jours des remèdes gratuits du jeûne, de la confession et de la prière ? Nous préférons souvent un chemin plus livresque et moins efficace. L’effort à faire pour être délivrés, n’est pas de nature intellectuelle, c’est la raison pour laquelle il paraît sans doute moins acceptable. Souvent nous cherchons aussi ce qui est ardu à comprendre et à accomplir afin de nous donner des excuses pour abandonner la lutte et être satisfaits de notre médiocrité devant les difficultés. 
Nous avons oublié la simplicité du Christ. Nous la retrouverons dans la vie essentielle du monastère et quand nous l’aurons quitté, nous aurons l’élan nécessaire à la poursuite du combat ascétique et la nostalgie de cette icône du Royaume que représente la communauté monastique en cheminement vers l'Essentiel. Ce séjour au monastère stimulera notre vie spirituelle en paroisse, et notre prière personnelle et nous redonnera le goût de la simplicité.
Le Christ venu parmi les pécheurs de Galilée, leur parlant non un langage philosophique mais le dialecte araméen, c’est-à-dire la langue du peuple, n’a pas réservé le cœur de son enseignement aux seuls philosophes et théologiens de haut vol. Il demandait déjà à Ses disciples de redevenir de petits enfants. Exigeait-Il par ailleurs de se contenter du seul rituel de la Synagogue pour en être quitte avec Dieu, ou bien Son enseignement voulait-il que toute la vie soit façonnée par la foi ?
C’est encore une fois par la simplicité de Son langage non intellectuel que saint Silouane vient rappeler avec une douceur incommensurable l’essentiel du message christique. Il n’était pas un grand théologien comme nous les connaissons et apprécions généralement. Nous les lisons, ils créent en nous un enthousiasme intellectuel et une exaltation sentimentale que nous méprenons pour une expérience mystique, et nous continuons à vivre sans que cela change notre vie. 
Nous "visitons" en touristes la spiritualité, mais elle reste confinée dans les livres que nous alignons dans nos bibliothèques. Nous nous confortons souvent hypocritement dans l’illusion que ce qui nous est demandé est l’accumulation de savoirs, de théories, et nous nous croyons quittes de la pratique.
Mais le Jugement Dernier ne sera pas un examen comme le monde les conçoit. Dieu ne nous demande pas l’érudition, mais la mise en action de nos convictions en Lui. Nous fréquentons l’Eglise et nous dévorons avidement des livres de spiritualité, mais, entre les deux, un territoire neutre s’étend où nous agissons fréquemment comme des païens, sans que nos comportements soient marqués du sceau de la Vérité, et sans que notre vie ne rayonne de la splendeur du Soleil de Justice. 
Dans le meilleur des cas, la lecture des vies des Saints nous fournit une ascèse de substitution et nous donne l’illusion grotesque d’expériences spirituelles par procuration.
Le sel s’affadit. Il ne sale plus. Il est bien rangé, bien visible, mais il est inutile.

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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