"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 21 mars 2011

Jean-Claude LARCHET/ Recension: Paul Evdokimov, « L’Esprit Saint dans la Tradition orthodoxe »


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Paul Evdokimov, « L’Esprit Saint dans la Tradition orthodoxe », Paris, Éditions du Cerf, 2011, 111 p. (réimpression à l’identique de l’édition de 1969 parue chez le même éditeur).
Ce petit livre consacré à l’Esprit Saint dans la Tradition orthodoxe traite en fait surtout de la théologie trinitaire et ne consacre au total que relativement peu de place à l’Esprit-Saint lui-même.
Après avoir présenté brièvement les prémissses orientales de la théologie patristique, les dimensions cataphatiques et apophatiques de la théologie des Pères, et les principaux termes de la théologie trinitaire, l’auteur s’intéresse aux fondements de celle-ci puis introduit le lecteur à quelques particularités de l’approche des Pères orientaux. Un chapitre d’une trentaine de pages est ensuite consacré à la question de la procession du Saint-Esprit. L’auteur revient après cela à des considérations trinitaires d’ordre général, avant d’aborder, très rapidement, la place de l’Esprit Saint dans les sacrements et la Liturgie.
Ce petit ouvrage constitue de prime abord une introduction claire à la théologie trinitaire d’un point de vue orthodoxe. Comme l’indiquent les titres de l’introduction et de la conclusion, il a été écrit dans une perspective œcuménique. Pour cette raison, le chapitre sur la procession du Saint-Esprit est le plus approfondi et occupe une place centrale. Il commence bien en présentant le caractère problématique de la théorie latine du Filioque, mais malheureusement dérape complètement en cherchant une solution originale qui permette de sortir de l’impasse où se trouve, à ce sujet, le dialogue œcuménique.

P. Evdokimov considère, à la suite de Boris Bolotov dans ses « Thèses sur le Filioque » (1898), que la position orthodoxe sur la procession (à partir) du Père seul et la position latine sur la procession (à partir) du Père et du Fils sont toutes deux des theologoumena ou simples opinions théologiques (voir p. 70 et 74), ce qui est inexact, car l’Église latine a fait du Filioque un dogme à travers un nombre important de documents pontificaux et de conciles (Bari, 1098; Latran, 1215; Lyon, 1274; Florence, 1439) et l’Église orthodoxe, dans plusieurs circonstances, a officiellement rejeté comme hérétiques les positions de l’Église latine à ce sujet.
Évacuant la notion de « cause » (p. 71 et 74-75) pourtant chère aux Pères grecs, et ne distinguant plus la manifestation « in divinis » de la procession (comme l’avait fait Grégoire de Chypre), Paul Evdokimov propose de rendre acceptable le « Filioque » latin compris comme une participation du Fils à la procession de l’Esprit, en l’équilibrant par un « Spirituque » compris comme une participation de l’Esprit à l’engendrement du Fils (p. 70-78). « Le Père, écrit-il, engendre le Fils avec la participation de l’Esprit Saint et il spire l’Esprit Saint avec la participation du Fils » (p. 72). Il note encore, suivant Bolotov: « le Fils est la condition trinitaire de la spiration du Saint-Esprit par le Père, l’Esprit Saint est la condition trinitaire de l’engendrement du Fils par le Père. L’innascibilité, la génération et la procession sont sans confusion ni séparation un seul acte tri-un de Révélation, avec la participation simultanée et réciproque des Trois » (p. 75). Il parle encore « d’un acte tri-unique à trois expressions » (p. 75) et considère qu’« aucune personne n’est produite par une autre, mais chacune se détermine à la fois de soi-même et des autres, et se qualifie comme Père, Fils et Saint-Esprit » (p. 75). Inutile de dire que cette théorie, en décalage complet par rapport à la Tradition orthodoxe, est une innovation irrecevable qui ne fait qu’ajouter une erreur à une autre et de nouvelles confusions aux confusions précédentes.
L’œuvre de Paul Evdokimov, qui est progressivement rééditée par les éditions Desclée de Brouwer et les éditions du Cerf et à laquelles l’Institut Saint-Serge a récemment rendu hommage par un colloque, est sans doute séduisante par les synthèses qu'elle offre, les points de vue originaux qu’elle développe et par le flou esthétisant dans lequel elle s’exprime. Mais, fortement influencée par la sophiologie du P. Serge Boulgakov (une doctrine qui a ses racines dans la philosophie allemande – la théosophie de Jakob Boehme et l’idéalisme de Schelling – et qui a été condamnée par l’Église russe), par la psychologie des profondeurs de Jung (dont nous avons montré dans « L’inconscient spirituel » les aspects anti-chrétiens) et par le protestantisme (où Evdokimov fut immergé familialement et professionnellement), elle véhicule bien des erreurs et des confusions dans les domaines de la triadologie, de l'anthropologie et de la spiritualité.
Jean-Claude Larchet
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